"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Remettre du rituel (31 10)

Quelle est la place du rituel dans notre vie sociale ? D'aucuns considèrent les rites comme des contraintes et des atteintes à la liberté personnelle et à l'autonomie de pensée. Ils y voient quelque chose d'enfermant sur le mode religieux. Ceux là, je les inviterai à la lecture des excellents ouvrages de l'anthropologue Claude Rivière : "Les liturgies politiques" (Puf, 1988) et "Les rites profanes" (Puf, 1995). Dans ces deux ouvrages, il indique que nos mœurs, usages et habitudes se cristallisent en pratiques et rôles à forte portée symbolique. Ils traversent et structurent à l'évidence toute notre société. Ce que nous indiquent ainsi les anthropologues et les sociologues est la fonction sociale du rituel, organisant et séquençant aussi la vie personnelle. Ainsi le rituel s'inscrit pleinement dans la dynamique sociétale. Les spécialistes font une différence entre les différents rites. Il y a ceux d'appartenance, de passage, de reconnaissance des vivants comme des morts. Ils ont une fonction autant de séparation que d'intégration. Chaque rite a une fonction régulatrice et surtout donne et confine du sens pour les individus, un sens commun ou à partager. Ce sens fait réalité, voire vérité. Il est cohésif et assembleur. Il fait communauté comme le font les mythes et les légendes.

Il se trouve qu'actuellement les rites ont une certaine tendance à disparaitre au profit d'imaginaires individuels. Wokisme et autre "cancel culture" déconstruisent ce qui fait lien social. Ces ont nos références à cerner la réalité, ce que Schopenhauer nomme "critérium", ce commun partagé. Ceci est au profit d'une imaginaire "liberté de penser, à s'auto déterminer", comme si nous pouvions nous même dire et décider de ce que nous sommes socialement. Mais l'individu n'existe pas individuellement. Comme l'a déjà si bien posé Aristote "l'homme est un être social". Lacan enfonçait le clou quand il disait que nous n'existons que de l'autre. La réponse systématique à l'expérience interdite, qui consistait à isoler deux nouveaux nés sans socialisation afin de constater de quelle langue première ils useraient, s'est toujours soldée par la mort des bébés. Sans socialisation l'humain n'est pas, et le bébé meurt !

Si donc nous ne sommes que des autres (Aristote, Jung, Freud, Lacan, Levinas ...), notre réalité, comme je l'ai plusieurs fois développé, est une construction. Nos l'effectuons dans l'achoppement d'une expérience individuelle sur un environnement sociétal. Que le rite soit volontairement inclus ou pas, le rite est de facto un élément de notre construction autant personnelle que sociale. D'ailleurs l'une ne va pas sans l'autre. On repère le rite qui la distingue et la fait exister dans nos réalités, pas son fait lequel précède sa mise en conscience. Le rite est une construction sociale symbolique dans une réalité donnée.

Sa fonction est bien de réguler nos rapports sociaux et de mettre du sens dans nos réalités. Il pose en substance la nature des rapports et des fonctions. Il me revient qu'écolier, lorsque le professeur entrait en classe, les élèves se levaient et le professeur répondait par un "asseyez vous !" dès qu'il avait atteint son bureau. Ainsi les choses étaient en place et la vie de la classe pouvait commencer. Ceci indiquait que les élèves avait reconnu le professeur en tant que maître. Il était considéré en tant que sachant dans la fonction dédiée de leur apporter son savoir et les sens qui le composent, et ce avec efficience dans les meilleures conditions. Ainsi, avec des obligations réciproques, le professeur avait la main sur le déroulé de la "leçon" dans la gestion de la dynamique de l'organisation, subissant les conséquences de sa direction. De leur côté, les élèves avaient une obligation d'écoute et de travail, d'indispensable contribution à la dynamique collective, de participation active à la vie de la distribution des connaissance et en étaient responsables de "la leçon". Ils savaient en subir chacun les conséquences.

Dans notre société occidentale, lorsque deux personnes se rencontrent, elles se donnent une poignée de main. Sa mise en forme affirmera la qualité de leur relation dans cet environnement, voire à venir et acte d'un consensus prérequis. Elle donne le ton de l'entretien. Nous savons que ce rituel nous vient du moyen âge. Se prendre les mains était une façon de montrer qu'aucun des protagonistes ne tenait d'arme. Aujourd'hui, le refus d'user de ce rituel indique la volonté affirmée que les prérequis ne sont pas là. Ceci annonce que l'entrevue sera conflictuelle dans un environnement déjà conflictuel. Le protagoniste refusant le rituel pose ainsi le fait que "des choses graves ne sont pas réglées", ou que les rôles sont déséquilibrés, que la relation est inégale. Ce refus de rituel en est effectivement aussi un où le refusant pose ainsi que la relation pourra se poursuivre si et seulement si les éléments en question seront réglés, le problème résolu, un accord trouvé. Il s'agit de construire au préalable une "réalité" consensuelle manifestant la situation réglée.

Nous pouvons simplement constater que le climat conflictuel qui traverse toute la société fait apparaître que les représentations de ces situations ne sont pas du tout partagées, que le rôle et la fonction de chacun n'est pas reconnue et que donc le mode de relation n'est ni convenu, ni fondé sur du commun : le sens n'en est pas partagé pour tout ou partie, que les voies de progrès ne sont ni entrevues ni possibles dans l'instant. Ainsi, la seule issue et conséquence de ce type de situation est l'affrontement. Comme aucun rituel ne peut venir moduler la violence, celle-ci peut être extrême.

Que font deux étranger de cultures différentes quand ils se rencontrent ? Ils tentent maladroitement d'user obséquieusement du meilleur de chaque rituel. Chacun pratique pour "faire sens", et tente d'attraper, solliciter le sens de l'autre. Ils tentent de mettre en place un climat bienveillant. Chacun tente d'accueillir des éléments de rites de l'autre. Ainsi, on assiste à de grands sourires, de multiples courbettes et tentatives de contacts physiques repris maladroitement par l'interlocuteur, souvent accompagnés de petits rires gênés. Ceci est ce que l'on repère comme des ajustements, chacun témoignant de sa bienveillance. Quelques repères étant partagés, alors la relation peut s'installer.

Si notre société veut survivre à sa déconstruction post-moderne avec cette la mutilation de ses références, nous devons et devrons en passer par là : cette reconstruction et reconnaissance de l'autre. Il nous faudra mettre en place de nouveaux rites convenus pour un vivre ensemble voulu en paix par les protagonistes. Il me souvient de ces quelques jours ou semaines partagés dans une chambre d'hôpital avec deux ouvriers allemands dont j'ignorais tout de la langue et des coutumes. Après quelques craintes réciproques et quelques fous rires nous avons construit quelques rituels complices, une protolangue commune faite de connivences élaborées à partir de très peu de choses dans un immédiat aussi hasardeux qu'incertain. La volonté était de s'entendre afin de passer du bon temps dans ces circonstances défavorables pour chacun.

La volonté, la bienveillance et l'humilité s'avèrent alors indispensables à la construction du bien vivre ensemble à venir. Il s'agit bien ici de faire taire son mental pour libérer de la place aux références, enjeux, intérêts et représentations de l'autre. En revanche, si l'une des parties veut en découdre, ce sera la guerre à moins que l'autre partie ait un intérêt premier à ce que ce soit la paix. Celui qui répond à la violence par la violence accepte la guerre et il la crée. Ce qui détermine nos comportements sont, comme je l'ai déjà développé précédemment, des questions d'enjeux, d'intérêts et de contraintes dans des représentations de soi, de l'autre et de l'environnement à partager.

Les rituels sont ainsi des raccourcis permettant, quand nous les avons en commun, de franchir les étapes en parfaite "consensualité". Quand nous ne les avons pas, s'impose alors leur construction sur la base des représentations de chacun. Le souci de nos temps actuels se reflète dans la déconstruction volontaire de représentations communes. On va retrouver ici la réalité du genre, les oppositions de classes, de genres, de religions, de postures dans des lectures divergentes de l'histoire. La situation se construit en fonction d'intérêts, enjeux, contraintes et autres éléments, etc. Dès lors, selon l'intention fondamentale de faire guerre ou paix, l'usage de pratiques insidieuses, manipulatoires ou mensongères, apparaissent. L'absence ou la déconstruction volontaire de références et de représentations communes rend inévitables les incompréhensions et les affrontements.

C'est bien l'intention bienveillante d'au moins l'un des protagonistes qui pourra faire avancer les choses vers l'harmonie sociétale. Comme le dit le proverbe, quand la vérité prend l'escalier, le mensonge prend l'ascenseur. La vérité finit toujours par arriver et s'installe alors... Il en va de même pour la bienveillance face à la méchanceté. Cela prend du temps, certes, mais elle gagne toujours. Le prix peut paraître parfois élevé mais il sera moindre si le bienveillant affirme sa bienveillance et ne cède ni à la violence ni à la peur. Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, par exemple, en sont des démonstrateurs patents. De fait, la paix et la confiance se construisent patiemment sur le temps long quand la violence et la haine sont nerveusement, émotionnellement et passionnément sur le temps court.

Tout récemment, un anthropologue de mes amis me faisait observer une situation où la bienveillance et poser fermement des rituels étaient particulièrement efficient. Il s'agit ainsi d'apprendre à l'autre cette pratique, de le reconnaître pour ce qu'il le fait aussi, car cette démarche conduit à des reconstructions. C'était le résultat de la volonté de Rabin et Arafat. Là, se trouve le courage. Aimer l'autre et le travail bien fait reste un socle de co-construction, même si l'autre spontanément n'en veut pas. Et ça peut marcher... Voire même mieux : ça marche !

Jean-Marc SAURET
Le mardi 31 octobre 2023

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