Dans son livre "Le monde, mode d'emploi", Jacques Attali pense qu'arrive bientôt, dans notre univers sociétal, le développement d'un système marchand, mais sans nouveau "cœur battant" tels que l'ont été de grandes villes portuaires comme successivement Londres, Amsterdam, Boston, New York ou Los Angeles. Cet avènement concrétiserait le développement des puissances industrielles entrepreneuriales au dessus des états et des villes-cœurs. Il m'est apparu depuis bien des années qu'une autre hypothèse de changement se profile. Mieux encore, nous la voyons exister déjà. Il s'agit, comme je l'ai déjà écrit, d'une "alternation culturelle" dans l'effondrement du système marchand lui-même. Celui-ci précipiterait, simultanément à son effondrement, ce retour d'un monde survivaliste de type communautaire, artisanal et paysan. C'est ce qu'Hélène Richard, psychanalyste et sociologue canadienne, nommait "le temps d'après". Nous assisterions à un retour de la société dite primitive, celle des "loups solidaires".
En d'autres termes, nous avons plutôt l'habitude d'entendre parler de "loups solitaires", des prédateurs redoutables et redoutés. Mais, comme le relate Boris Cyrulnik dans sa préface des nourritures affectives (Ed. Odile Jacob, 1993), les humains et les loups ont collaboré depuis des milliers d'années jusqu'à transformer nos partenaires loups en nos amis chiens. Ce qui nous associait est bien ce point commun : les comportements solidaires. Les loups, comme les humains, protégeaient les plus faibles de la horde et de la communauté. À l'instar de ces sociétés dites primitives, ce n'est pas la lutte et la prédation, la concurrence et les affrontements qui rythment la saine vie sociale mais la solidarité, l'entraide et la bienveillance. Je l'ai déjà plusieurs fois relaté dans plusieurs de mes écrits.
Vous vous souvenez certainement de cet épisode que je relatais dans mes articles précédent : un anthropologue dans un village du Sahel voulait organiser pour les enfants une modeste course vers un panier de fruits qu'aurait remporté le premier arrivé. Il fut étonné de voir que les enfants ont marchés main dans la main vers le panier qu'ils ont partagé. "Umbutu", avaient ils répondu à l'anthropologue curieux de ce comportement solidaire. Ce mot signifiait que l'un n'est rien sans les autres. Ces sociétés dites "primitives" savent bien que la solidarité est non seulement leur assurance de survie, mais aussi le gage d'une pérennité collective prospère.
Les sociétés modernes qui privilégient la violence, l'individualisme et la prédation pour résoudre les soucis et les problèmes qu'elles rencontrent ne savent pas toujours qu'elles se soumettent aussi à l'hypothèse de leurs propres défaites, voire de leur propre disparition. Nous avons vu lors d'articles précédents combien cette posture de solidarité est infiniment plus efficace. Ce sont ces types de pratiques actives que l'on trouve fréquemment chez les plus démunis mais aussi dans les sociétés les plus fortes et propices à gérer leur survie dans leur environnement. Elles s'avèrent être d'une efficience toute particulière et bien connue de ces populations là. Elles en usent et considèrent l'altruisme comme une évidence. "Umbutu", l'un n'est rien sans les autres. D'ailleurs, la nature est bien plus coopérante que le monde occidental ne la considère et en parle parce qu'il est lui-même violent et prédateur.
Si nous regardons avec attention ces sociétés humaines, nous comprenons que nombre de groupes sociaux, à la manière de certains animaux, fonctionnent solidairement de la sorte parce que ceci constitue le seul gage de leur survie. Dans la mesure où nous assistons à l'effondrement du monde prédateur occidental, il nous resterait donc à nous tourner vers les sociétés premières qui survivent en communautés à travers les âges. Elles se perpétuent et se régénèrent en cultivant l'essentiel comme la coopération et solidarité pour couvrir leurs besoins vitaux.
Nous avons donc à apprendre des loups, des corbeaux, des ours et des gens des sociétés premières parce qu'ils sont aujourd'hui une hypothèse modèle de notre futur : ils en connaissent autant le chemin que les moyens, les conditions et la philosophie.
Ce monde de demain existe déjà. Pourtant, nous ne voulons pas voir cette réalité, dans la mesure où elle néglige les valeurs de ce néolibéralisme défaillant et mourant. Combien de villages en France et ailleurs développent-ils ce "communalisme libertaire" cher à Murray Bookchin (1921-2006), fondateur de l'écologie sociale. Ils sont pourtant présents et actifs dans le monde entier. On les trouve en Amérique latine où les différences de classe sont importantes et la pauvreté immense. Aussi au Kurdistan dans la vallée du Rojava. Ce sont encore toutes ces communes de France qui se sont réunies en colloque à Commercy, dans la Meuse, sur ce sujet, en janvier 2020. Ces communes ont posé le principe vivant d'une "commune des communes" pour un municipalisme libertaire. Et de plus, que connaissons nous de ces communautés solidaires et libertaires qui fleurissent de par le monde et font modèle ?... Mais j'ai aussi déjà écrit sur le sujet.
J'entendais récemment dans une émission radio, l'invitée parler de la différence entre "renaissance" et "résilience". Dans la première, la “renaissance” efface le passé pour démarrer autre chose. La "résilience", quant à elle, s'appuie sur la réalité du moment pour rebondir et faire du passé un puissant socle pour se propulser plus loin. Et si les valeurs du nouveau monde étaient l'amour, la solidarité, la bienveillance, la positivité, la créativité ? Qu'en serait-il alors de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ? Si l'objectif de tout un chacun dans le monde néolibéral, matérialiste et occidental, est d'être personnellement heureux de jouir des plaisirs, dans le nouveau monde c'est d'aimer et d'être aimé. Rien de ce que l'on envisage ne peut être réalisé tout seul. Et aussi, nous comprenons que la jouissance des plaisirs est un levier pour l'esclavage, le contrôle et la manipulation...
Ce nouveau monde avance à grand pas sur les marges d'une société d'individus séparés, en pleine décadence et effondrement, toujours obstinée à creuser sa tombe plus sûrement et profondément. Demain sera vraisemblablement le monde solidaire et libre que nous espérons, à moins que l'effondrement de l'occident n'emporte tout. Mais, personnellement, je n'y crois pas du tout. Il me semble en effet que la bienveillance et l'amour de l'autre, qualités naturelles quoi qu'en disent les néolibéraux, tendent à reprendre "pignon sur rue". Alors nous pouvons accueillir ce nouveau monde de loups solidaires, et un loup c'est puissant, surtout en meute et quand il a faim... Faim d'un monde meilleur, celui justement que nos lointains ancêtres ont vécus ! Le néolibéralisme n'est que cette peau de chagrin en parfaite déliquescence.
Bonjour Jean-Marc, merci pour ce billet. Il m'a d'ailleurs fait penser à la notion de "alpha" dans un groupe, où il est expliqué - contre les raccourcis que nous entendons parfois - que la femelle ou le mâle alpha a la protection et la pérennité du groupe en tête de ses préoccupations. Et que ce n'est pas le plus costaud, le plus fort qui est nécessairement le "alpha".
RépondreSupprimer