Le poète Michel Bobin, bien connu dans le milieu des chrétiens protestants, avait dit dans l'un de ses nombreux ouvrages, que la société de la surconsommation vouait un culte absolu à la performance et à l'efficacité. Il ajoutait que c'était là une société où le moyen (l'économie, l'argent) était devenu le but, alors que la puissance de l'humain se trouvait dans les interstices de sa faiblesse. Nous parlons et rabachons des lignes et des minutes de propos sur la vie alors que nous n'en comprenons parfois rien. Le cœur de la réalité nous échappe souvent, non comme une obscurité profonde, mais comme une lumière trop claire, presque aveuglante. Alors, nous nous rabattons sur l'apparence, oubliant l'essentiel : la lumière.
Je vois là un lien sémantique avec l'idée du moi profond dans les philosophie orientales où il se confond avec l'univers, la conscience pure et universelle. Mais revenons à ce que dit le poète dans sa critique de l'actuel.
Ici, la forme prévaut sur le fond, le moyen comme (ou sur) la finalité, le comment sur la conséquence. Mais ne serait-ce pas là la fameuse faiblesse dont le poète parle comme la véritable puissance efficiente ? Certainement, mais alors à la condition que le béant de notre incertitude, de notre méconnaissance, reste ouvert et questionnant. Comme le disait Aristote, "La philosophie ne donne pas des vérité mais pose des questions." Dès lors les moyens de la connaissance (et non du progrès) nous sont donnés. C'est dans le trouble du questionnement, dans l'opaque de l'incertitude que nos capacités à réagir, à comprendre, s'ouvrent avec efficience. Car, si la nature a horreur du vide, notre nature humaine a horreur du vide de sens.
C'est donc bien cette méconnaissance qui devient le moyen de notre efficience alors que ce seraient les schémas de nos certitudes qui prétendent être la voie de l'efficacité. C'est plus ce trouble que notre esprit, notre âme, rencontrent qui éveille ce sursaut de survie et devient efficient. Il n'apporte aucune solution mais éclaire le chemin à suivre pour atteindre "la finalité de l'être", alors que son idée reste enfermée dans sa représentation, dans l'idée que l'on s'en fait.
Michel Bobin nous indique que trouver n'aide en rien, et qu'il s'agit plutôt là de la mort de la démarche, de sa fin, du moment de son abandon, de la mort même de l'âme si donc sa finalité est d'atteindre la connaissance. La finalité n'est pas de s'y confondre, alors que chercher est ce qui nous tient debout.
Celui qui cherche l'efficacité prendra les voies connues, réputées "efficaces", alors que celui qui cherche la "vérité" préférera les chemins de l'incertitude, ceux qui portent l'efficience. On fait aussi, dans la culture matérialiste, un usage singulier du concept où l'efficience est la consommation des ressources utilisées dans la production d'un résultat. Ce serait là un composant important de la mesure de la performance.
Voilà un retour abusif et contraint vers la culture matérialiste, celle du chiffre et des données. Cependant l'efficience, quant à elle, vise étymologiquement la révélation de l'essence des choses. On parle parfois d'efficience matérielle, laquelle s'évalue dans le rapports entre les résultats obtenus et les ressources utilisées. Il s'agit alors d'une confusion mécanique avec la performance. Nous retombons là dans la même boucle qui devient une impasse. La culture matérialiste ne sait pas penser autrement que dans ses certitudes. Elle ne sait ni ne comprend rien au doute ni à son utilité.
Si le mot efficient nous est habituel depuis le treizième siècle, celui d'efficience nous est venu au siècle dernier du pragmatique mot anglais "efficiency". Rien d'étonnant alors qu'existe ce concept utilisé en économie et attaché à l'idée de performance. Il permet alors d'en recenser et d'en analyser tous les facteurs (nombre, compétences, ajustement, etc.). En philosophie, on prêtera plus d'attention à la dimension scientifique d'intelligence et de sagesse, c'est à dire à ce qui répond à l'effet de la science et du doute qui la constitue.
En effet, si l'efficacité mesure la performance à atteindre un résultat, l'efficience compare les chemins de recherche et de pratique, mesurant aussi les effets inattendus, non recherchés et leur influence, leur impact. Alors, on étudie et analyse les différentes manières d'atteindre un objectif. Mais de quel objectif s'agit-il ? D'un résultat qui s'épuise dans le chiffre ou d'un effet sur le monde selon des valeurs ? Je pense alors à la sagesse, à la liberté, à l'humanisme, à la paix, à la bienveillance, à la sérénité, et donc une certaine idée du bonheur, etc...
Si l'expression "ephi" évoque la mesure (de l'hébreu "epha" qui est une mesure de grains), l'efficience signifierait donc "à la mesure de la recherche", c'est à dire de la sagesse, plus que du savoir.
Ceci renvoie à l'intelligence des choses et non pas seulement à des résultats factuels. Ainsi, en matière d'efficience on opposera la manière et le sens à la seule recherche d'un résultat matériel. Une recherche efficiente tiendra donc compte de la nature des choses, de leur sens et orientations plus que du seul résultat chiffrable. En efficience, justement, la fin ne peut justifier les moyens, bien au contraire.
Pour prendre un exemple simple qui nous interpelle justement, en matière de démocratie, ce n'est pas le terme de la loi qui importe mais sa conformité avec les représentations du peuple, avec les attentes profondes des gens. Une décision efficiente sera celle qui tient compte du vécu des acteurs, pas forcément d'une simple déduction logique. Ne perdons jamais de vue que la logique dépend toujours d'intérêts particuliers, voire singuliers. Le chiffre n'est pas la sagesse. Ce n'est là qu'un outil : celui que d'aucuns auront mis en objectif.
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