Je voulais faire la pause d'août et vous laisser en paix durant ce mois-ci. Mais des événements m'ont interpellé et je me suis mis à élargir et contextualiser l'événement. J'y reviendrai à la fin. Mais venons en au cœur de la situation. De quoi s'agit-il ?
Nous avons la fâcheuse habitude de dire que notre liberté s'arrête là où commence celle des autres (tout en pensant fortement que ma liberté commence là où s'arrête celle des autres, car tout espace non occupé m'appartient...). Cette conscience témoigne de ce que nous savons culturellement au fond de nous sur la liberté. Elle se situe dans un cadre éminemment social. Je dirais même qu'elle dépend exclusivement du seul rapport à l'autre. Par voie de conséquence, on peut dire que toute liberté existe avec le consentement d'un autre au moins. Car, de fait, toutes mes études et accompagnements m'ont montré que la liberté est une activité sociétale. Elle consiste à pratiquer un vivre ensemble librement choisi entre les membres d'un collectif.
Combien de fois avons nous dit et entendu la fatidique phrase : "Tu ne peux pas faire çà !". Cette assertion implique que le lien social, celui qui justement nous construit et nous constitue, donne le cadre de nos actions et participe au fait d'exister. Nous savons que nous n'existons que de l'Autre, comme l'affirme la psychanalyse lacanienne. J'en suis parfaitement convaincu depuis l'analyse de bon nombre d'observations, d'expériences et de contributions de collègues et autres chercheurs.
Par la suite, la singulière déchéance de notre société post moderne, avec sa culture néolibérale, nous invite à imaginer qu'être libre serait de faire ce que l'on veut. A partir de là, les "autres" n'auraient plus rien à dire à ce sujet. Chacun, dans ces conditions - et si l'on va au bout du raisonnement - se doit d’accueillir toute transgression comme l'expression “libre” de chaque individu. C'est là que le bât blessé ! Ainsi la culture Woke est elle en train de s'installer, de se vautrer, avec ses déconstructions de tous ordres. Nous retrouvons bien là ce qui constitue le témoignage de cette conscience deviante ô combien, mais qui devient la nouvelle pensée unique… Pensée unique, pensée inique ! C'est ce qui nous permet d'affirmer que la liberté est, et reste, une affaire de lien social. Elle ne peut être considérée que sous l'angle d'un “vivre ensemble” choisi et voulu dans la bienveillance et l'interdépendance.
Sinon, pourquoi imposerait-elle de reconnaître socialement possible la pédophilie, le "transgenrisme" et tout autre comportement considéré jusqu'alors déviant ? La déviation n'est pas la norme, et “tout” ne peut être décrété comme possible, ordinaire et socialement admis ! Or, la déviance est une affaire de choix personnels entre adultes consentants, c'est à dire, entre personnes conscientes de ce qu'est le type même d'un "faire ensemble" proposé. C'est pourquoi la loi socialement établie tend à protéger les plus faibles, les plus influençables et les plus démunis. C'est ce que l'on nomme le principe de raison ou le principe de solidarité, et d'interdépendance. Nous sommes responsables non seulement des actes que l'on pose mais aussi de ceux que nous aurions pu laisser passer...
La liberté est donc bien une affaire de lien social. Elle ne peut être la permission de faire n'importe quoi, juste parce que c'est “à mon goût”, et que cela me plait. Cela peut nous renvoyer à d'autres schémas, comme “tel est mon bon plaisir”. La liberté ne s'épuise pas dans le plaisir hédoniste ou dionysiaque. Les civilisations qui se sont autorisées cette perversion sont mortes de leur décadence. De fait, la permissivité totale constitue un abandon du lien social. C'est donc le début de la déliquescence sociétale. Sans repère ni consentement, l'autorisation de toutes les transgressions devient une négation de l'autre comme sujet décidant. Nous voici en plein 1984 d'Aldous Huxley. C'est peut être ce vers quoi une élite psychopathe voudrait ou serait en train de nous conduire. Dont acte !
Mais revenons sur l'absence de convention à propos de ce lien social. Si ce même lien social amène à la fin de la société, nous sommes en capacité d'affirmer que les gens qui la composent n'ont aucune envie de cette finalité. Mieux, ils résistent et s'insurgent, montrant ainsi leur défiance, et leur détachement, quand ce n'est pas leur opposition pure et simple à de ce type de délabrement. Ils refusent le changement sociétal parce qu'ils comprennent parfaitement ce qui est en train de se passer : en d'autres termes ce qu'on est en train d'essayer de leur “vendre”. C'est ce à quoi nous avons assisté à propos de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris, le 26 juillet dernier. Et le fait de changer de discours en cours de route ne fait rien à l'affaire. Les gens ont bien compris la manœuvre qui consistait, pour le moins, à les prendre pour les idiots qu'ils ne sont pas. Fustiger les opposants en les affublant des couleurs de l'extrême droite est tout aussi stupide qu'inefficace.
A ce propos, voilà ce que je répondais à Thomas Jolly après son dernier revirement de posture face aux critique sur le tableau refaisant la Cène : "Après avoir tout déclaré et son contraire, vous pensez sincèrement que l'on va croire vos dernières allégations ? Par contre nous reconnaissons votre maladresse à atteindre votre objectif déclaré : rassembler ce grand nous, comme vous dites. C'est particulièrement bien raté ! Pour rappel, en terme de décadence, les romains anciens avaient fait bien mieux... De plus le mensonge n'apaise rien. Il alimente la division et les polémiques. Encore raté..." Le concept est une chose, sa mise en musique en est une autre, quand à la finalité… “ Rassembler ce qui est épars”, reste un indispensable invariant. C'est tout le contraire du morcellement en mode puzzle qui devient impossible à construire.
Mais le plus sensible n'est pas là et je m'interroge : à qui profite cette mascarade ? Pendant que les spectateurs s'écharpent sur le wokisme de la cérémonie d'ouverture, la France n'a pas de gouvernement efficient et les nominations aux postes clés des institutions continuent en conseil de ministres démissionnés. Le président signe plus de six cents décrets. Le verrouillage politique se poursuit. Mais ce n'est pas tout.
Pendant que les yeux sont rivés sur les performances olympiques, le nettoyage de la capitale de ses SDF continue : les accès aux soupes populaires sont fermés, les maraudes sanitaires sont arrêtées, des accouchements ont lieu dans les caves et les parkings. Ce qui reste de SDF est déménagé de force en province, à Orléans, à Nantes, à Rennes ou ailleurs, sans aucun moyen de retour. Apartheid ? Déportation ? Ségrégation ? Ici aussi, le lien social est déconstruit intentionnellement. C'est là un autre symptôme de la fin des libertés dans ce monde néolibéral. Par contre cela fait symptôme de la déconstruction culturelle et morale d'autant d'états occidentaux que des élites dirigeantes. Comme le dit très justement la journaliste Tatiana Ventose, "Si c'est là tout ce dont ils sont capable, eh bien il n'y a plus rien à craindre d'eux !" Effectivement, leur effondrement nous libère.
Ce monde se meurt, et le wokisme est l'un des symptômes de cet effondrement de la société par la déconstruction et la négation de ce lien social si fondamental. Chacun sent et sait bien qu'être libre consiste à décider ensemble de ce lien social. Le peuple hurle contre cette déconstruction, et les badauds crient de joie à cette transgression comme s'ils pensaient pouvoir en faire partie. Mais non, les jeux sont déjà faits et la répartition des gains aussi. Il n'y a pas de société libre derrière ce sinistre paravent illusoire ! Ce n'est pas une révolution, c'est un coup d'état. Mais peut-être n'aura-t-il pas complètement lieu. C'est ce que je m'efforce de montrer depuis près de vingt ans, avec cette analyse de l'évolution sociétale du temps d'après, sur le modèle de la psychanalyste canadienne Hélène C. Richard. Ce temps d'après où les alternants culturels feront société à côté de celle qui s'effondre. Tant d'événements en font symptôme...
Lire aussi : " Post modernité et alternation culturelle " (première parties)
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