Comme je suis présenté, et me présente aussi, en sociologue clinicien, comme le sont reconnu des confrères (Je pense à Vincent de Gaulejac, André Lévy, Jacques Rhéaume ou Louis Wirth, entre autres), il m'a été plusieurs fois demandé de préciser ce dont il s'agit. Je ne parlerai pas de mes collègues mais m'appuierai sur ma propre activité et y puiserai mes exemples, modèles et explications. Mais s'il fallait en donner une première définition, je dirais que la sociologie clinique considère la relation entre l'histoire expérientielle personnelle et l'environnement historique et social du sujet. Elle examine la co-construction interactive de la personne et de sa "réalité" matérielle, sociale et symbolique. Ainsi, elle considère les postures qui se dégagent dans un environnement où la culture partagée fait un contexte signifiant. Ainsi, cela nous indique comment nous pouvons agir et reconstruire...
Ce que fait la sociologie est de tenter de comprendre comment les relations sociales font mouvements et société. Il s'agit de conduite d'audit social, d'analyse de groupes sociaux dans des problématiques particulières, de management dans des organisations singulières, de phénomènes sociaux locaux en regard de dynamiques sociétales, les impacts réciproques, etc. On en déduit des principes sociaux. La chose est assez simple à imaginer et donc certainement aussi à accomplir ou à comprendre.
Le terme de clinique signifie que le praticien exerce "au chevet du patient". Ici ce seront donc "des patients", ou demandeurs "malades" de ce qu'ils vivent et subissent tant depuis le haut que depuis le bas de l'organisation où ils œuvrent, depuis leur environnement. Il s'agit d'avoir une action "curante", ou curative, auprès du milieu ciblé ou au cœur des personnes accompagnées dans un contexte donné.
L'expertise mise au service des clients, ou patients s'il on peut dire (du moins des demandeurs), est l'ensemble des connaissances issues des études menées sur le terrain. Le sociologue, sur ce champ là, n'a pas de cesse. Tout fait de société, qu'il soit local et global, constitue un enseignement. Cette phase devient l'occasion d'un "nourissement". Pour ma part, je renvoie à mes articles accessibles à partir de l'onglet "Les essentiels".
Michel Maffesoli, dont on sait que je suis proche (je peux même dire qu'il est un ami), rappelait qu'un sociologue, un philosophe, un auteur, avait une pensée majeure qui façonne toute sa pratique. Pour ma part, et beaucoup d'entre vous le savent, il s'agit de cette idée constructiviste que la réalité est la représentation que l'on a du monde et de soi dans le monde. C'est cette vision justement qui guide nos pas. Ainsi, je passe mon temps à travailler sur ce champ là jamais épuisé et si foisonnant. Il peut même s'avérer efficient. Ainsi, par extension, ce que je pense des gens détermine aussi leurs comportements et attitudes. C'est aussi là le concept de "prophétie réalisante" de Paul Watzlawick. Si l'on comprend bien ce qui se passe et que l'ont vit, alors la posture adéquate vient d'elle même.
Je me sais clinicien et me réclame de la sociologie clinique car mon activité a consisté à travailler avec les acteurs du milieu dont j'ai fait mon objet d'étude : "le management des personnes et des projets". Non seulement j'accompagnais individuellement et personnellement des managers, ou pas, qui m'en faisaient la demande et ce dans la plus grande discrétion. Cette phase me permettait de les amener à prendre conscience de leurs propres représentations de manière à ce qu'ils comprennent pleinement ce sur quoi ils n'avaient pas la main. A contrario, ils pouvaient mesurer ce sur quoi ils pouvaient l'avoir et ainsi prévoir, envisager et préparer le "comment s'y prendre".
Mais mon activité allait bien plus loin. J'ai vite animé des "Groupes d'Echange de Pratiques" très communément appelés "GEP". Selon une méthode de mise en commun, d'analyse avec une circulation maîtrisée de la parole (de manière à éviter les bavardages dits de "café du commerce"). Ces "moments" étaient nourris d'exemples, de modélisations, d'apports issus d'analyses externes, et de fondamentaux de la sociologie des organisations. Cette phase permettait de constituer un corpus pratique pour les participants. Chacun y faisait alors son marché non sans questionnements débattus et répondus.
Ces groupes que j'avais créés dans le département où j'exerçais (l'Essonne), se composaient à chaque séance d'une douzaine de participants en situation de management. Nous traitions soit une problématique générale (comme le leadership, ou les différents modes de management, mais ce pouvait être aussi une problématique occasionnelle surgie d'un événement nous impactant. Nous pouvions traiter également de problématiques apportées par les participants eux-mêmes. Il s'agissait alors de partager les réflexions, ce qui était à notre main, ce qui ne l'était pas, de quelles représentations cela relevait (peurs, intérêts, enjeux, contraintes, représentations systémiques, etc.). A partir de ces prémices, il était loisible d'ouvrir des voies de possibles, des éventuelles voies d'action et de progrès, voire de changement.
Je ne manquais jamais l'occasion de nourrir ces "à propos" de méthodes, pratiques, conduites et principes facilitants. Les participants se nourrissaient et le propos était si ouvert que chacun et chacune prenait ou reprenait "du poil de la bête" et développait un esprit d'analyse critique. Le corpus qui s'en dégageait nourrissait mon bagage. Cette pratique ne manquait pas d'élargir l'autonomie des acteurs, leur implication dans les constructions de projet et de politiques de management. Bien sûr, je ne me suis pas fait que des amis car des hauts dirigeants voyaient dans ces ateliers quelque chose qui leur échappait, un foyer même d'autonomie qu'ils imaginaient pour certain comme un foyer de frondes. Il y en a même qui ont pu prendre peur et m'ont "attaqué" directement et indirectement.
Mais le principe apparaissait tellement apprenant et enrichissant que le centre national de formation de la fonction publique territoriale me demandait de développer le concept au niveau national, ce que j'ai fait sous la forme d'Atelier du management, jusqu'à mon départ à la retraite en 2017. Car je refusais d'animer de tels groupes en m'éloignant des réalités du terrain. L'efficience, l'engouement et la réputation étaient les mêmes qu'au département.
On comprend alors en quoi un sociologue, docte d'enseignements universitaires, nourrissait son savoir à l'aune des différents terrains et de leurs problématiques singulières. Se développait alors un savoir clinique, lequel était immédiatement restitué, redistribué à tous ceux qui venaient le solliciter. Voilà en peu de mots ce qu'est, à mes yeux, un sociologue clinicien.
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