Une proposition bouddhiste dit que la connaissance résulte de l'intuition passée au filtre de l'expérience. Il s'agit de sensations directes. Cela signifie donc que les mots et les concepts sont incompétents à "fabriquer" de la connaissance. Au mieux, les mots traduisent la réalité pour un mental infirme, aveugle et sourd, sans toucher, sans odorat, sans émotions. Selon cette proposition, la connaissance relève donc du vécu dans des sensations. Bien des sagesses se retrouvent ici.
Je prendrai pour illustration une longue corde entièrement nouée. Elle constitue le problème conceptuel de la réalité. Pour le comprendre, il suffit de défaire tous les nœuds afin de rendre la corde lisse, souple et ainsi allongée. Dans ce contexte, les mots et les concepts sont-ils des "explications" des nœuds, de réels "commentaires" ? L'esprit comprend alors comment procéder pour les dénouer. Néanmoins, faire cela n'est pas aussi simple que de le dire. Les "ongles de nos mots" n'accrochent pas justement la corde et la force du serrage des nœud fait qu'ils résistent. Voilà qui rend le "délacement" difficile. Défaire consiste ainsi à "comprendre" comment le nœud s'est constitué pour procéder au chemin inverse.
Alors seulement, l'être rêve d'une autre voie, d'un "autrement" plus efficace, plus direct et plus facile. C'est alors que celui-ci pense à la dissolution de la corde dans un bain de sérénité. Il se met donc à contempler, à méditer, c'est à dire à ressentir l'instant dans sa globalité.
Je repense ici aux écrits de Spinoza, lequel a relu les écritures saintes à l'aune de sa rationalité. Il a découvert des invraisemblances et des incohérences qui lui ont fait douter de la doxa hébraïque et même chrétienne. Il a compris que les récits canoniques rédigés bien longtemps après la disparition du dit Jésus construisaient plus un pouvoir sur les croyants qu'une foi révélée. C'est ainsi que le récit devient "vérité" qu'il convient de ne pas remettre en cause. Ici, croire c'est obéir et se soumettre. Encore une fois, Spinoza avait raison....
Nous avons ce problème, voire cette singularité, de ne pouvoir comprendre que ce qui se tient dans les mots et les concepts. Sinon, nous avons tendance à nous exclamer que "c'est vide ! Ca ne tient pas !" Sans les mots, on ne sait pas concevoir. Sans raisonnement, on ne sait ni préciser, ni décrire ou faire le contour des choses, en donner la précision et le sens. Mais si seulement il suffisait de donner à voir ? Ce serait tellement plus simple car plus direct et plus global.
Il me revient ce moment où, ouvrier agricole, je disait à mon patron que les outils qu'il m'avait indiqués n'étaient pas adaptés pour accomplir la tâche qu'il m'avait commandée. Il ne m'a pas contredit et m'empruntant lesdits outils il fit un brin de la tâche. A la vue de son accomplissement, je compris clairement comment je devais m'y prendre, comment faire ce travail, et comment il serait plus judicieux que je fasse. Ce n'était pas une question d'outil mais de mode de faire. Il s'agissait davantage de voir comment les utiliser dans une autre vision de la tâche par une connaissance pratique de la matière à travailler.
Ce n'est pas clair ? Je vais raconter dans le détail. Mon patron m'avais demandé de déplacer un tas de coques vides de maïs laissées derrière un bâtiment. Il m'avait indiqué d'atteler la petite benne au vieux tracteur, de récupérer une pelle dans la stabulation, de récolter les coques vides dans la benne et de les apporter au bout du "champ clair". Je m'exécutais mais la pelle avait trop de mal à "rentrer" dans le tas de coques et je "mascagnais" à faire quelques pelletées. Exaspéré, je m'en ouvrit auprès du patron : il m'emprunta la pelle en disant juste "Voyons ?..." Je le vis "gratter le tas au lieu de chercher à enfoncer la pelle dedans. Les coques "sautaient" en l'air et retombaient dans la pelle... Je venais de comprendre. Le geste et la pratique étaient venus m'instruire.
Je ne savais pas encore que la vision guidait mes pas mais cette réalité était déjà en chemin. L'image de ce que nous voudrions réaliser s'installe dans notre conscience (voire inconsciemment) et dirige nos gestes. Ce n'est donc pas la description par les mots qui nous apporte la connaissance mais la connaissance des "modes de faire" portée par l'usage. Elle se doit d'être accompagnée de représentations et d'images. L'intelligence est bien certainement cette articulation d'imaginaire dans des représentations que et qui nous indiquent en même temps le quoi et le comment. C'est là le cercle vertueux de l'image pratique, pleine de sensations utiles.
C'est bien la seule chose utile et dont nous avons expressément besoin pour faire : l'intelligence pratique de "comment ce doit être" et des moyens, des modes pour y parvenir. Ce ne sont donc pas les mots qui enseignent, même s'ils libèrent, mais l'intuition d'une intelligence pratique qui pointe une finalité claire et précise (comme si elle était réalisée). A partir de là me reviennent nombre d'expériences. Comprenant totalement comment m'y prendre dans une vision claire du but, la solution, ou la résolution du problème s'impose alors à moi. Seul celui qui dispose de l'intuition, bouscule celui qui est en position d'exécution. Il fait alors “à sa place”, dans un "Euréka !" joyeux : "J'ai trouvé ! Regarde ! On va faire comme ça..." Ceci ravive bien des souvenirs, même d'enfance, à nombre d'entre nous.
Ainsi, comprendre est bien prendre avec soi, sans aucun mot, mais avec la certitude de l'intuition doublée des sensations vers un but clair. Mieux que les mots, la certitude et l'intuition s’offrent tant à l'objet à réaliser, qu'au mode de faire. C'est bien là que se trouve la connaissance, dans une pratique au-delà des mots. Ainsi, cette intuition débarque-t-elle dans nos vies avec une chaîne de sensations visuelles, olfactives, sonores, tactiles, et même au-delà... Connaître, disent les linguistes, c'est naître avec ou en même temps. Il y a vraiment quelque chose de cet ordre là, dans l'intuition. C'est bien elle qui délivre en premier lieu les connaissances. C'est seulement après que, viennent les mots qui racontent, commentent et expliquent. Einstein, Poincaré et Descartes ont décrit et raconté que leurs démarches étaient de cet ordre là : une intuition claire du résultat (dès lors que l'objectif à atteindre est clairement posé) directement suivie de déductions rationnelles pour l'expliquer. Dont acte...
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