Le souverainisme indique la capacité à décider soi-même des affaires de son territoire, de son milieu, de son champ. Il signifie que nous y sommes maîtres de notre destin. Le patriotisme est un amour de la terre qui nous a vu naître. Il en découle donc, un attachement émotionnel à ses racines géographiques et sociales. La posture libertaire renvoie, quant à elle, à la liberté personnelle quelle qu'en soit la problématique. En l'espèce, la personne pose ses choix en vertu de ses liens propres, de ses intérêts économiques, émotionnels, imaginaires ou idéels. Effectivement ces trois concepts ne se superposent pas. Ils ne se croisent pas davantage, dans nos champs personnels et sociaux. Chacun tend vers un idéal comportemental propre, voire vers une identité sous-jacente. Aucun ne relève de la même procédure, ni de concepts de même plan. Il est donc bien logiquement possible qu'une personne soit attachée aux trois principes. De la même manière, elle peut aussi ne se sentir relever d'aucun.
Je pense au sociologue et philosophe Michel Onfray. Celui-ci témoigne d'une pensée libertaire proudhonienne et, en même temps, se déclare souverainiste. Concomitamment, il défend la pertinence de cette posture. Au passage, il défend la politique et le comportement éthique du Général de Gaulle. Ceux-ci pourraient apparaître incompatibles avec la pensée proudhonienne.
Je ne peux m'empêcher de penser aussi à Sarah Knafo. Tout comme son compagnon et partenaire Eric Zemmour, leur patriotisme que l'on pourrait qualifier "d'universel", transparaît dans la majorité de leurs démarches. D'ici ou d'ailleurs, leur adhésion au projet républicain, et à la culture française, pourraient suffire à faire nation, à l'aimer et à la défendre. Cependant, je ne relève pas dans leurs propos cette incompatibilité notoire entre patriotisme et leur adhésion européenne. Il y a parfois des logiques qui m'échappent.
Je pense aussi à Jean-Luc Mélenchon qui ne défend aucun nationalisme et qui regarde le pays où il vit comme une république mutable, pour un peuple mutant, autour du concept de "nouvelle France". On va retrouver ici la notion des cités opposée à celle des contrées. Il n'y a de surcroît, pas toujours de lien avec une éventuelle identité européenne qu'il accueille pourtant dans son propos.
Je ne peux éviter de penser aux tenants du rassemblement national qui, contrairement au nom même qui les unit, est affiché comme tout à fait compatible avec une conception d'Europe fédérale. Pourtant, dans cette même Europe fédérale va se dissoudre l'idée même de nation souveraine. Que tirer de ces incompatibilités, pourtant factuelles ?
Nous voyons bien là, en effet, que les concepts traités ici ne sont ni liés ni dépendants d'approches politiques propres, quelles qu'elles soient. Ils n'ont donc ici aucun lien idéologique ou éthique. Ils n'offrent pas davantage d'ancrage dans un principe considéré comme fondamental. On les verrait plutôt comme des prétextes, ou comme des valeurs de fond structurantes.
Mais alors pourquoi les confronter dans cet article ? Je pense, en fait, qu'ils représentent le cœur des pensées dominantes dans les débats (ou ébats) politiques, organisationnels ou sociétaux. Les valeurs inscrites dans ces concepts s'opposent, s'entrechoquent dans les différends et affrontements sociétaux, à connotations souvent politiques. Les uns s'en réclament et accusent d'autres d'en être dépourvus. Mais sont-ils vraiment convaincants ou convaincus, certains ou contingents,... à moins que ce ne soit le champ qui bouge ? Là est toute la question.
Je me pose donc la question de ce fondement qui pourrait s'avérer essentiel, et qui pourrait constituer le ciment d'une cohésion sociale. Ce qui agite le milieu sociétal, et nous l'avons déjà dit, ce sont bien les intérêts, les identités et les représentations. N'y aurait-il pas quelque chose qui transcenderait tous ces aspects, comme par exemple l'amour universel, ou encore un esprit essentiel ? Mais ce pourrait être, de la même manière, une croyance… Nous savons bien en effet, que la foi, quelle qu'elle soit, fait la réalité...
Une petite voix me souffle l'idée de l'humanisme… Nous pourrions, tout d'abord, nous mettre d'accord sur sa définition. Sans exclusive, cela paraît d'ores et dejà, très compliqué. Pourtant ce serait une base commune solide. J'y ai longtemps cru. Mais l'expérience de la vie m'a indiqué à quel point les définitions de cet objet réputé "sûr" sont divergentes. Il faudrait quand même que nous tombions d'accord sur cette notion censée nous unir et faire “ciment sociétal”...
Dans les religions du livre comme dans celles reconnues comme animistes, il existe cette conception divine de la personne, de l'être humain. Parfois, comme dans la philosophie bouddhiste, on retrouve l'idée que l'individu se fond dans l'univers et que l'universel se retrouve tout entier dans la personne. Voilà une dimension commune qui, à peine esquissée, mériterait un partage approfondi. Cet élément pourrait tout à fait constituer la base d'un point commun transcendant les ethnies. Parfois, il n'est pas utile d'aller chercher dans les démarches intellectuelles ce que nous avons au creux de l'âme humaine.
Dans le même ordre d'idée, l'esprit républicain reposait sur l'identité d'individus égaux, libres et fraternels. Cette philosophie républicaine a quelque peu échoué, face à des murs dogmatiques. D'aucuns ne pouvaient pas supporter l'exclusion divine, ou même sa mise entre parenthèses. Il n'était ni loisible, ni possible, pour les mêmes, de laisser l'ordre de la croyance au domaine du singulier, du personnel, et de l'intime. Du seul point de vue œcuménique ce fut effectivement une erreur, et elle a été fatale. En termes de résolution des questions ainsi soulevées avec force, il n'aurait donc pas fallu exclure l'essentiel mais l'incorporer. Il eût été utile et nécessaire d'en faire des traductions reconnaissables par toutes et tous. Ce qui était nommé dieu aurait pu devenir l'univers, l'origine, le fondamental par exemple.
En transposant, nous pourrions invoquer l'appartenance européenne comme socle commun, par exemple. Mais elle ne repose sur aucune souveraineté, ni culture, ni économie commune. D'où une première difficulté, sensiblement analogue à celle que nous venons d'évoquer, et qui s'est traduite par un échec que l'on peut qualifier de retentissant. Parfois la philosophie européenne est invoquée mais alors il faudrait intégrer également la philosophie russe, aussi nombreuse que variée : celle des Tchekhov, Tolstoï, Gorki, Kropotkine, Svetlov, Zinoviev, Tchernenko, Efimov, Smirnov et bien d'autres encore... Peut être, après tout, une identité européenne ne peut pas se faire sans ce peuple de la Russie. C'est probablement à penser sérieusement et sans a priori, en nous projetant. L'argument s'avère particulièrement fort et peut être raisonnablement considéré comme singulier, compte tenu du contexte présent ! Les éléments de conjoncture ne doivent pas limiter le champ de la réflexion.
Certes, nous sommes nés quelque part, et nous participons à une destinée commune qui est celle de notre région. En allant plus loin, c'est aussi celle de notre pays et qui fait de nous ce que nous sommes. Ce sont bien nos croyances, notre imaginaire et nos représentations qui en constituent le socle. Plus généralement, et en élargissant le concept, nous sommes surtout appelés à être d'un projet. Un projet qui mériterait une majuscule, un Projet qui pourrait s'apparenter à celui d'une fraternité. Celle-ci pourrait, à elle seule, être en capacité de dépasser nos identités, nos appartenances naturelles, tribales, politiques, philosophiques ou religieuses.
C'est Martin Luther King qui nous parlait de son rêve… Ce Projet pourrait nous “tirer d'affaire”, et par le “haut”, car si nous restons enfermés en nous-mêmes, dans les environnements réduits que nous avons décrits, nous risquons bien le pire. Nous pourrions bien, en effet, commettre l'erreur fatale qui consisterait à tourner le dos à ce qui fait notre commun. Ce “bien”, d'aucuns le nomment dieu, et cette “alliance” est universelle. Il nous faudra penser autrement notre “commun”, car sinon on prendrait le risque de rester aussi “disloqués” que les gens de la légende de la tour de Babel. Une langue commune ne fera pas non plus le fond de l'identité nécessaire.
L'important ici, c'est le sentiment, la sensation, le ressenti, la perception d'une situation. Ce fond ne peut être non plus une monnaie commune, qui pourrait à elle seule, répondre à ce besoin essentiel. Alors au-delà d’une inutile langue, ou d'une quelconque devise, que reste-t-il à “inventer” ?... Sinon ce “commun nécessaire”, seul en capacité de faire consensus. Cherchons plus que “le mot juste” susceptible d'entraîner l'adhésion, mais le concevoir comme commun. Et d'ailleurs, comment le nommer ? Il nous faudra trouver ce commun nécessaire qui constituerait notre âme partagée, à la conditions que nous le cherchions et le voulions comme point commun central, comme pôle d'attraction, comme cœur culturel, mais certainement pas l'idée d'un pouvoir central. Ce serait bien là le prétexte pour que tous et chacun s'y oppose formellement.
A moins que, triste constat d'échec, il ne nous reste alors qu'à être seuls à gérer nos besoins et nos désirs !… Fatalement convaincus qu'il s'agirait là de la dernière voie qui nous soit possible. Dès lors, vous pourrez dire aux néolibéraux qu'ils ont gagné. C'est là la culture, la civilisation du chacun pour soi, et donc du chacun contre tous. Ca se passerait alors dans des pratiques de combats, de concurrences, de compétitions, de mensonges, d'escroqueries et de manipulations. Non, nous serions là bien trop loin du compte. Mais il y en a pour pratiquer et prôner cette option assidûment. Si nous étions dans la litote, nous pourrions dire “qu'il serait donc bien temps d'agir selon nos attentes profondes”. Mais nous sommes véritablement dans l'urgence, et il est plus que temps de penser à ce sursaut, une autre forme de salut laïc. Nous n'en prenons pas le chemin ? Alors, raison de plus pour réagir afin d'agir, enfin !…
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