J'espère que cet été aura été l'occasion de découvertes et de ressourcements, qu'il vous aura apporté douceurs et satisfactions. Alors, reprenons nos échanges et revenons à nos moutons. Dans mon article "Post-Modernité et alternation culturelle : 1 - L'homo consommateur", je parlais d'une évolution du traitement de l'information dans nos médias principaux. Depuis, les choses ont largement évolué et ces médias principaux sont devenus, selon le mot d'Idriss Aberkane, des médias "de grand chemin", outils de propagande et de distribution d'une bien-pensance officielle. On sait qu'un discours de vérité est ce qui reste quand on a évacué tout ce qui gène. Mais comment s'y sont-ils pris ?
Je n'ouvrirai pas le débat sur les éléments de communication car nous nous perdrions rapidement dans les méandres de raisons et arguments d'opinions et de "toute bonne foi". Je ne m'attacherai qu'aux processus historiques qui font le phénomène, ainsi qu'aux outils et aux acteurs qui l'ont conduit et critiqué jusqu'à nos jours.
En premier lieu, le procédé est largement décrit très simplement dans "le prince" que Nicolas Machiavel écrivit au début du XVIe siècle : instiller la peur par la violence et construire un récit sur la situation qui sert les intérêts du prince. Ce récit contient déjà les bouc-émissaires à évacuer ainsi que les moyens et méthodes de résolution du problèmes, tout en jouant sur les enjeux, les intérêts et les représentations, trois pôles que j'ai déjà plusieurs fois développés. Ceci nous rappelle bien des événements récents. Au delà d'une certaine perte de crédit de ces médias officiels dans la population, suivi d'une certaine défiance, trêve de commentaires. Beaucoup les ont déjà fait ...
Ce que nous voyons aussi, et qui est affiché, réside dans la "qualité" des propriétaires de ces "médias de grand chemin". Ce sont des personnes physiques très bien installées dans la dynamique économique néolibérale. On comprend aisément qu'il s'agit là d'investissements stratégiques et que ceux-ci, malgré les dénégations, dirigent les lignes éditoriales de leurs outils de communication, dans lesquels ils ont des intérêts avoués : développer dans la population un large consentement en leur faveur et ainsi installer aux commandes du pays ceux ou celui qui les servent. Cela marche moins bien aujourd'hui, conscience et défiance obligent.
D'ailleurs, il me souvient que le principe de "fabrication du consentement" a été imaginé par le journaliste très libéral et polémiste américain Walter Lippmann dans les années vingt. Il a ensuite été largement développé par son proche Edward Bernays, publiciste américain et neveu de Freud, dans ses services au gouvernement, aux grandes entreprises et dans son livre "Propaganda" . Cet ouvrage fut édité en 1928 et devint le livre de chevet de Joseph Goebbels, "patron" de la propagande nazie.
On en comprendra l'impact et la proximité idéologique quand le politologue et historien Johann Chapoutot publiera "Libre d'obéir - le management du nazisme à la RFA" chez Gallimard en janvier 2020. Il met en exergue la logique commune néolibérale et post-nazie révélant aussi des proximités idéologiques. D'ailleurs, on retrouve des acteurs nazis à des postes clés dans la société économique occidentale, que ce soit dans l'enseignement, dans de grandes entreprises, ou en politique. C'est notemment la nomination à la première présidence de la commission européenne de Walter Hallstein.
Il ne s'agit donc ni d'un hasard ni d'une opportunité, mais bien d'une démarche néolibérale bien pensée. Depuis, les auteurs Edward Hermann et Noam Chomsky ont étudié, analysé et décrit le processus de construction du consentement afin de le donner clairement à voir. Quelques émissions culturelles ont été consacrées à leur travail, notamment sur la chaîne du service public à vocation culturelle, Arte.
L'historien David Collon * rapportait sur son blog : "« Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre d’engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue ** ». Plus que toute autre, cette phrase d’Edward Bernays, publiée en 1928, a contribué à donner de lui, et ce jusqu’à nos jours, l’image d’un maître de la manipulation de masse et l’inventeur de la fabrique du consentement."
Le Designer Bachir Soussi-Chiadmi écrit à cet endroit : "Dans le contexte d’une démocratie, l’usage de la force pour amener les masses à agir comme les dirigeants (politiques ou économiques) le souhaitent n’est pas permis, il faut alors se tourner vers une autre solution, c’est a dire la manipulation de masse, ou propagande, visant à éteindre l’esprit critique dans la population et à lui faire accepter des lois contraires à ses propres intérêts." C'est ce que l'on nommera les "relations humaines" selon les mots d'Edward Bernays lui-même.
Le principe de ce type de manipulation a été aussi largement décrit par Georges Orwell dans son livre "1984". Il consiste à faire peur et flatter les instincts érotiques, d'appétit ou d'émotion. D'autres sentiments, ou sensations peuvent se trouver sollicités : telle la fierté, le pouvoir. Il en va de même avec le sentiment d'appartenance et d'affection, auprès des personnes de la population afin d'instiller dans leur esprit une réponse stimulante. C'est, par exemple, ce que Bernays fit pour le compte de cigarettiers américains quand il créa la publicité affirmant que la cigarette serait un "flambeau d'émancipation des femmes".
Cette propagande est un art de la manipulation et du mensonge. Edward Bernays en était fier. D'ailleurs, il ne se dédit jamais. Oui, il y a quelque chose de cynique dans cette posture, voire même de psychopathique. Elle sert des intérêts en accord avec ceux des propriétaires des médias de grands chemins. Il est donc bien évident que la manipulation se poursuit aujourd'hui, même si des dissidences se développent. La manière de détourner le public de cette réflexion-ci est d'user du mot convenu de complotiste. Cela fait aussi partie de la démarche : la disqualification des opposants lucides, une autre forme de la "négation du contradicteur". Là aussi, cela fonctionne de moins en moins bien ...
Il n'est pas utile ici d'aller plus loin : tout est particulièrement bien développé dans les propos et l'analyse de Hermann et Chomsky. Je ne peux que vous inviter à visionner ce fidèle reportage qui en témoigna sur Arte en cliquant sur ce lien.
La présentation de la vidéo nous indique que : "La vie est faite de choix, mais êtes vous certain de faire les vôtres librement ? Dans ce reportage, découvrez comment Edward Bernays a su créer l’illusion du libre arbitre en mettant des outils et techniques de manipulation de masses à disposition des états et des industries. Souriez vous êtes manipulés"...
La meilleure façon de noyer le poisson est de toujours maintenir l'eau trouble. Il s'agit ensuite de qualifier ce qui est le camp du bien et bien sûr l'autre dans un "discours" qui sera celui de la vérité. C'est "grâce à lui" que l'on pourra dire, effacer et mentir en toute "loyauté" et impunité. Alors nous gardons attention et vigilance ! C'est ici une autre manière de confondre "la carte et le territoire"...
Ainsi, on se rend compte que ce que distribuent les médias de grand chemin est d'abord une propagande. Et la propagande n'est ni plus ni moins que la répétition permanente d'un mensonge, disait Orwell. Il finit par occuper une part du réel comme si ça pouvait être vrai, jusqu'à ce que des gens commencent à y croire. Mais, comme nous le dit Davide Tutino, professeur romain de philosophie, "la désobéissance civique est la plus haute expression du dialogue entre l'individu citoyen et le pouvoir dominant. Elle est le message de la lucidité." Et cette lucidité pointe le bout de son nez...
Il pourrait m'être opposé de manquer de factualité. Alors voici quelques courtes questions sur l'actualité récente : pourquoi les émeutes n'ont-elles durée que cinq jours ? Personne ne souhaite y répondre, n'y a répondu et depuis plus personne n'en parle comme si elles n'avaient pas existées. Certains avancent que ce sont les trafiquants de drogues qui seraient intervenus pour protéger leurs affaires.
Mais qui a étudier la sociologie de ces émeutiers ? Personne ! Du moins personne n'en a rapporté les résultats ni l'hypothèse qu'ils soient. L'Italie, l'Espagne ou l'Angleterre l'ont fait et ont ainsi montré que ces pays savent le faire. Mais ici, rien n'est dit au delà de la carricature officielle. Cependant, au vu des cibles d'actions de ces émeutiers, on peut comprendre qu'il s'agit plutôt de violences revanchardes, bien loin de toute démarche politique.
A ce jour, il ne s'agit pas encore d'une nouvelle commune de Paris car bien trop étendue et non locale. Il ne s'agit pas non plus de la révolte d'un sous prolétariat, car les cibles des violences ne sont pour l'heure pas les moyens de production ou de gestion, comme des banques ou des centres d'affaire, mais des magasins de consommation, voire très peu de symboles du luxe. Pourtant les médiats de grand chemin ont rabâché ces images isolées. Les rues semblaient pleines de consommateurs avides plutôt que de citoyens révoltés. Le néolibéralisme a fait son œuvre.
Il ne s'agit pas encore non plus d'une révolution politique avec projet de société car éteinte au bout de cinq jours, sans slogan ni stratégie. Ce n'étaient là qu'actions violentes et anonymes. Non, il s'agit juste d'une réaction de violences revanchardes, de consommateurs qui se rendent compte qu'ils sont privé des produits de la société, qu'ils sont les perdants du système, les abusés de la politique et de l'économie. Ce sont des consommateurs néolibéraux, des morts-vivants de la société, en quête de jouissance immédiate. Et ceci personne n'en a fait l'analyse... Faudrait-il certainement relire Nietzsche et Dostoïevski ? Il y aurait encore tellement à dire...
Mais aujourd'hui, il me semble que deux phénomènes marginaux et culturels font symptôme : l'explosion à travers le monde du nombre de spectateurs à "Sound of Freedom", ce film qui dénonce le trafic d'enfants, et ce malgré les censures (comme en France) et les attaques du monde de la production de culture, les dénigrements par les médiats de grand chemin comme par le puissant monde d'Hollywood pour des questions d'intérêts et d'enjeux. C'est aussi l'explosion dans le monde anglophone de la chanson country et minimaliste d'Oliver Antony "Rich Men North of Richmond" qui décrit cette prise de conscience d'être manipulé et spoliés par la minorité des plus riches. Sa vidéo se repend sur la toile comme une traînée de poudre et c'est le cas de le dire. D'ailleurs, les tentatives de récupération sont nombreuses et Oliver Antony les dénonce clairement. Le commun des mortels n'est pas dupe et un autre monde se prépare...
Ceci mériterait une publication plus conséquente. Mais plusieurs existent déjà, comme celles de David Collon (citées en annexe). En attendant, nous assistons actuellement et graduellement à une large prise de conscience populaire du mensonge et de la manipulation des élites pour leur propre compte. De plus en plus larges populations réalisent qu'elles ont été spoliées, forcées, contraintes et manipulées dans une fabrication de leur consentement non éclairé, masqué, aux raisons occultées.
Il est vrai, comme l'a dit le sociologue Michel Maffesoli, que quand un système en perte de ses fondamentaux s'effondre (et je pense à cette démocratie républicaine), il se caricature et se radicalise avec violence. Actuellement, les populations réalisent que le temps des réparations doit venir. Ainsi il faudra s'attendre à une réaction dont la violence sera à la hauteur de ce qui a été vécu. Ce peut être quelque chose de l'ordre d'un mai 68 étalé dans toutes les grandes villes puisque les "gilets jaunes" ont montré le chemin. Selon les cultures, le raz de marée pourrait bien s'étendre sur toute la planète. Les élites dirigeantes ont donc du soucis à se faire car le printemps 2024 sera vraisemblablement très chaud.
* David Collon est l'auteur de plusieurs ouvrages dans ce domaine, notamment : "Rupert Murdoch. L'empereur des médias qui manipule le monde" (Tallandier, 2022), "Les maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse" (Tallandier, 2021), "Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain", Paris, Belin Editeur, Collection « Histoire », 2019,
** Edward Bernays, Propaganda, Paris, Zones, 2007 (1928), p. 55-56
Lire aussi : " Post-Modernité et alternation culturelle : 1 - L'homo consommateur "
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