L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux de développement et de progrès, ce blog est pour vous. Fouillez ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

En quoi un sociologue peut-il être clinicien ? (26 09)

Comme je suis présenté, et me présente aussi, en sociologue clinicien, comme le sont reconnu des confrères (Je pense à Vincent de Gaulejac, André Lévy, Jacques Rhéaume ou Louis Wirth, entre autres), il m'a été plusieurs fois demandé de préciser ce dont il s'agit. Je ne parlerai pas de mes collègues mais m'appuierai sur ma propre activité et y puiserai mes exemples, modèles et explications. Mais s'il fallait en donner une première définition, je dirais que la sociologie clinique considère la relation entre l'histoire expérientielle personnelle et l'environnement historique et social du sujet. Elle examine la co-construction interactive de la personne et de sa "réalité" matérielle, sociale et symbolique. Ainsi, elle considère les postures qui se dégagent dans un environnement où la culture partagée fait un contexte signifiant. Ainsi, cela nous indique comment nous pouvons agir et reconstruire...

Ce que fait la sociologie est de tenter de comprendre comment les relations sociales font mouvements et société. Il s'agit de conduite d'audit social, d'analyse de groupes sociaux dans des problématiques particulières, de management dans des organisations singulières, de phénomènes sociaux locaux en regard de dynamiques sociétales, les impacts réciproques, etc. On en déduit des principes sociaux. La chose est assez simple à imaginer et donc certainement aussi à accomplir ou à comprendre. 

Le terme de clinique signifie que le praticien exerce "au chevet du patient". Ici ce seront donc "des patients", ou demandeurs "malades" de ce qu'ils vivent et subissent tant depuis le haut que depuis le bas de l'organisation où ils œuvrent, depuis leur environnement. Il s'agit d'avoir une action "curante", ou curative, auprès du milieu ciblé ou au cœur des personnes accompagnées dans un contexte donné.

L'expertise mise au service des clients, ou patients s'il on peut dire (du moins des demandeurs), est l'ensemble des connaissances issues des études menées sur le terrain. Le sociologue, sur ce champ là, n'a pas de cesse. Tout fait de société, qu'il soit local et global, constitue un enseignement. Cette phase devient l'occasion d'un "nourissement". Pour ma part, je renvoie à mes articles accessibles à partir de  l'onglet "Les essentiels". 

Michel Maffesoli, dont on sait que je suis proche (je peux même dire qu'il est un ami), rappelait qu'un sociologue, un philosophe, un auteur, avait une pensée majeure qui façonne toute sa pratique. Pour ma part, et beaucoup d'entre vous le savent, il s'agit de cette idée constructiviste que la réalité est la représentation que l'on a du monde et de soi dans le monde. C'est cette vision justement qui guide nos pas. Ainsi, je passe mon temps à travailler sur ce champ là jamais épuisé et si foisonnant. Il peut même s'avérer efficient. Ainsi, par extension, ce que je pense des gens détermine aussi leurs comportements et attitudes. C'est aussi là le concept de "prophétie réalisante" de Paul Watzlawick. Si l'on comprend bien ce qui se passe et que l'ont vit, alors la posture adéquate vient d'elle même.

Je me sais clinicien et me réclame de la sociologie clinique car mon activité a consisté à travailler avec les acteurs du milieu dont j'ai fait mon objet d'étude : "le management des personnes et des projets". Non seulement j'accompagnais individuellement et personnellement des managers, ou pas, qui m'en faisaient la demande et ce dans la plus grande discrétion. Cette phase me permettait de les amener à prendre conscience de leurs propres représentations de manière à ce qu'ils comprennent pleinement ce sur quoi ils n'avaient pas la main. A contrario, ils pouvaient mesurer ce sur quoi ils pouvaient l'avoir et ainsi prévoir, envisager et préparer le "comment s'y prendre".

Mais mon activité allait bien plus loin. J'ai vite animé des "Groupes d'Echange de Pratiques" très communément appelés "GEP". Selon une méthode de mise en commun, d'analyse avec une circulation maîtrisée de la parole (de manière à éviter les bavardages dits de "café du commerce"). Ces "moments" étaient nourris d'exemples, de modélisations, d'apports issus d'analyses externes, et de fondamentaux de la sociologie des organisations. Cette phase permettait de constituer un corpus pratique pour les participants. Chacun y faisait alors son marché non sans questionnements débattus et répondus.

Ces groupes que j'avais créés dans le département où j'exerçais (l'Essonne), se composaient à chaque séance d'une douzaine de participants en situation de management. Nous traitions soit une problématique générale (comme le leadership, ou les différents modes de management, mais ce pouvait être aussi une problématique occasionnelle surgie d'un événement nous impactant. Nous pouvions traiter également de problématiques apportées par les participants eux-mêmes. Il s'agissait alors de partager les réflexions, ce qui était à notre main, ce qui ne l'était pas, de quelles représentations cela relevait (peurs, intérêts, enjeux, contraintes, représentations systémiques, etc.). A partir de ces prémices, il était loisible d'ouvrir des voies de possibles, des éventuelles voies d'action et de progrès, voire de changement.

Je ne manquais jamais l'occasion de nourrir ces "à propos" de méthodes, pratiques, conduites et principes facilitants. Les participants se nourrissaient et le propos était si ouvert que chacun et chacune prenait ou reprenait "du poil de la bête" et développait un esprit d'analyse critique. Le corpus qui s'en dégageait nourrissait mon bagage. Cette pratique ne manquait pas d'élargir l'autonomie des acteurs, leur implication dans les constructions de projet et de politiques de management. Bien sûr, je ne me suis pas fait que des amis car des hauts dirigeants voyaient dans ces ateliers quelque chose qui leur échappait, un foyer même d'autonomie qu'ils imaginaient pour certain comme un foyer de frondes. Il y en a même qui ont pu prendre peur et m'ont "attaqué" directement et indirectement.

Mais le principe apparaissait tellement apprenant et enrichissant que le centre national de formation de la fonction publique territoriale me demandait de développer le concept au niveau national, ce que j'ai fait sous la forme d'Atelier du management, jusqu'à mon départ à la retraite en 2017. Car je refusais d'animer de tels groupes en m'éloignant des réalités du terrain. L'efficience, l'engouement et la réputation étaient les mêmes qu'au département.

On comprend alors en quoi un sociologue, docte d'enseignements universitaires, nourrissait son savoir à l'aune des différents terrains et de leurs problématiques singulières. Se développait alors un savoir clinique, lequel était immédiatement restitué, redistribué à tous ceux qui venaient le solliciter. Voilà en peu de mots ce qu'est, à mes yeux, un sociologue clinicien.

Jean-Marc SAURET
Le mardi 26 septembre 2023

Lire aussi :  " Ce que l'on pense des gens les détermine "

Ce n'est pas l'outil qui importe mais la façon de s'en servir (19 09)

Quand nous n'arrivons pas à exécuter une tache, une réalisation, une création, comme nous la voudrions, il nous arrive de nous en prendre à nos moyens, à notre environnement ou à nos outils pour dire qu'ils ne vont pas, qu'ils ne sont pas adapté, qu'ils ne sont pas ce dont nous avons besoin.

Pourtant, il me revient quelques images du passé, notamment celle de mon frère et moi qui réalisions les jouets dont nous rêvions avec quelques bouts de bois et de ferraille que nous retravaillions. Il me revient ce souvenir d'un grand père qui fabriquait un établi pour son atelier et ce avec une plane, une scie, une gouge et un maillet. C'est tout ! Et tout cela tenait par tenons et mortaises tout à fait ajustés.

Il me revient aussi cette image d'un pécheur antillais qui fabriquait sa propre barque taillée dans un tronc à l'aide d'une herminette et d'une scie égoïne qu'il manipulait "à l'envers". Et la barque était belle et pratique, fine et élancée...

C'est là que je compris que l'outil n'était rien sans la main qui l'utilisait. Ce n'est pas à l'outil de s'adapter à nos incompétences. Il ne le peut pas ! Mais c'est à nous de nous adapter à ce que peut offrir l'outil, voire même de lui trouver d'autres usages et capacités. Ainsi, ce pécheur tenait verticalement la scie égoïne en présentant de face, à son opposé, les dents de l'outil. Il utilisait donc la scie comme elle lui permettait le meilleur résultat. Certains parleraient là d'efficience. Je parlerais plutôt d'intelligence adaptative. 

Car c'est bien la vision que j'ai de la situation, de moi, du contexte et des opportunités qui conduisent mon action. Si l'outil ne me va pas, alors il me faudra méditer la situation, la contempler pour laisser émerger des solutions nouvelles, faire émerger des opportunités. Si je me lamente pour ce que mon outil n'est pas adapté, alors je me mutile.

Il me revient cette leçon de management que me donnait un de mes patron alors que j'étais ouvrier agricole dans le Gers. Il me demanda de prendre une pelle dans la stabulation, d'atteler une benne au petit tracteur et d'enlever du passage entre les granges les coques de maïs égrainées pour les déposer en bout du champ clair. Je m'exécutais car je le savais particulièrement aguerri à son activité paysanne. Mais quand je voulus remplir la benne à l'aide de la pelle, celle-ci ne voulait pas "rentrer" dans le tas de coques égrainées et je m'épuisais à insister sans aucun résultat.

C'est alors que mon patron passa près de moi avec le grand tracteur et comme il me demandait si "ça allait", je m'entendis lui jeter "Ce n'est pas une pelle qu'il me faut, mais une fourche !". "Voyons?" me répondit- il en descendant de son engin. Il m'emprunta la pelle et, au lieu de tenter de la "planter" dans le tas de coques, il le grattait en remontant et les coques montaient en l'air et retombaient dans la pelle qu'il vida dans la benne. Il en fit une deuxième et me tendit la pelle et me soufflant "Peut-être que comme ça..." Je repris la pelle et le bon geste pour exécuter habilement la commande... Je venais de prendre en plus une sérieuse leçon de management !

Dans cette histoire, la réponse m'était donnée car les anciens ont cette expérience qui font leur sagesse. Il me revient qu'un jour ou je déposais des végétaux à la déchèterie de mon village, le jeune employé municipal me proposa de m'aider. Je le remerciais gentiment et lui répondis que si les jeunes ont la force, les vieux savent juste comment s'y prendre. Il me sourit d'un air complice.

Mais dans bien des cas, la solution ne nous est pas apportée et nous devons nous débrouiller tout seuls. Et nous le faisons. Je repense aussi à cet épisode déjà relaté ici où je tentais d'imaginer comment passer l'adversaire dans nos jeux de rugby dans la cours de l'école. Rêvant et visualisant la situation, mon esprit revivait la situation et me réinventait le raffut.

Alors dans ces moments de solitude, nous agirons de la sorte, contemplant la situation, l'esprit attentif et sans a priori. Ainsi, l'intuition puise dans l'imaginaire (et ailleurs) les opportunités, des faisabilités différentes de nos connaissances ou habitudes, et qui marchent.

La démarche est bien de ne pas se bloquer sur nos acquis logiques, mais d'accueillir la situation pour ce qu'elle est et soi même devant le problème, pour ce que nous sommes. Il s'agit en suite de contempler et rêver la situation jusqu'à ce que "l'univers" réponde à la contrainte... Et il le fait ! C'est ce que l'on appelle l'intelligence, et aucune "IA" ne saurait le faire... même à gaver de force des mémoires d'ordinateurs à coup de données inutiles et futiles en l'occurrence.

Jean-Marc SAURET
Le mardi 19 septembre 2023

Lire aussi  " Préjugés, dogmes, doutes et réalité "

L'efficience n'est pas l'efficacité (12 09)

Le poète Michel Bobin, bien connu dans le milieu des chrétiens protestants, avait dit dans l'un de ses nombreux ouvrages, que la société de la surconsommation vouait un culte absolu à la performance et à l'efficacité. Il ajoutait que c'était là une société où le moyen (l'économie, l'argent) était devenu le but, alors que la puissance de l'humain se trouvait dans les interstices de sa faiblesse. Nous parlons et rabachons des lignes et des minutes de propos sur la vie alors que nous n'en comprenons parfois rien. Le cœur de la réalité nous échappe souvent, non comme une obscurité profonde, mais comme une lumière trop claire, presque aveuglante. Alors, nous nous rabattons sur l'apparence, oubliant l'essentiel : la lumière.

Je vois là un lien sémantique avec l'idée du moi profond dans les philosophie orientales où il se confond avec l'univers, la conscience pure et universelle. Mais revenons à ce que dit le poète dans sa critique de l'actuel.

Ici, la forme prévaut sur le fond, le moyen comme (ou sur) la finalité, le comment sur la conséquence. Mais ne serait-ce pas là la fameuse faiblesse dont le poète parle comme la véritable puissance efficiente ? Certainement, mais alors à la condition que le béant de notre incertitude, de notre méconnaissance, reste ouvert et questionnant. Comme le disait Aristote, "La philosophie ne donne pas des vérité mais pose des questions." Dès lors les moyens de la connaissance (et non du progrès) nous sont donnés. C'est dans le trouble du questionnement, dans l'opaque de l'incertitude que nos capacités à réagir, à comprendre, s'ouvrent avec efficience. Car, si la nature a horreur du vide, notre nature humaine a horreur du vide de sens.

C'est donc bien cette méconnaissance qui devient le moyen de notre efficience alors que ce seraient les schémas de nos certitudes qui prétendent être la voie de l'efficacité. C'est plus ce trouble que notre esprit, notre âme, rencontrent qui éveille ce sursaut de survie et devient efficient. Il n'apporte aucune solution mais éclaire le chemin à suivre pour atteindre "la finalité de l'être", alors que son idée reste enfermée dans sa représentation, dans l'idée que l'on s'en fait.

Michel Bobin nous indique que trouver n'aide en rien, et qu'il s'agit plutôt là de la mort de la démarche, de sa fin, du moment de son abandon, de la mort même de l'âme si donc sa finalité est d'atteindre la connaissance. La finalité n'est pas de s'y confondre, alors que chercher est ce qui nous tient debout.

Celui qui cherche l'efficacité prendra les voies connues, réputées "efficaces", alors que celui qui cherche la "vérité" préférera les chemins de l'incertitude, ceux qui portent l'efficience. On fait aussi, dans la culture matérialiste, un usage singulier du concept où l'efficience est la consommation des ressources utilisées dans la production d'un résultat. Ce serait là un composant important de la mesure de la performance. 

Voilà un retour abusif et contraint vers la culture matérialiste, celle du chiffre et des données. Cependant l'efficience, quant à elle, vise étymologiquement la révélation de l'essence des choses. On parle parfois d'efficience matérielle, laquelle s'évalue dans le rapports entre les résultats obtenus et les ressources utilisées. Il s'agit alors d'une confusion mécanique avec la performance. Nous retombons là dans la même boucle qui devient une impasse. La culture matérialiste ne sait pas penser autrement que dans ses certitudes. Elle ne sait ni ne comprend rien au doute ni à son utilité.

Si le mot efficient nous est habituel depuis le treizième siècle, celui d'efficience nous est venu au siècle dernier du pragmatique mot anglais "efficiency". Rien d'étonnant alors qu'existe ce concept utilisé en économie et attaché à l'idée de performance. Il permet alors d'en recenser et d'en analyser tous les facteurs (nombre, compétences, ajustement, etc.). En philosophie, on prêtera plus d'attention à la dimension scientifique d'intelligence et de sagesse, c'est à dire à ce qui répond à l'effet de la science et du doute qui la constitue.

En effet, si l'efficacité mesure la performance à atteindre un résultat, l'efficience compare les chemins de recherche et de pratique, mesurant aussi les effets inattendus, non recherchés et leur influence, leur impact. Alors, on étudie et analyse les différentes manières d'atteindre un objectif. Mais de quel objectif s'agit-il ? D'un résultat qui s'épuise dans le chiffre ou d'un effet sur le monde selon des valeurs ? Je pense alors à la sagesse, à la liberté, à l'humanisme, à la paix, à la bienveillance, à la sérénité, et donc une certaine idée du bonheur, etc...

Si l'expression "ephi" évoque la mesure (de l'hébreu "epha" qui est une mesure de grains), l'efficience signifierait donc "à la mesure de la recherche", c'est à dire de la sagesse, plus que du savoir.

Ceci renvoie à l'intelligence des choses et non pas seulement à des résultats factuels. Ainsi, en matière d'efficience on opposera la manière et le sens à la seule recherche d'un résultat matériel. Une recherche efficiente tiendra donc compte de la nature des choses, de leur sens et orientations plus que du seul résultat chiffrable. En efficience, justement, la fin ne peut justifier les moyens, bien au contraire.

Pour prendre un exemple simple qui nous interpelle justement, en matière de démocratie, ce n'est pas le terme de la loi qui importe mais sa conformité avec les représentations du peuple, avec les attentes profondes des gens. Une décision efficiente sera celle qui tient compte du vécu des acteurs, pas forcément d'une simple déduction logique. Ne perdons jamais de vue que la logique dépend toujours d'intérêts particuliers, voire singuliers. Le chiffre n'est pas la sagesse. Ce n'est là qu'un outil : celui que d'aucuns auront mis en objectif.

Jean-Marc SAURET
Le mardi 12 septembre 2024

Lire aussi  " Bâtissez vos références "

L'activité des Médias de grand chemin (05 09)

J'espère que cet été aura été l'occasion de découvertes et de ressourcements, qu'il vous aura apporté douceurs et satisfactions. Alors, reprenons nos échanges et revenons à nos moutons. Dans mon article "Post-Modernité et alternation culturelle : 1 - L'homo consommateur", je parlais d'une évolution du traitement de l'information dans nos médias principaux. Depuis, les choses ont largement évolué et ces médias principaux sont devenus, selon le mot d'Idriss Aberkane, des médias "de grand chemin", outils de propagande et de distribution d'une bien-pensance officielle. On sait qu'un discours de vérité est ce qui reste quand on a évacué tout ce qui gène. Mais comment s'y sont-ils pris ?

Je n'ouvrirai pas le débat sur les éléments de communication car nous nous perdrions rapidement dans les méandres de raisons et arguments d'opinions et de "toute bonne foi". Je ne m'attacherai qu'aux processus historiques qui font le phénomène, ainsi qu'aux outils et aux acteurs qui l'ont conduit et critiqué jusqu'à nos jours.

En premier lieu, le procédé est largement décrit très simplement dans "le prince" que Nicolas Machiavel écrivit au début du XVIe siècle : instiller la peur par la violence et construire un récit sur la situation qui sert les intérêts du prince. Ce récit contient déjà les bouc-émissaires à évacuer ainsi que les moyens et méthodes de résolution du problèmes, tout en jouant sur les enjeux, les intérêts et les représentations, trois pôles que j'ai déjà plusieurs fois développés. Ceci nous rappelle bien des événements récents. Au delà d'une certaine perte de crédit de ces médias officiels dans la population, suivi d'une certaine défiance, trêve de commentaires. Beaucoup les ont déjà fait ...

Ce que nous voyons aussi, et qui est affiché, réside dans la "qualité" des propriétaires de ces "médias de grand chemin". Ce sont des personnes physiques très bien installées dans la dynamique économique néolibérale. On comprend aisément qu'il s'agit là d'investissements stratégiques et que ceux-ci, malgré les dénégations, dirigent les lignes éditoriales de leurs outils de communication, dans lesquels ils ont des intérêts avoués : développer dans la population un large consentement en leur faveur et ainsi installer aux commandes du pays ceux ou celui qui les servent. Cela marche moins bien aujourd'hui, conscience et défiance obligent.

D'ailleurs, il me souvient que le principe de "fabrication du consentement" a été imaginé par le journaliste très libéral et polémiste américain Walter Lippmann dans les années vingt. Il a ensuite été largement développé par son proche Edward Bernays, publiciste américain et neveu de Freud, dans ses services au gouvernement, aux grandes entreprises et dans son livre "Propaganda" . Cet ouvrage fut édité en 1928 et devint le livre de chevet de Joseph Goebbels, "patron" de la propagande nazie.

On en comprendra l'impact et la proximité idéologique quand le politologue et historien Johann Chapoutot publiera "Libre d'obéir le management du nazisme à la RFA" chez Gallimard en janvier 2020. Il met en exergue la logique commune néolibérale et post-nazie révélant aussi des proximités idéologiques. D'ailleurs, on retrouve des acteurs nazis à des postes clés dans la société économique occidentale, que ce soit dans l'enseignement, dans de grandes entreprises, ou en politique. C'est notemment la nomination à la première présidence de la commission européenne de Walter Hallstein.

Il ne s'agit donc ni d'un hasard ni d'une opportunité, mais bien d'une démarche néolibérale bien pensée. Depuis, les auteurs Edward Hermann et Noam Chomsky ont étudié, analysé et décrit le processus de construction du consentement afin de le donner clairement à voir. Quelques émissions culturelles ont été consacrées à leur travail, notamment sur la chaîne du service public à vocation culturelle, Arte.

L'historien David Collon * rapportait sur son blog : "« Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre d’engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue ** ». Plus que toute autre, cette phrase d’Edward Bernays, publiée en 1928, a contribué à donner de lui, et ce jusqu’à nos jours, l’image d’un maître de la manipulation de masse et l’inventeur de la fabrique du consentement."

Le Designer Bachir Soussi-Chiadmi écrit à cet endroit : "Dans le contexte d’une démocratie, l’usage de la force pour amener les masses à agir comme les dirigeants (politiques ou économiques) le souhaitent n’est pas permis, il faut alors se tourner vers une autre solution, c’est a dire la manipulation de masse, ou propagande, visant à éteindre l’esprit critique dans la population et à lui faire accepter des lois contraires à ses propres intérêts." C'est ce que l'on nommera les "relations humaines" selon les mots d'Edward Bernays lui-même.

Le principe de ce type de manipulation a été aussi largement décrit par Georges Orwell dans son livre "1984". Il consiste à faire peur et flatter les instincts érotiques, d'appétit ou d'émotion. D'autres sentiments, ou sensations peuvent se trouver sollicités : telle la fierté, le pouvoir. Il en va de même avec le sentiment d'appartenance et d'affection, auprès des personnes de la population afin d'instiller dans leur esprit une réponse stimulante. C'est, par exemple, ce que Bernays fit pour le compte de cigarettiers américains quand il créa la publicité affirmant que la cigarette serait un "flambeau d'émancipation des femmes".

Cette propagande est un art de la manipulation et du mensonge. Edward Bernays en était fier. D'ailleurs, il ne se dédit jamais. Oui, il y a quelque chose de cynique dans cette posture, voire même de psychopathique. Elle sert des intérêts en accord avec ceux des propriétaires des médias de grands chemins. Il est donc bien évident que la manipulation se poursuit aujourd'hui, même si des dissidences se développent. La manière de détourner le public de cette réflexion-ci est d'user du mot convenu de complotiste. Cela fait aussi partie de la démarche : la disqualification des opposants lucides, une autre forme de la "négation du contradicteur". Là aussi, cela fonctionne de moins en moins bien ...

Il n'est pas utile ici d'aller plus loin : tout est particulièrement bien développé dans les propos et l'analyse de Hermann et Chomsky. Je ne peux que vous inviter à visionner ce fidèle reportage qui en témoigna sur Arte en cliquant sur ce lien.

La présentation de la vidéo nous indique que : "La vie est faite de choix, mais êtes vous certain de faire les vôtres librement ? Dans ce reportage, découvrez comment Edward Bernays a su créer l’illusion du libre arbitre en mettant des outils et techniques de manipulation de masses à disposition des états et des industries. Souriez vous êtes manipulés"...

La meilleure façon de noyer le poisson est de toujours maintenir l'eau trouble. Il s'agit ensuite de qualifier ce qui est le camp du bien et bien sûr l'autre dans un "discours" qui sera celui de la vérité. C'est "grâce à lui" que l'on pourra dire, effacer et mentir en toute "loyauté" et impunité. Alors nous gardons attention et vigilance ! C'est ici une autre manière de confondre "la carte et le territoire"...

Ainsi, on se rend compte que ce que distribuent les médias de grand chemin est d'abord une propagande. Et la propagande n'est ni plus ni moins que la répétition permanente d'un mensonge, disait Orwell. Il finit par occuper une part du réel comme si ça pouvait être vrai, jusqu'à ce que des gens commencent à y croire. Mais, comme nous le dit Davide Tutino, professeur romain de philosophie, "la désobéissance civique est la plus haute expression du dialogue entre l'individu citoyen et le pouvoir dominant. Elle est le message de la lucidité." Et cette lucidité pointe le bout de son nez...

Il pourrait m'être opposé de manquer de factualité. Alors voici quelques courtes questions sur l'actualité récente : pourquoi les émeutes n'ont-elles durée que cinq jours ? Personne ne souhaite y répondre, n'y a répondu et depuis plus personne n'en parle comme si elles n'avaient pas existées. Certains avancent que ce sont les trafiquants de drogues qui seraient intervenus pour protéger leurs affaires. 

Mais qui a étudier la sociologie de ces émeutiers ? Personne ! Du moins personne n'en a rapporté les résultats ni l'hypothèse qu'ils soient. L'Italie, l'Espagne ou l'Angleterre l'ont fait et ont ainsi montré que ces pays savent le faire. Mais ici, rien n'est dit au delà de la carricature officielle. Cependant, au vu des cibles d'actions de ces émeutiers, on peut comprendre qu'il s'agit plutôt de violences revanchardes, bien loin de toute démarche politique.

A ce jour, il ne s'agit pas encore d'une  nouvelle commune de Paris car bien trop étendue et non locale. Il ne s'agit pas non plus de la révolte d'un sous prolétariat, car les cibles des violences ne sont pour l'heure pas les moyens de production ou de gestion, comme des banques ou des centres d'affaire, mais des magasins de consommation, voire très peu de symboles du luxe. Pourtant les médiats de grand chemin ont rabâché ces images isolées. Les rues semblaient pleines de consommateurs avides plutôt que de citoyens révoltés. Le néolibéralisme a fait son œuvre.

Il ne s'agit pas encore non plus d'une révolution politique avec projet de société car éteinte au bout de cinq jours, sans slogan ni stratégie. Ce n'étaient là qu'actions violentes et anonymes. Non, il s'agit juste d'une réaction de violences revanchardes, de consommateurs qui se rendent compte qu'ils sont privé des produits de la société, qu'ils sont les perdants du système, les abusés de la politique et de l'économie. Ce sont des consommateurs néolibéraux, des morts-vivants de la société, en quête de jouissance immédiate. Et ceci personne n'en a fait l'analyse... Faudrait-il certainement relire Nietzsche et Dostoïevski ? Il y aurait encore tellement à dire...

Mais aujourd'hui, il me semble que deux phénomènes marginaux et culturels font symptôme : l'explosion à travers le monde du nombre de spectateurs à "Sound of Freedom", ce film qui dénonce le trafic d'enfants, et ce malgré les censures (comme en France) et les attaques du monde de la production de culture, les dénigrements par les médiats de grand chemin comme par le puissant monde d'Hollywood pour des questions d'intérêts et d'enjeux. C'est aussi l'explosion dans le monde anglophone de la chanson country et minimaliste d'Oliver Antony "Rich Men North of Richmond" qui décrit cette prise de conscience d'être manipulé et spoliés par la minorité des plus riches. Sa vidéo se repend sur la toile comme une traînée de poudre et c'est le cas de le dire. D'ailleurs, les tentatives de récupération sont nombreuses et Oliver Antony les dénonce clairement. Le commun des mortels n'est pas dupe et un autre monde se prépare...

Ceci mériterait une publication plus conséquente. Mais plusieurs existent déjà, comme celles de David Collon (citées en annexe). En attendant, nous assistons actuellement et graduellement à une large prise de conscience populaire du mensonge et de la manipulation des élites pour leur propre compte. De plus en plus larges populations réalisent qu'elles ont été spoliées, forcées, contraintes et manipulées dans une fabrication de leur consentement non éclairé, masqué, aux raisons occultées.

Il est vrai, comme l'a dit le sociologue Michel Maffesoli, que quand un système en perte de ses fondamentaux s'effondre (et je pense à cette démocratie républicaine), il se caricature et se radicalise avec violence. Actuellement, les populations réalisent que le temps des réparations doit venir. Ainsi il faudra s'attendre à une réaction dont la violence sera à la hauteur de ce qui a été vécu. Ce peut être quelque chose de l'ordre d'un mai 68 étalé dans toutes les grandes villes puisque les "gilets jaunes" ont montré le chemin. Selon les cultures, le raz de marée pourrait bien s'étendre sur toute la planète. Les élites dirigeantes ont donc du soucis à se faire car le printemps 2024 sera vraisemblablement très chaud.

David Collon est l'auteur de plusieurs ouvrages dans ce domaine, notamment : "Rupert Murdoch. L'empereur des médias qui manipule le monde" (Tallandier, 2022), "Les maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse" (Tallandier, 2021), "Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain", Paris, Belin Editeur, Collection « Histoire », 2019, 

 *Edward Bernays, Propaganda, Paris, Zones, 2007 (1928), p. 55-56

Jean-Marc SAURET
Le mardi 5 septembre 2023

Lire aussi : Post-Modernité et alternation culturelle : 1 - L'homo consommateur " 

Le besoin de vérité (25 07)

Le besoin de vérité taraude la culture populaire et si l'exemple ne vient pas d'un "en haut", c'est le début de l'anomie. Les gens sans exception, ont ce besoin de la fin de l'imposture. Il abhorrent le mensonge institutionnel. Des événements récents nous indiquent même la faillite du politique. Et pourtant, qu'est-ce que la vérité sinon ce discours qui nous "raconte ce qui est, et donc qui est vrai ?". 

Bien des personnes invoquent le discours scientifique pour affirmer que "c'est vrai". Mais, comme le rappelle la biostatisticienne Christine Cotton, la démarche scientifique n'est pas de croire mais de vérifier car le doute est scientifique. Sinon il y aura dans les propos des politiques, des leaders et des médias, plus d'incantations que de vision, et d'explications démontrées. Il s'agit alors, comme le dit Michel Maffesoli, de "se purger des évidences théoriques" (le proclamé par la bien-pensance, selon le mot de Bernanos) pour constater l'évident. Pour ce faire, il invite à éteindre les télévisions et ouvrir les livres pour redonner de la place au questionnement. Celui-ci est bien la démarche de raison, la démarche scientifique.

De fait, ce n'est pas tant de vérité dont nous avons fondamentalement besoin, mais de certitudes. Si la nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du vide de sens (je l'ai bien souvent montré dans mes précédents ouvrages). 

Partout où elle ne trouve pas de sens, notre nature humaine l'y invente. On appelle aussi cela abusivement la recherche de la sagesse, ou le besoin philosophique, peut être par la seule peur du vide. Ici, quelques assertions suffisent à combler le manque et voilà comment les mensonges deviennent la vérité, comment les manipulations fonctionnent, comment les discours de vérité se substituent à l'amour de la vérité, à sa recherche profonde. George Orwell avait raison !

On a parfois la certitude d'être quelqu'un, une certaine personne dans ses caractéristiques et qualités. Il arrive bien souvent que cette certitude s'installe comme une réalité parfaite, et donc définitive. Nous combattons alors pour la défendre, la protéger. Rien ne saurait venir troubler cette certitude. Ce n'est donc pas la vérité que nous préservons, mais la certitude d'être ceci ou cela.

Comme l'ont tant déclaré les philosophes anciens, tels Platon, Socrate ou Aristote, "recherche au fond de toi ta réalité profonde et tu rencontreras l'univers et les dieux". Tout ce que nous avons de singulier au fond de nous est universellement humain et divin à la fois. Une fois de plus, l'intuition, que l'on rencontre dans la contemplation, la méditation, ou telle ou telle autre démarche, nous apporte les connaissances que l'on recherche sur ce qui nous occupe. Rappelons nous encore qu'Einstein, Poincaré et bien d'autres scientifiques, fonctionnaient ainsi. Selon eux, l'intuition indique la réponse, la solution, et la raison la démontre.

Rappelons nous aussi cette citation du poète Léonard Cohen : "Ce sont les fissures de notre âme qui permettent à la lumière d'y pénétrer". De notre fragilité nait notre capacité de dépassement, de connaissance profonde, de sensations essentielles, d'accueil de l'incongru et de l'irraisonnable. Seules les personnes qui ont connu l'ombre savent ce qu'il s'y passe, et comment. Elles sont réceptives sur les chemins de retour, sur la façon de s'en sortir, connaissant les façons d'en guérir. La bienveillance, l'empathie et la compassion sont suffisantes à ramener la santé au monde. Les faiblesses sont bien nos portes de salut, nos puissances intrinsèques.

Bien des démarches scientifiques, qui ont toute l'apparence de la raison, sont parfois issues de visions incongrues, de croyances liées à des envies, à des intérêts, à des enjeux et à des pensées courtes. Bien des affirmations développées rationnellement peuvent ainsi partir d'idées fausses. Je pense à l'intelligence artificielle qui part de le l'idée fausse que notre cerveau fonctionnerait en base deux, comme un ordinateur. Ce qui nous a fait inventer cet immense calculateur qui n'a rien à voir avec l'intelligence humaine. C'est une erreur de représentation : notre vision mécaniste du monde nous a fait croire à cette ineptie et depuis nous en déroulons d'autres. 

Avez vous déjà entendu parler d'intelligence émotionnelle, de l'intuition, de la créativité, de l'intelligence expérientielle que l'on nomme aussi le bon sens ? Aucun ordinateur ne sait faire cela. Parce qu'il n'est qu'un gros calculateur, il faut à un ordinateur des milliers d'itération pour qu'il reconnaisse enfin un objet. En revanche un enfant n'a besoins que de deux présentations pour faire la même chose. L'intelligence n'est ni une somme de calculs, ni un empilement de comparaisons, mais l'expérimentation de vécus avec ses sensations et ses interprétations. Ici la question du sens se pose...

De fait, l'IA est comme une opération transgenre, car toute intelligence implique la conscience. Tout le reste n'est que compilations mathématiques. Elle est comme une mutilation qui imite l'apparence de l'autrement, mais sans en apporter les qualités particulières et singulières. Un homme pourra toujours rêver d'être une femme depuis sa nouvelle apparence sans que pour autant son vagin tout neuf ne soit jamais qu'une blessure stérile, sans matrice ni clitoris, à entretenir et soigner chaque jour. Il s'agit bien d'un mensonge. C'est une apparence trompeuse sans fondement, traitre à la promesse qu'elle suscite. Depuis, combien de suicides chez lesdits "transgenre" ? Même cette dénomination est une fausse promesse, un mensonge même.

L'IA se pense intelligence alors qu'elle ne représente qu'une longue et fastidieuse capacité de calculs accélérés de données considérables. Luc Julia, l'ingénieur franco-américain, inventeur de Siri, affirme même que l'intelligence artificielle n'existe pas. Quand il faut à l'IA dans les cent mille images de chat pour commencer à en reconnaitre un, un enfant de deux ans n'en a besoin que de deux, soit deux potentialités de chat, pour ce faire. 

Quand l'homme se prend pour dieu, il n'invente que des apparences, des leurres et des applications mathématiques, fondées sur la seule représentation mécaniste du monde. Redisons nous bien que ce qui fait nos actions, dans leurs objets et leurs formes, ce sont bien nos enjeux, nos intérêts et nos représentations. Les contraintes apparaissent alors en creux de ces dimensions.

La vérité est donc plus une affaire de conscience que de logique. Bien des physiciens reviennent à l'idée que l'âme est l'essence de l'être, le silence du soi profond, la paix du corps détendu, la sensation du tout par l'ouverture du cœur. Aucune IA ne saurait prendre cela en compte, ni en faire quelque chose.

Par ailleurs, la vérité n'a pas besoin du mensonge pour exister. Ce sont les résistances à l'intelligence qui le font naitre. Nous le formulons chaque fois que nous voulons éviter la prise de conscience, la remise en cause tant de soi, de nos valeurs, de ce que nous sommes profondément que de nos certitudes et de nos intérêts. Ce sont ceux-ci qui sont les socles de nos "choix de vérités", jusqu'à l'absurde. Alors, pour la paix du monde, "Chut ...". Le sage nous indique que parfois il vaut mieux avoir la paix qu'avoir raison. De toute manière, comme le disait Pierre Dac, "on ne discute pas avec les imbéciles : ça pourrait les instruire"...

De fait, quand l'intérêt est premier, la mauvaise foi et le mensonge, la manipulation et la violence, occupent le terrain de l'argumentation dans le dialogue (quand il y en a un). Comme j'aime à le dire, ce que l'on dit de moi ne me concerne pas, mais seulement ceux qui le disent. Ils ne parlent que d'eux-mêmes dans la défense de leurs intérêts, de leurs certitudes et de leur tranquillité. En effet, notre besoin de vérité est réel, mais il ne s'agit pas de n'importe laquelle... 

Il me semble que l'obstacle majeur à la vérité est bien la peur, celle de perdre sa sécurité, ses certitudes, sa quiétude, voire aussi le confort de la tranquillité, là où nous nous rendons "imbousculables". Il s'agit aussi de toutes ces peurs subjectives qui nous font nous réfugier sous le couvert de récits absurdes et de parti-pris, voire faux, mais qui ont l'apparence de "l'officiel", la couleur du scientifique, le goût des certitudes. Les monstres qui instillent les peurs tomberont d'eux même si justement nous n'en avons pas peur et continuons notre vie en vérité sans eux.

Rendez-vous le 5 septembre et bel été à vous !

Jean-Marc SAURET
Le mardi 25 juillet 2023

Lire aussi : " L'émotion au cœur des mécanismes de la cohésion sociale " 

La contribution d'autres regards (18 07)

Il arrive bien souvent que nous n'entendons l'autre, et le comprenons, que depuis ce qu'il représente à nos yeux, et ce depuis notre propre symbolique. C'est à dire depuis la "case" où nous l'avons "casé". Si il en sort, nous ne l'entendons pas ou nous écrions que "ce n'est pas possible !". Et puis, un événement, une rencontre différente, une posture personnelle apaisée, nous fait rencontrer autrement la personne que l'on avait "casée" sur des a priori, ou quelques aperçus, et ce corrélé à des représentations stéréotypées du monde, des personnes, des gens et de tout... C'est bien là un véritable système.

Ainsi, je "rencontrais" sur la toile Philippe de Villiers, homme politique connu que mes représentations avaient "casé" comme pas très intéressant ni très intelligent. Je sais, c'est très bête de fonctionner ainsi, mais je n'étais jamais revenu sur les "étiquettes" accrochées aux quelques personnes qu'elles épinglent à mon propre insu. Il est bon, de revenir avec le regard neuf d'un enfant pour découvrir ces personnes que l'on imagine connaître. De fait, et a priori, nos approches courtes sont confortables et la rapidité avec laquelle nous en usons pour catégoriser et classer les personnes nous apparait alors malveillante, violente et stupide.

Je l'écoutais donc dans une interview inhabituelle pour moi puisqu'il n'y parlait pas de politique mais de culture et de projets. Sa vision du monde et des choses apparaissait assez finement et j'en fus surpris et heureux comme lorsqu'on rencontre quelqu'un pour la première fois et que l'on se découvre quelques accointance, fussent elles mineures.

Il posait quelques points de vue intéressants qui résonnaient avec des valeurs qui m'habitent. Je retrouvai notamment ce sentiment, quand il dit que "Le pardon est ce qui transforme le mal en nouvelle chance", phrase profonde qui m'interpelle. Un peu plus tard il posait que "Tant que la mort existera, la question de la vie se posera et tant qu'elle se posera, il n'y aura pas d'épuisement spirituel !" J'avoue que mon esprit s'est alors mis à gambader plus loin encore...

Je découvrais une personne avec qui j'aurais moi aussi pris plaisir à partager, à discuter, bien qu'a priori nous ne soyons ni du même monde, ni dans les mêmes choix politiques et sociaux. Et comme il le dit plus tard, "On est plus fidèle à son tempérament qu'à ses idées !". Ceci me semble témoigner d'une sensibilité humaine profonde. Cela résonna en moi comme une évidente redécouverte de ma réalité.

Quand plus avant, il citait l'ecclésiaste ("Malheur au royaume dont le prince est un enfant."), je vis qu'il avait des références que je connais de par mon éducation même si je suis loin d'en user. Ce partage culturel me rendit plus proche et j'écoutais avec davantage d'attention son témoignage, son auto portrait. Notamment quand, plus tard, il partagea quelques éléments de son vécu rural : "J'entendais les trois appels du matin : le coq, l'appel à la vie de la nature, l'angélus, l'appel de l'âme à la spiritualité, l'enclume, l'appel physique au travail." C'était aussi là un sobre mais attentif portrait de quelques détails et "points de vue" sur la dimension humaine.

Je compris aussi que, même si nous ne serons sans doute jamais de la "même école", j'appréciais son témoignage philosophique, notamment encore quand il posa cet aphorisme : "Un peu de mépris économise beaucoup de haine..." ou quand il posait que "L'homme est comme l'arbre, entre l'humus et la lumière, des racines à la cime." ou encore que "La terre est comme la femme. On l'a respecte, on l'honore et l'on recueille son fruit. On ne la viole pas !". 

Quel n'a pas été mon étonnement quand il lâcha que "Ce sont les minorités qui font l'histoire parce qu'elles sont actives." Et là, j'avoue que ces quelques mots résonnaient en moi, venant bousculer et questionner quelques représentations sociales et personnelles que la poussière du temps avait quelque peu recouvert. C'est en quelques mots toute la dimension de la psychosociologie et des représentations sociales chères à serge Moscovici et Denise Jodelet que j'avais eus pour professeurs à l'EHESS.

Quand plus loin il proposa que "dans chaque chose, n'oubliez jamais de vous demander pourquoi", je compris que je n'étais plus un spectateur ordinaire mais un écoutant actif et que mon tour venait... 

Il me revenait alors quelque chose qui m'habitait depuis longtemps comme un pilier de mes perceptions et analyses, de mes comportements aussi : nous ne sommes pas seulement des êtres de chair, avides et consommateurs, mais des êtres de cœur, de raison et d'esprit qui vibrent de sentiments, de réflexions et d'intuition, et que l'essentiel est certainement là.

Depuis, je prends le temps de regarder et d'écouter avec patience et attention, comme enfant j'ai pu le faire, sans ego ni certitudes, perpétuellement à la recherche de ce qui est, prêt à se faire surprendre, prêt à l'émerveillement, prêt au bousculement. 

Je me souviens alors que le docteur Jean-Jacques Charbonnier parle de la conscience intuitive extra neuronale totalement évidente. Elle s'avère bien différente de la conscience analytique inscrite tant dans le langage que le construit conscient. Dès lors, bien des conceptions remontent dans mon cœur et ma conscience, venant fleurir tout ce que j'entends et écoute... 

Peut être, voir sans doute, je ne voterai pas comme le vicomte de Villiers, et cela n'empêche pas d'écouter cette partie de l'homme pris dans un registre inhabituel et inattendu. Bien des rencontres incongrue, s'avèrent être alors des contributions d'un autre regard, enrichissantes, si même parfois déroutantes. Encore faut-il rester réceptifs et bienveillant quoi qu'il en soit pour que l'enrichissement se fasse. Saint-Exupéry avait écrit : "Ta différence, mon frère, loin de me léser, m'enrichit".


Jean-Marc SAURET
Le mardi 18 juillet 2023

Une hypersensibilité ordinaire (11 07)

Voici un cas patent où une singularité, une particularité personnelle, vient en s'y substituant masquer dans le discours social une certaine capacité universelle, en l'occurrence l'intuition. Laquelle intuition est effacée, occultée et donc socialement paralysée par la culture dominante "rationalisante"Certains évoquent l'hypersensibilité pour définir l'insupportable et la douleur qu'ils vivent comme s'ils voulaient transformer tout cela en avantage, voire même en qualité supérieure. Dans ce cas précis il s'agit bien de l'intuition, peut-être même d'une "hyper-intuition", voire une certaine efficience spirituelle. Il faut juste comprendre que nous y sommes tous soumis et que c'est la culture, l'éducation et la "pollution sociale" qui induit cette sorte d'individualisme concurrentiel néolibéral. Le phénomène s'apparente à une pseudo normalité, laquelle exclut l'intuition sensible des démarches rationnelle normales.

Cet exemple est patent pour montrer comment un propos marginal va porter en singularité un complexe comportemental minoritaire. Il deviendra ensuite un objet d'identification, d'appartenance à un catégorie qui vient d'être créée sous un vocable nouveau : les hypersensibles. Cela ressemble à une démarche thérapeutique sociale, et c'est certainement pour cela que ça marche.

A ce que je vois, les personnes qui parlent de leur hypersensibilité, de ses atouts et de ses conséquences, ont le regard tourné vers eux-mêmes, ou du moins vers l'image qu'ils se font d'eux-mêmes. Pourtant, comme le disent nombre de sages pensées dans le monde, qu'elles soient orientales, occidentales ou d'ailleurs, c'est le regard porté sur ce dont on s'occupe, sur ce que l'on a à s'occuper, qui fait la qualité de notre œuvre, et rien d'autre.

Je reviens sur la pensée du psychologue américain d'origine hongroise, Mihaly Schiksenmihalie. Il a montré dans un ouvrage remarquable et remarqué, "Vivre" (Ed. Robert Laffont, 2004), que les gens situent leurs conditions de bonheur dans une état de "flow", que l'on a traduit par le "flux". C'est cet état où la personne est totalement absorbée par ce qu'elle fait et qui l'occupe totalement jusqu'à perdre les notions de temps, de faim et de dépendance à l'environnement. 

Il m'apparait qu'une personne, dont l'esprit est focalisé sur soi, ne peut être ni efficace ni disponible pour ce qu'elle a à faire, sur ce dont elle s'occupe, même s'il s'agit d'elle même. Par exemple, ce qui fait perdre ses moyens à un sportif est, selon les dires des acteurs eux-mêmes, au stress. Et ce stress est du, la plus part du temps, à leur préoccupation sur les enjeux, sur les circonstances, sur la situation particulière, etc. Il s'agit en fait d'éléments tout à fait périphériques à ce qu'ils ont à faire.  Voilà qui relève totalement du regard et du seul regard qu'ils portent sur ces éléments.

Ceux qui réussissent avec régularité, ce qui fait d'eux des champions remarqués, est le détachement qu'ils savent opérer  entre l'essentiel et l'accessoire. Il s'agit en cette occurrence de ne s'occuper et se préoccuper que de ce qu'ils ont à faire au moment opportun. Je repense à certains sportif exemplaires comme le rugbyman anglais Johnny Wilkinson dont le jeux au pied et les talents de buteur ont été décisifs, efficaces, réguliers et remarquables. Il procédait à un rituel de représentations qui le sortait du match. Il précisait lui-même qu'il s'agissait, pour lui, de retrouver l'environnement de ses entrainements, là où il réussissait systématiquement.

Par quelques gestes répétitifs, il se retrouvait donc "à l'exercice" et exécutait, comme il le disait, ce qu'il savait faire le mieux et si facilement, tellement il s'y était entrainé. Il entrait dans une polarisation sur ce qu'il avait à faire, coupé des contingences du match devenues dès lors "extérieures". C'est ainsi que l'on peut voir tout ce que le "Flow" évacue en situation de bonheur.

Ainsi, ceux qui visent la performance ne devraient viser que le bonheur et, si le bonheur apporte cet état de flow, alors passer par le flow. Car c'est cela qui met l'acteur dans les conditions du bonheur habituel. Dès lors, tout se passe pour le mieux. Comme d'autres l'ont dit, la foi et la joie sauvent.

Bien des entraineurs sportifs invitent les joueurs à "se faire plaisir" lors des matchs. C'est là une convergence avec ce type d'approche par le flow. Depuis, les psychologues, à la suite de Mihaly Schiksenmihalie, ont pensé le "flow collectif", cette même situation partagée en équipe où tous les acteurs sont polarisés sur ce qu'ils ont à faire ensemble. On les retrouve alors détachés des pressions de l'environnement, du contexte, des circonstances. Ils parlent aussi de "flow social" où ils trouvent par ailleurs les conditions et circonstances de l'innovation.

Alors, pour sortir des complexes qui amènent à se considérer comme marginal, et donc victimes de dépendances à des émotions intérieures du type de ladite hypersensibilité. Au delà de penser ces inconvénients en avantages, peut être suffirait-il d'entrer dans le flow du bonheur par quelques pratiques rituéliques et alors jouir de ce flow qui nous est si familier dans les instants de bonheur. Il s'agit bien de modifier son regard sur ce que l'on est en train de faire, entre peur et amour...

Au delà de se penser particulier, voire avantageusement singulier, en regardant ainsi ses "défauts" comme des opportunités, peut-être suffit il simplement de se sentir heureux. Corrélativement, il devient possible de vivre l'instant "Carpe diem".

Cette "gymnastique toute mentale" nous allégera des complexes limitants. L'efficience est peut être, sinon sans doute, dans l'instant présent, l'oubli de soi et des circonstances pour être simplement là, dans le flow. C'est aussi ce que procurent la méditation, l'émerveillement, la visualisation ou la contemplation, n'est-ce pas ?

Au delà de se penser particulier, voire avantageusement singulier, de regarder ses "défauts" comme des opportunités, peut-être qu'en étant simplement heureux de vivre l'instant nous allègera des complexes limitants. L'efficience est peut être dans l'instant présent, l'oublie de soi et des circonstances pour être simplement là, dans le flow. C'est aussi ce que procurent la méditation, l'émerveillement, la visualisation ou la contemplation, non ?

Dans ces conditions, soit vous faites ce que vous aimez jusqu'à atteindre le flow ! Soit vous faites autre chose et pour le faire vous passez par le flow à l'aide de quelques rituels simples. C'est alors que vous serez heureux de faire ce que vous faites, sous les meilleurs auspices. Mieux ! Vous le ferez bien, loin des pressions sensibles émotionnelles. Car, redisons l'assertion de Marc Aurèle, ce ne sont pas les choses qui nous gênent, mais le regard qu'on leur porte !

Jean-Marc SAURET
Le mardi 11 juillet 2023

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