L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Des raisons de l'efficience de la bienveillance ou Non-violence (19 12)

Une critique récurrente qu'il me soit donnée d'entendre sur la non violence (que je préfère nommer des termes positifs de bienveillance et d'en paix) tend à affirmer qu'elle ne serait pas efficace. Seule la violence, en cette occurrence, serait à même de régler les problèmes. Voilà une bonne raison, sinon deux de m'arrêter quelques instant sur ce préjugé que la sagesse pointe comme erroné et néfaste. Il me semble bien en l'espèce, que nous somme bien en présence ici d'un réel préjugé !

J'ai eu sur ce point et sur bien d'autres des échanges parfois vifs avec un ami que je nommerai "A", comme Ami. "A" me reprochait de ne pas reconnaître où était le mal et la responsabilité du mal. Par là même, comment ne pas le condamner ledit mal et et de ce fait de ne pas agir en conséquence. L'Ami m'affirmait ne pas me comprendre, et ne pas comprendre cette attitude. Juger, condamner et prendre parti lui semblait si logique et si naturel qu'il insistait sur ce point à chaque occasion. 

Quoi que laïc impénitent, et comme je le savais attaché aux valeurs chrétiennes, je lui rappelai la phrase de Jésus la première fois qu'il croisa Marie Madeleine sur le point de se faire lapider pour adultère : "Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre !" ...et tous se turent... "A" fit alors une pirouette amusante, me servit un autre verre-ballon de vin rosé et laissa tomber.

Je ne sais pas s'il avait accueilli le "non-jugement" comme une possibilité, voire une éventualité logique. Je compris qu'il avait du mal à concevoir que le "non-agir" puisse constituer une posture efficiente. Je comprenais qu'il pensait sincèrement que seules les actions vives, sinon brutales que l'on mène fermement ont un effet sur les événements. Je me souviens de cette phrase du Général de Villiers "La force arrête la violence". J'entend bien cette posture. Mais, je suggérais que l'évitement, le non agir, au même titre que le silence, a un impact sur les événements. Il se trouve même parfois en capacité de rebattre les cartes. A partir de là, nous avons regardé plus loin.

Je voulais, en évoquant quelques situations, que nous observions ensemble et autrement le résultat du rapport "violence et bienveillance (non-violence)". Quelques faits souvent cités à l'avantage de la violence pouvaient faire dire autre chose. Je pensais tout d'abord à la question de la responsabilité et de l'hypothèse d'une violence ordinaire, qui pouvait être considérée comme consubstantielle à la nature. Je posais donc l'image d'animaux dits naturellement agressifs. "A" m'évoqua le cas des taureaux qui viennent tenter de défendre leur peau. Il faisait référence aux corridas présentant un rapport de force déséquilibré, en faveur du taureau avec ses cinq cents kilogrammes en moyenne face aux soixante dix qu'affiche habituellement le toréro. Ces animaux, me dit-il, sont choisis justement pour leur combativité et leur agressivité. Nous convenions ensemble qu'il n'échappe à personne que des phases successives de ce rituel consistaient à épuiser la bête avant de s'amuser de son épuisement, avant de l'abattre. La violence relève toujours d'une stratégie (les militaires diront que c'est plutôt la force qui en relève. C'est cependant déjà là une stratégie...).

Pour réfléchir à cette illusion que le taureau serait un animal "naturellement" agressif, ce qui justifierait tout ce cérémonial, j'interrogeais mon Ami. Je souhaitais savoir s'il était au courant qu'avant le début de "la course" en pleine lumière, il y avait un temps de préparation de l'animal qui consiste à l'enfermer dans le noir. Le but de ce rituel est la mise en condition de la "bête", de l'apeurer de manière à ce qu'elle devienne agressive, voire même dangereuse. Elle est ensuite lâchée, "libérée" en pleine lumière alors aveuglante et ce dans un vacarme qui ne peut qu'augmenter son stress. 

Il me semble qu'il n'y a pas d'agressivité "naturelle" dans la nature, juste des réactions de défense ou de contrattaque logiques. Ainsi, si l'on veut paraître se défendre d'une violence de l'autre, il suffit de produire des conditions favorables, comme dans la corrida. Je pense à nombre de guerres dans le monde qui ont débuté de la sorte. Il suffit pour cela de créer une peur pour qu'ensuite l'agresseur se présente en sauveur. Il en va de même en faisant naître une situation insupportable pour l'adversaire. Celui-ci réagit donc et alors est désigné comme un agresseur. Le véritable agresseur peut donc intervenir en tout bien tout honneur voire comme un "sauveur".

"A" m'interrompit, m'affirmant que je ne pouvais pas dire des choses pareilles, et qu'il y avait toujours, dans toutes guerres, un agresseur et un agressé. Pour ma part j'ai plusieurs fois observé qu'il n'y avait pas les bons d'un côté et les salopards de l'autre. Il me semble qu'il y a, en règle générale, des "salopards" de chaque côté. "A" réagit vivement, choqué. Je tentais de lui faire remarquer que les conflits étaient avant tout une question d'intérêt. Je lui rappelais la consigne d'un politologue de renom : "Si vous voulez comprendre certaines guerres, suivez les pipelines." Le même politologue indiquait qu'une guerre était l'achèvement d'une politique et que chaque politique était une stratégie de pouvoir au service d'intérêts. Son regard plongea froidement dans le mien. Je l'accueillis en silence plein d'attention et de bienveillance. Je pensais alors au sociologue Marwann Mohammed qui use de l'écoute attentive et bienveillante dans les situations de divergences analytiques.

Pour avoir pratiqué des sports de combat individuels et collectifs, comme le rugby et la boxe française savate, je crois avoir compris que le combat n'est ni la guerre, ni la violence pure mais une pratique d'opposition codée, et réglementée. J'ai compris la différence entre une bagarre de rue et un match de boxe ou de rugby. Dans la violence pure, il n'y a pas de règles ni même de codes pour canaliser la violence et la réguler. Tout est possible. Comme me l'indiquait un éducateur de rue, "on sait comment ça commence et on ne sait jamais comment ça s'arrête".

Entre animaux de la même espèce, les éthologues ont observé qu'il y avait très rarement de mises à mort, sauf cas particuliers et exceptionnels. Entre chiens ou loups, quand deux individus s'affrontent, si l'un d'eux se couche et adopte une posture de soumission, le combat cesse sur le champ. C'est aussi le cas chez les cailles et les mésanges. Il existe chez les animaux de même espèce des rituels du vivre ensemble qui régulent les rapports sociaux. Si l'affrontement est bien dans la nature, la violence pure n'y est que dans les cas de prédation et donc pas entre individus de même espèce. Même dans les cas de prédation, il y a une logique, une raison de mettre à mort.

Il est donc quelque peu aberrant d'invoquer une prétendue "violence naturelle" pour justifier celle entre des personnes ou des groupes de personnes. Dans les codes sociaux humains aussi existent des rituels d'allégeance ou d'opposition où les affrontements peuvent être ainsi régulés. Je pense à la déclaration par le jet d'un gant, la soumission par un genou à terre, la tête inclinée. Ce ne sont là que deux exemples. Il y en a bien d'autres évidemment. Les cas et moments de violence pure résultent bien souvent de constructions et de stratégies réfléchies où le dessein "d'en finir" est clairement posé par au moins l'un des protagonistes.

Certains évoqueront des "coups de sang" qui emportent la raison. Ce sont des comportements qui relèvent aussi de représentations symboliques mises en cause. Il me revient le cas de ce footballeur célèbre qui donna un coup de tête à un adversaire. Il fut mis en cause jusqu'à ce qu'il s'en expliqua. Et son explication était : "Il a explicitement insulté ma mère et ma famille!"

Dans des violences de personnes dans des quartiers, on s'aperçoit que sont mis en jeux soit des logiques de territoire, soit des logiques d'intérêts, soit des logiques d'honneur. On retrouve ces modèles dans toutes les organisations. Je repense à ce très sage ouvrage de l'anthropologue Philippe D'Iribarne, "La logique de l'honneur". Il s'agit d'un classique du management des organisations. Il y montre des logiques d'affrontement où des questions culturelles et purement symboliques sont radicalement en jeux.

Ailleurs, on parle de crimes passionnels, ou d'intérêts. Si la violence parait pure, alors on invoque la folie pour expliquer le geste. Sinon, nos connaissances, bons sens et cultures ne l'acceptent pas.

J'ai pu constater, lors de séances de dressage de chiens, que le déclencheur de posture d'agression d'un chien était toujours liée à des postures de violence, même mimées. C'est tout l'art des protagonistes dans le "jeu de dressage".

Lors de marche en nature, il m'est arrivé de passer le long de propriétés que des chiens occupaient et certainement défendaient. Alors que ceux-ci couraient dans ma direction en aboyant de façon agressive, je leur répondaient par des mots et tons de salutation et d'accueil. A chaque fois les chiens se sont calmés et ne sont jamais arrivés jusqu'au grillage ou au chemin où je marchais.

Un conseil que je reçus enfant était que, si un chien venait vivement vers moi dans un mode agressif, je devais ne pas courir, ni fuir, mais faire face avec calme et détermination. J'ai pu bien souvent expérimenter que cette posture calmait le jeu. "A" me dit alors qui si je tombe un jour sur un chien réellement méchant et agressif, il vaudra mieux que je m'enfuie. Il est certes possible que je n'ai peut être jamais rencontré de chien réellement agressif et méchant. Mais mon expérience m'indique autre chose.

Un jour, dans une ferme où je travaillais, je dus aider le fils du propriétaire à s'occuper d'un taureau charolais qui avait perdu son anneau nasal. Cet outil barbare servait à le conduire docilement. Ce jeune s'y prenait mal car très tendu, un peu affolé par la situation et peureux des réactions de l'animal. Il m'enjoint de tenir l'anneau dans le naseau du taureau le temps qu'il trouve de quoi faire une goupille pour refermer l'anneau. Il oublia de m'indiquer que cela faisait une quinzaine de minutes que la bête était maintenue immobile par l'anneau nasal qui lui faisait forcément mal. 

Le taureau fit un pas de retrait et me frappa d'un coup de tête en avançant. Les cornes écartées ne me touchèrent pas mais je fis un arc de cercle en arrière sous la pression. Je retombai à plat dos sur la paille de la stabulation. Le taureau passa au dessus de moi et s'y maintint. Je savais que ce type de bête pouvait se rouler sur son agresseur. Je m'échappais littéralement, conscient de ce qui se passait. Me redressant et me retournant, je vis le taureau de plus d'un tonne qui me regardait tranquillement.

Je n'ai jamais rencontré dans le comportement animal de violence pure et gratuite. Il y a toujours une "bonne" raison qu'il nous faut comprendre. Bien qu'elles existent, il n'y a que très rarement de cas de folie animale libérant une violence démesurée. Les chiens de défense qui mordent et ne lâchent plus sont dressés pour faire cela, comme un militaire est entrainé à combattre et tuer. Les trois causes de conflits humains sont l'avidité (voire la cupidité), l'ego (jusqu'à l'hubris) et l'ignorance (parfois volontaire). Pour enclancher la réponse, s'invite bien souvent la peur.

Nous comprenons bien ici qu'il n'y a pas de violence pure ordinaire. "A" me fit remarquer qu'en cas de violence subie, je devais bien me défendre et que je n'allais pas me laisser faire. Je lui répondis deux choses. La première est que la violence appelle la violence et que celle-ci n'est jamais que destructrice, et ce dans une surenchère infernale. Elle ne produit rien. La seconde était que ne pas guerroyer n'était pas ne rien faire. Comme il me l'avait été conseillé gamin, fuir est dangereux, et agresser n'était pas dans mes cordes. J'avais appris de mes expériences que la constance, la consistance dans la bienveillance constituait le comportement le plus adapté. Mieux, on retrouvait ici bien plus qu'une certaine efficience.

Aussi, j'ai pu expérimenter, tant dans des situations avec des humains qu'avec des animaux, que le calme bienveillant, une posture consistante et convaincue, avaient un impact sur le comportement d'autrui. Vous vous souvenez peut-être de cette séquence que j'ai relatée dans ces pages. Une journaliste palestinienne, interrogée par le Mossad et, sachant que ces agents là utilisaient des chiens de combat pour convaincre les interrogés à parler, entendit des aboiements dans le couloir voisin. Se sentant déjà morte, elle se leva déterminée et dit à ses interlocuteurs : "Je ne joue plus." Puis elle sortit sans que personne ne réagisse. Très certainement subjugués, les agents en restèrent là.

Voilà une posture efficiente "d'en paix", puissante et radicale. Ce n'est là qu'un exemple. Je pense aussi à l'attitude de Rosa Park qui refusa de changer de place dans un bus en Alabama, une obligation légale qui la forçait du fait qu'elle était noire. Bien sûr elle fut condamnée à une amende de 15 dollars et ceci déclencha une très longue grève d'utilisation des bus (380 jours) par les noirs. Au final, on aboutit à l'abolition de cette loi discriminante. Il est aussi vrai que la compagnie de bus avait perdu beaucoup de revenus lors de cette grève.

Cette histoire de la résistance de cette population discriminée pour les droits civiques est un modèle de traitement non violent. Plus tard Nelson Mandela, dont le nom de clan tribal est Madiba (qu'on pourrait traduire par "le père"), combattit l'apartheid en Afrique du sud par la réconciliation de toutes les populations du pays et le pardon mutuel. La non-violence n'est pas un abandon, ni une sorte de soumission, ni même une posture molle ou bisounours. Il s'agit d'une stratégie qui ne prend pas l'adversaire pour un méchant, mais avec bienveillance comme un réel partenaire. On ne juge pas. On travaille ensemble. Mandela pouvait en être convaincu, lui qui avait débuté par la résistance violente qui l'amena en prison durant vingt huit ans.

"A" ne comprenait plus que l'on défende une telle posture. Elle lui paraissait absurde et inefficace : "Quand la violence et la haine sont là, il faut se battre !" Je lui redis le raisonnement de Gandhi sur la problématique d'indépendance de l'Inde, son pays : "Qui détient notre souveraineté ? L'anglais ! Qui est le plus puissant militairement ? L'anglais ! Donc il est notre partenaire et c'est par lui que nous obtiendrons ce que nous voulons." S'il avait amené son peuple dans la guerre, ils auraient été écrasés et certainement leur pays aurait été bien abîmé. 

Que fait un gouvernement pour discréditer des mouvements sociaux ? Il laisse faire lesdits "Black Blocs", puis il réprime derrière leurs actions. En effet, il est militairement le plus fort et détient la violence légitime. Le bon chemin est de prendre l'adversaire comme partenaire. Il me souvient alors que sur le ring, celui qui me faisait gagner mes combats était l'adversaire et là, j'aurais encore bien des anecdotes à raconter...

"D'abord, me dit "A", tu pousses le bouchon un peu loin et ensuite ce type de comportement ne tient pas la route. Face à la violence, tu te bats ou tu te barre !" Je lui demandai de quoi il avait peur pour réagir ainsi. Il me rétorqua: "Je n'ai pas peur ! Je me bats !" "Tu n'as pas peur parce que tu te bats ?... Alors c'est la peur qui te fais choisir la violence. Je comprends..." En effet ça se tient. Et la peur n'est pas la meilleure conseillère. "Ca n'empêche que ta non-violence bienveillante est une prise de risque énorme..." reprenait "A". "Et comment tu fais pour rester stoïque et ne pas te faire massacrer ?"

En effet, je n'avais pas traité la question. C'est la bienveillance en paix qui en est la force. D'une part, la consistance face à la défiance déconstruit la violence. D'autre part, c'est dans la bienveillance sereine que l'on trouve la consistance. Certes, je ne dis pas que j'ai réagi au plus juste à chaque occasion. Cependant, si la peur fait trembler, la sérénité installe dans la consistance. Si nous savons trouver la sérénité dans le lâcher prise, nous lâchons la peur, sortant des causalités et se sachant dans le grand tout. Le monde ne s'écroule pas sur nous. Bien au contraire. Voilà la source de la force, comme nous l'avons vu dans quelques exemples. Effectivement, la force arrête la violence, mais quelle force ? Ethique ou physique ? Sur le moment, la réponse appartient à chacun, à condition d'y avoir pensé.

Jean-Marc SAURET
Le mardi 19 décembre 2023

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