L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Qu'est-ce que la mémoire ? (14 11)

Il existe nombre de discours, de propos et de descriptions de ce que serait la mémoire. On entend même qu'il y en aurait plusieurs : la mémoire à long terme, la mémoire intermédiaire, la mémoire de travail, la mémoire immédiate, la mémoire opérative, etc. Certains observateurs font aussi la distinction entre différentes mémoires liées à nos cinq sens : mémoire olfactive, visuelle, gustative, tactile, auditive, etc.

Toutes ces approches sont d'accord pour dire que la mémoire "stocke" des informations, comme l'on stocke des objets, comme on les collectionne, les range et les classe. Certains même affirment que l'on emmagasine des données en état d'éveil et que nous les trions et les classons en état de sommeil. Je ne dis pas que les recherches qui ont abouti à ces points de vue sont erronées, ou peu rigoureuses. Je les pense limitées et voudrais juste revenir sur les travaux de spécialistes en la matière comme le sont Maurice Halbwachs sur la "mémoire générateur" ou Jacques Benveniste sur la mémoire de l'eau.

Le sociologue Maurice Halbwachs, dans "Les cadres sociaux de la mémoire" (Paris, 1925), précise que celle-ci n'est pas un grenier où l'on stocke, range et classe des objets que l'on nomme ''souvenirs''. Au contraire, elle constitue plutôt un phénomène, un processus de reconstruction permanente à partir de sensations (goût, toucher, vue, ouïe, odorat), ancrés par des émotions et des sentiments. Ceux-ci sont "éveillés" par des éléments de représentations sociales ou personnelles. C'est en cela que le phénomène mémoriel est une reconstruction immédiate de fait car il n'y a d’ailleurs, en la matière, que le présent qui soit. Ceci nous explique pourquoi nous développons aussi de "vrais faux souvenir", comme Maurice Halbwachs les nommait. "Te souviens-tu de notre voyage à Besançon ? Tu avais..."... "Mais, je ne suis jamais allé à Besançon !" répond l'interlocuteur et ami. On ne peut savoir a priori qui a "mal" reconstruit ou trop associé... De quoi s'agit-il ?

Nous élaborons des souvenirs à partir d'éléments sensoriels comme de goût, d'images, de sons, d'odeurs, de sensations kinésiques, lesquels sont associés à des émotions (joie, amour, plaisir, désir, peur ou douleurs, etc.). Ce sont là sont des marqueurs valorisants, sur le rappel immédiat d'un sentiment, d'une sensation immédiate et/ou rappelée. Nous élaborons donc dans notre conscience des souvenirs en assemblant logiquement nombre d'éléments ainsi ''convoqués''. De fait, ce ne seraient pas des histoires ou des faits qui sont mémorisés mais des sensations émotionnelles en rapport à des éléments que l'on prend pour des objets. Ce sont eux qui sont convoqués au présent comme les briques de ces reconstructions immédiates.

Ce que Jacques Benveniste appelait la mémoire de l'eau était la trace que les éléments y laissent lors de contacts avec elle. Comme l'a confirmé par la suite le Professeur Luc Montagnier, ces traces sont en capacité de produire les mêmes effets que l'élément premier lui-même. Ainsi, de l'eau mis en contact avec une particule curative aurait le même effet curatif que la particule elle-même. Ainsi, il donnait plus que du sens à l'homéopathie, mais un modus operandi (Ce qui n'était pas du goût ni de l'intérêt de laboratoires pharmaceutiques qui lui firent une guerre aussi puissante qu'efficace puisqu'il en est mort). Ainsi la trace de nos gestes, de nos pratiques, de la résistance ou pas de matériaux, et autres, accompagnent et participent de nos sensations comme autant d'objet quotidien, avec l'efficacité d'un souvenir.

Ainsi, traces psychiques et physiques composent ce que nous nommons des souvenirs. Il s'agit de constructions au présent de faits "nouveaux". Ils sont, par traces, en résonance de sensations physiques et psychiques éprouvées ailleurs et en d'autres moments. Ainsi nous construisons au jour le jour des "raccourcis cognitifs" qui accompagnent des savoir-faire, voire inconscients. Ce sont, par exemple, chacun de nos gestes pour manger, cuisiner, conduire sa voiture, faire le ménage, ou même écrire cet article sur mon ordinateur...

Par ailleurs, dans le champ de la mémoire visuelle, on identifie la mémoire dite "eidétique" ou photographique. On dit qu'il s'agit là de la mémoire absolue. Elle est en effet plus une technique de mémorisation qu'une mémoire particulière. En effet, au moyen âge, un savant comme Giordano Bruno l'avait formalisée. Il n'en était certainement pas l'inventeur puisque trouvères et troubadours utilisaient déjà une approche de même nature. Il s'agissait, à une époque où l'écriture était un art réservé et savant, de pallier la difficulté de retenir de longs poèmes versifiés.

La première et plus ancienne technique consistait à les psalmodier, ce qui sollicitait l'oreille. Une autre technique consistait à "imager" chaque vers et à faire se succéder les images évolutives sous forme de scènes, chaque vers étant contenu dans une image singulière signifiante. C'est ce que fit Giordano Bruno en structurant la démarche. Il intégrait ainsi à chaque image autant d'éléments récurrents, comme un animal, une chose de nature, un objet manufacturé, un personnage et autres. Chaque élément du tableau représentait, par jeux de mot ou jeu symbolique, un mot ou un groupe de mots du vers. Dans la succession des images représentant chacune un vers entier, chaque élément se transformait en un suivant pour représenter le vers consécutif. Ainsi cette technique de mémorisation, fondée sur la logique d'associations visuelles, eut un grand impact sur la population lettrée et elle est toujours enseignée de nos jours.

Pour Confucius, la mémoire se fond dans l'être profond dans une logique similaire : ''Nous sommes tous et chacun, disait-il, une somme de sensations et d'émotions que nous avons traduits en images. Les images constituent l'illusion de notre moi profond, élaborant la posture depuis laquelle nous agissons.'' La mémoire est dès lors ouvertement un fond irraisonné, émotionnel et intuitif. Elle se révèle être l'ensemble des traces que nous gardons du contact avec d'autres évènements. Ce sont autant de propos, éléments et matières avec lesquels nous avons été en contact, "en sensation". Réciproquement nous leur laissons notre trace "émotionnelle" qui, dès lors, leur est propre. L'image est une construction mentale "émotionnalisée" qui représente directement le réel et retrace nos vécus.

On raconte qu'un psychiatre viennois qui accompagnait un ancien soldat de la grande guerre relatait cette histoire. Ce soldat, paradoxalement, n'arrivait pas à oublier quoi que ce soit et cette compétence exceptionnelle lui était une douleur envahissante. Le psychiatre s'est attaché alors à comprendre comment il procédait. Il a ici reconnu une technique proche de celle de Giordano Bruno. Le soldat avait l'habitude de tout mémoriser en accrochant les éléments événementiels aux portes, volets, murs et fenêtres de chaque maison qui se trouvait sur le parcours qui le conduisait en ville.

Un jour, lors d'une séance, le psychiatre demanda à son patient de revenir sur un souvenir précis et à sa grande surprise le soldat ne s'en souvenait plus. Le psychiatre insista, lui donnant même la rue et le numéro de la maison où il avait accroché ce souvenir. Le patient, surpris à son tour, lui dit qu'il n'y avait pas de maison à ce numéro là. Le médecin alla donc vérifier et découvrit que la "maison-support" avait été détruites, qu'elle n'existait effectivement plus. Il en déduit alors que, le support ayant disparu, les éléments de mémoire qui y étaient accrochés avaient disparu aussi. Très certainement, le soldat n'avait pas mémorisé la disparition de la maison, mais avait juste "effacé" la maison support de son parcours, abandonnant ainsi tout ce qui y était lié.

Ainsi, à l'aune de tous ces travaux, nous pouvons nous comprendre et penser que la mémoire est un phénomène d'assemblage émotionnel et sensitif. Elle permet en l'espèce de faire vivre un "souvenir présentement utile" ou "digne d'intérêt", voire porteur de sens. Ainsi celui-ci se résume faire symbole, à être  "représentation". Il s'agit là d'une reconstruction immédiate d'éléments disparates. A ceux-ci sont associés, dans cet "objet" de mémoire, des sensations, des sentiments, des émotions et des traces matérielles réelles comme des éléments d'images, à l'aune de préoccupations, d'intérêts et d'enjeux tout à fait immédiats. Tout se passe dans l'instant présent et on y retrouve pêle-mêle des contraintes, des peurs, des désirs, des frustrations que le souvenir, scellé de traces matérielles pratiques, vient renforcer et/ou résoudre.

Par exemple, si j'ai peur qu'il m'arrive encore une fois un événement douloureux ou désagréable, j'en construits donc la justification ou la matérialisation dans un "événement souvenir", fût-il vrai... Le souvenir n'est alors qu'un élément du présent, là où je vis, porteur d'un sens utile ou simplement efficient ! Ainsi, partager des souvenirs consiste à confronter des "revécus immédiats" à l'aune d'enjeux et d'intérêts actuels et personnels. Alors, les souvenirs cités ne sont jamais que des arguments de débat. Et c'est peut être ainsi que l'on construit son histoire et celle du monde...

Jean-Marc SAURET
Le mardi 14 novembre 2023

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