Un étudiant en psychologie est allé rencontrer un tueur en série dans sa prison. Ce personnage présentait un QI particulièrement élevé et une "émotionnalité" tout à fait normale, voire ordinaire. Aucun déficit dans l'un et l'autre domaine comportemental. L'étudiant demanda alors comment le prisonnier avait pu accomplir ces crimes sans se rendre compte des souffrances qu'il infligeait, tant à sa victime qu'à son entourage. Le prisonnier précisa simplement qu'il lui fallait juste éteindre son empathie. Juste ne rien ressentir...
Il est tout aussi vrai que nous avons tous nos anesthésiants naturels aux ressentis de l'autre : la peur, la préoccupation, mais aussi la carricature de l'autre en complotiste, étranger, maghrébin. Cela revient à le repeindre en mauvaise personne, stupide ou coupable de son état, voire en faire une personne "toxique", etc. De ce fait de l'avoir "repeint" en "responsable de son état" nous exonère de nous préoccuper de lui et donc de tenter de lui venir en aide (et ce sans omettre la force de nos propres enjeux et intérêts...).
Paradoxalement, il m'est arrivé de me préoccuper d'une personne dont la douleur devenait de la colère. Instinctivement, je me suis retrouvé à lui demander ce que je pouvais faire pour l'aider et je n'en savais strictement rien, ni ne me connaissais les moyens de lui procurer cet aide. Nous avons peut être tous connu cette situation. Nous nous y sommes parfois sentis en porte-à-faux. Il nous est aussi peut être arrivé de regretter d'avoir proposer de l'aide, de se dire éventuellement que l'on était trop gentil, mais aussi de ne rien regretter parce que c'est notre émotion qui nous demandait cette intervention dans cette posture.
C'est bien ce que l'on ressent qui dirige nos attitudes. J'ai l'habitude de dire que la vision guide mes pas. Ajoutons à cela que l'émotion produite par cette "représentation" de la situation et des ses protagonistes, nous est tout à fait décisive et motrice, soit vers l'empathie, soit vers la répulsion.
Nous prenons alors conscience que ce sont nos émotions qui façonnent le chemin de nos pas. Comme nos émotions construisent notre réalité, elles élaborent le monde que l'on va vivre, ce qui va nous arriver, nous manquer ou s'accomplir. C'est bien la conscience que nous avons du réel qui façonne le monde dans lequel nous vivons.
Alors, si nous voulons participer à l'atteinte d'un monde meilleur, il nous faudra générer en nous les émotions utiles. Dès lors, débrancher notre empathie est le plus sûr moyen de ne jamais aboutir, de ne jamais y parvenir. Nous aurions plutôt tendance, dans une perspective de "bien pour moi", de nous enfermer dans nos peurs, de nous polariser sur le temps qui passe trop vite, sur les bénéfices qu'apporteront ou pas les démarches et projets que nous conduisons, sur ce que nous sommes en train de faire, sur des attentes et des désirs, des peurs et des représentations diverses. Voilà une "mécanique" ordinaire...
Pourtant nos sagesses profondes nous rappellent que nous ne sommes que de l'autre, comme disait Lacan, que les gens deviennent ce dont nous les considérons, comme le pensait Watzlawick. Alors, la rencontre effective de l'autre, l'empathie pour ce qu'il vit, le "faire ensemble", en commun, sont des portes du succès de cette société que l'on espère.
Alors, pourquoi éteindre notre ressenti de ce que vivent les autres ? Pourquoi ne pas ouvrir grand les fenêtres de l'empathie ? Pourquoi ne pas donner aux autres la priorité que nous aimerions tant que d'autres nous accordent ? Si nous comprenons que l'autre est un autre soi-même, que ce que nous faisons, c'est bien envers soi même que nous l'accomplissons, voire à l'univers entier, alors la vie sera pleine, réconfortante, "accomplissante" et joyeuse, transposable à l'univers tout entier. N'est-ce pas là le seuil de la porte de ce monde fraternel que l'on espère ?...
Absolument ! Il me revient cette historiette que relatait Daniel Coleman, spécialiste de l'intelligence émotionnelle. Il attendait le métro à New-York. Quand les portes s'ouvrirent, le flot des passagers descendait l'escalator et enjambait un pauvre homme allongé sur le passage. Sensibilisé aux gens vivant dans la rue, peut être aussi grâce à un stage qu'il effectuait auprès de ceux qui leur porte secours, Coleman raconte s'être arrêté auprès de cette personne au sol et automatiquement une dizaine de personne en firent autant. Dès lors, plus personne ne l'enjamba.
L'un alla chercher un jus de fruit, un autre un hamburger, un troisième alla chercher un agent de sécurité et tous lui prêtèrent attention. Ils comprirent qu'il s'agissait d'un hispanique fraichement arrivé dans la ville. Il mourait de faim et s'était évanoui. Alors réconforté, il se releva, remercia les gens qui lui avaient porté secours et assistance, et tous repartirent le cœur content en se parlant...
Est-ce bien là le monde que l'on espère ? Nous savons donc qu'il existe déjà un peu dans le fond de chacun. A cette condition néanmoins que quelqu'un fasse le premier geste, celui qui rend l'évènement présent, universel, partagé, donc important et réveille les autres personnes en acteurs.
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