Mon
dernier article laisse un espace vide qui peut éventuellement prêter
à confusion. Je le reconnais. C'est la question
de savoir comment se définit le "Vivre Ensemble", ce qu'il est. Cela mérite que l'on s'y
arrête un instant.
En
effet, il est vrai que si nous posons la question lors d'un
micro-trottoir, nous risquons bien d'avoir autant de définitions que
de quidams interrogés. Il y aura certainement ceux pour qui vivre
ensemble est un combat, une conquête, un affrontement de personnes, voire une guerre.
Il y aura ceux qui pensent que c'est une amitié, la tolérance, la
compassion, etc. Il y aura aussi ceux qui pensent qu'un bon vivre
ensemble repose sur l'échange, le commerce, ou encore le partage et la convivialité, voire ailleurs la
compétition. D'autres encore penseront que le vivre ensemble se
dissout dans un idéal, une foi, une conviction, un projet, etc. Et
nous pourrions ainsi allonger la liste. Alors, de quoi s'agit-il ?
Certains
associeront le concept de "Vivre Ensemble" à celui de "cohésion sociale".
Mais le propos est réducteur, car un chaos est aussi une manière de
vivre ensemble. Le fait est aussi que l'humain est un être grégaire,
qui, comme les loups, tend à vivre en meute, à se rassembler, à
s'associer, à se solidariser. Si l'on revient encore sur ladite "expérience interdite", alors
nous comprenons que l'humain ne peut démarrer seul dans la vie.
Sinon, il meurt. Non pas de faim ou de froid, mais d’inexistence plus que de solitude.
Il
nous faut dire aussi qu'on ne nait pas humain, qu'on le devient dans
le langage, acte fondamental de socialisation. Dresser un animal se
réduit ainsi à tenter de l'humaniser. C'est là un refus de ce qu'il
est pour qu'il soit "pour nous". Il en va de même dans le
rapport à tous les gens : on les veut "pour nous" ou "pour
soi", pas pour ce qu'ils sont, se pensent ou se veulent être...
Certains
parlent de cohabitation harmonieuse. J'oppose ici aussi la même idée
que l'harmonie, si elle est agréable, n'est pas requise. Elle peut
aussi, dans certains cas, ne pas être souhaitée. Cependant, quand on parcours les
définitions et les ouvrages, cette notion d'harmonie revient comme un
light motif.
Alors,
si l'humain est grégaire, vivre ensemble consiste à "donner
une place" à cet alter ego, à lui "faire de la place"
et je renvoie à mon
article du 12 mai de cette année. Mais quelle est
cette place ? Toutes sont possibles : esclave, ennemi, amant, objet,
confrère, parent, passant, etc. Toutes ces places, qui ont un nom,
existent et sont donc, parce qu'elles sont nommées, quelque part acceptables, réalisables, recevables,
attendues ou admissibles. Elles sont donc dans le champ du "Vivre Ensemble". Mais est-ce suffisant et est-ce aussi cela que nous attendons ?
"Vivre Ensemble" c'est aussi ce qui fait société. C'est l'alpha et l'oméga
de la socialisation. C'est autant le "comment" de la socialisation que sa
finalité. C'est là que se trouve ce qui nous dépasse, cette
définition quasi absurde à la fois de moyen et de but du fait de
société : son comment et son pourquoi. Il y a là une complexité,
comme la posait Edgar Morin, qui est au bout des évolutions
continues de nos organisations, comme un absolu imprévu,
inattendu.
Au delà du néolibéralisme qui ne conçoit pas les
sociétés, mais seulement les individus en quêtes d'avoirs, de
toujours plus, comme la seule et réelle effective finalité, le vivre ensemble pourrait
effectivement se réduire à ce minimum-là. Cependant, nous voyons
le mur de déconstruction où cela nous amène. Le néolibéralisme, par
ce phénomène, fait des gens des enfants capricieux par intérêt de
domination et par priorité au profit. S'il apparaît comme moyen, par le
ruissellement pour tous de l'ascension de quelques-uns, la finalité
ne peut être aussi que celle de quelques-uns, tous les autres
disparaissant dans la catégorie d'objets. Ils ne sont pas accueillis à la table de l'action et de la décision. Agir est ici un jeu privatif, confisqué... Il nous faut relire Walter Lippmann qui le décrit si bien avec la conviction de la folie.
En effet, il y a dans le "Vivre Ensemble" la notion de personne humaine qui choisit, projette et décide. Dans le cas du néolibéralisme, seule une petite élite choisie pour tous, pour le compte de tous et pas forcément au nom de tous. Il y a donc escroquerie, ou dirais-je plutôt, "commerce" de finalité, ce qui colle assez bien avec la philosophie dudit "système". "Si ce qu'on te propose est gratuit, c'est que tu es le produit !" nous dit l'adage. Il n'y a aucune alternative au commerce. Tout a sa contrepartie. S'il y a don, il y a forcément un contre don. Voilà, dans ce cas là le "Vivre Ensemble" réduit au seul commerce tant comme finalité que comme comment. En la matière, ce serait alors cela qui ferait "société"...
Dans un collectif libertaire, le fond de finalité du "Vivre Ensemble" est un fait : nous vivons ensemble, point. Et sur le comment, tout ceci se décidera en partage, en débat, en commun car aucune loi, aucun principe n'existe à priori.
Voilà donc deux approches bien différentes qui nous indiquent quelque chose de fondamental : ce qui fonde le "Vivre Ensemble" est un ensemble de représentations sociales, au moins collectives, de soi, du pourquoi et du comment.
Il n'y a donc aucun "Vivre Ensemble" a priori. Tous dépendent de représentations partagées. Comme je l'indiquais précédemment, souvenons-nous que toute réalité sociale relève de deux variables que sont la culture (nos représentations) et la nécessité (l'utilité). Nous savons que deux pulsions nous y articulent : la peur et l'amour. Ce sont là les moteurs de toutes choses. Nous pourrions alors aller jusqu'à voir que le "Vivre Ensemble" est la mise en action, la mise en rapport, l'articulation de ces quatre éléments : nos représentations, nos nécessités (et/ou envies), nos peurs et nos amours. Tout ce qui les remplit est subjectif, et relève autant de ce qui est commun (culturel) que de ce qui est personnel, "expérientiel" dans notre propre histoire (comment nous l'avons vécu et comment nous nous en sommes arrangés) et notre imaginaire (lequel a aussi une part sociale et une part partagée).
Nous voyons ainsi à quel point ces quatre éléments sont interdépendants, interconnectés. Aucun n'est indépendant, ni même n'a de réalité autonome. Nous avons fait notre des représentations sociales par amour et haine (il me souvient de cette affirmation d'un vieux professeur d'histoire : "On ne retient que ce que l'on aime ou haïe !"). Nous n'avons accepté de nécessités qu'en regard de ces représentations collectives qui ont participé à nous construire. Nous n'avons peur que comme cela nous a été socialement transmis et comme nous l'avons vécu. Ainsi dont nous nous sommes forgés une expérience soit réelle, soit imaginaire. C'est dans la résonance de nos sensations que nous avons construit notre sens de l'amour, voire de la nécessité. D'ailleurs, nos nécessités résonnent d'attirances et de répulsions, n'est-ce pas ? Et ainsi de suite...
Alors donc, c'est à l'aune de ces quatre variables que se construit un "Vivre Ensemble", c'est à dire de manière partagée et personnelle à la foi, tant sur le comment que sur la raison d'être. Celui et celle qui souhaite assembler des personnes en société, ou comprendre ce qui les met en société, devra donc travailler ces quelques éléments, les comprendre et se les approprier, les vivre, les voir vivre et les faire vivre dans le partage et la confrontation, et dans le premier cas jusqu'à ce que ces personnes fassent société.
On peut aussi, alors, détailler la raison d'être autour de sept registres : croire en soi, vivre ses sensations, passer à l'action, vivre les
sentiments, user de la voix et de la parole, ressentir et investir l'intuition, et savoir que toute chose est en lien avec toutes
choses. Ceci fera peut être l'objet d'un prochain article...
Jean-Marc
SAURET
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