Il y a des approches et des postures de vie qui parfois nous posent question. D'autant plus si ce sont les nôtres. Dès lors que nous posons notre regard dessus, nos contradictions nous interrogent, parfois même seulement nous encombrent sans que l'on ne se rende vraiment compte de ce dont il s'agit. Jusqu'au jour où des événements personnels nous posent la question de ce qu'est la réalité. Je dirais même que ceci interroge ce qu'en sont les variables pour l'appréhender : temps, espace, causalité. Un classique kantien et cartésien.
En ce qui concerne le temps, nous connaissons les deux dieux grecs du temps : Chronos et Kaïros. Nous avons l'habitude de décliner le temps en passé, présent et avenir. Bien sûr, nous savons que seul existe le présent, celui dans lequel est ce que l'on vit, la sensation, le ressenti. Toute notre réalité n'est que là. Le passé n'est qu'une trace plus ou moins délébile, liée à nos préoccupations présentes, et dont l'image pourrait nous accaparer jusqu'à l'obsession. Le futur est une notion de conséquences aux résultats aléatoires. Alors nous en projetons l'image sur l'instant présent. Parfois, un vertige nous y aspire. Nous l'avons déjà posé.
Le temps n'est qu'un rapport subjectif à l'instant. Selon notre rapport à lui, le temps est, passe ou fuit... Le temps n'est donc que ce voyage immobile, un miroir de l'instant sur nos préoccupations. Le passé n'est pas le siège de nos expériences car elle ne sont que ce que j'en fait dans l'instant. Le futur n'est pas le siège de nos projets car nous projetons dans l'instant. Tout est dans l'instant. Passé, présent et futur ne sont que des notions symbolique du vivre ça, là, ensemble, ou pas, dans nos préoccupations immédiates. Nous usons de ces notions pour nos relations dans une codification culturelle. Nous pensons le temps comme le dieu Chronos alors qu'il est aussi Kaïros, l'occasion opportune, le bon moment, l’instant à saisir, le temps ressenti.
Il en va de même avec l'espace : il n'y a que l'ici où nous sommes. L'ailleurs reste une projection mentale, une idée que l'on se fait d'un "au delà" de ce qui est là, comme d'une nécessité dans et pour notre mental. L’ailleurs s'inscrit aussi dans un passé et un futur vécu dans l'instant.
Ainsi nous voici installés dans l'ici et le maintenant. Alors qu'en est-il de la causalité ? Pourquoi les choses sont-elles, pourquoi arrivent-elles. Pourquoi les faisons-nous ? Pourquoi et comment agissons-nous ? Regardons de plus prêt :
Dans le bouddhisme tout est causalité, conséquences et changements. La seule chose qui soit permanente, c'est le changement.
Pour ma part, il m'arrive d'être parfois partagés entre devoir faire et simplement faire, entre me conformer à ce qu'il semble devoir être et cette pulsion profonde à agir autrement selon mon moi profond, entre cette "injonction extérieure" et cette "intelligence intérieure". Quelle serait vraiment la bonne voie ? D'autant qu'il serait préférable parfois d'avoir la paix plutôt que d'avoir raison. En effet, comme le propose la sagesse bouddhiste, la question de la causalité nous appartient totalement.
Le regard intérieur sur ma construction de vie depuis mon enfance (une approche contemplative) m'indique que j'ai vite préféré me débrouiller tout seul : comprendre moi même, expérimenter et répondre aux situations "depuis moi". J'en ressentait une puissance et comme un lien réel au récit de la "vérité", de fait ce qui nous apparaît comme juste et bon. Mais regardons de plus près car ce n'est là que mon ressenti, après tout.
Certainement inconsciemment, je vivait déjà très jeune, et en pratique, l'appel de Socrate à plonger à l'intérieur de moi pour mieux me connaitre et rencontrer l'univers et les dieux. Peut être parce que le monde extérieur m'apparaissait violent, injonctif et injuste, je cherchais en moi la sensation du bon et du vrai, dans une sorte de contemplation qui me répondait.
Je développais alors une habitude à me faire confiance, ou du moins à ce qui me remontait du plus profond de moi-même. Je repense à ces sensations de "savoir" ce qu'est la personne que je rencontre et découvre, le lieu où j'arrive, l'événement qui se profile, qui m'attend, avec à chaque fois la juste confirmation qui suivait.
La pensée constructiviste nous dit, et je la pense vrai, qu'on ne voit que ce que l'on croit et non l'inverse. En effet, mais dans ma pratique, pas de raison, pas de peur, juste une contemplation ordinaire et toute simple qui me livre une sensation, vécue à peu près comme un souvenir. Ainsi, m'arrive, "comme une réminiscence", le ressenti de cette personne que je rencontre pour la première fois. Il m'arrive en tout cas d'avoir, en me levant le matin, la sensation de la journée qui s'ouvre, mai aussi, par ailleurs, la sensation du lieu où j'arrive pour la première fois. Et ce type de sensation s'avère toujours juste.
Comme je l'ai déjà raconté, un gitan ou manouche, qui m'avait pris en stop, m'indiquait que ce "phénomène" était bien ordinaire, et largement partagé chez les gens de sa communauté, notamment les enfants. La vérité n'est pas toujours au fond d'un puits. Elle est souvent ou parfois sous nos yeux, posée sur l'étagère, comme une sorte de résurgence. Et nous ne voyons rien faute à nos croyances, à nos manques de disponibilité, voire de lâcher prise.
Depuis bien longtemps je me suis habitué à comprendre, réagir et réparer puis construire selon mes propres ressentis. Cela me parait plus sûr. Je me suis habitué à avoir une approche globale de moi dans mon environnement, à ne suivre ni rien ni personne, seulement à attraper parfois ça et là des pratiques adaptées et utiles. Je ne choisie pas, je fais... C'est peut être cela que l'on appelle simplement l'intuition, ce surgissement qui s'impose devant soi. A la différence près qu'il n'y a là que l'évidence de la réalité et bien sûr aucune hésitation ni doute possible.
Cela peut aller très loin dans nos pratiques, jusqu'à prendre n'importe quel support comme stimulation de cette intuition qui nous dit ce qui est derrière le voile des Védas, hors de la caverne, voire dans un "au delà" de l'ici et du maintenant. Il y en a qui jettent des runes, d'autres des cartes ou des osselets, d'autre rien du tout : les supports ne sont pas la vision, juste un rituel de mise en repos du mental pour la suggérer... L'intuition et ses visions viennent toujours de l'intérieur.
Oui, il s'agit de comportements hors de toute raison et pleins de sensations. Comme ce matin d'école où cette collégienne de mes collègues passe près de mois en allant rejoindre sa place. Elle me lâche alors qu'elle n'a rien lu de la leçon du jour. Je lui répondais, à ma grande surprise, qu'aujourd'hui, il n'y en avait qu'une qui récitait et que c'était elle. Contrairement à l'habitude avec ce professeur, c'est ce qui se passa.
Je comprenais assez tôt qu'on ne peut pas déléguer à qui ou quoi que ce soit la perception du monde, la sensation de sa réalité. Il y a alors comme une apocalypse, une ''levée du voile'' sur le réel, une révélation de ce qui est caché, obscur ou mal aperçu. Et ça, personne d'autre que moi ne peut le faire pour moi. Bien sur, ce n'est ni un don ni une singularité et, comme le disait le gitan, tout le monde peut faire ça, il suffit de laisser venir.
Je faisais de cette habitude inconfortable mon juge de paix, même si, encore longtemps, je gardais une certaine hésitation entre faire comme il faut et faire comme je le sens. Comme c'était plus commode, pragmatique et plus sûr de suivre mon ressenti, je développais une personnalité qui pouvait bien apparaître quelque peu rebelle, atypique ou indépendante. C'est la monnaie de ce type de pièce.
Certains de mes professeurs et chefs bienveillants semblaient comprendre les raisons de cette attitude déconcertante, et ils m'écoutaient avec intérêt. Alors nous échangions. D'autres, plus conformistes en étaient exaspérés. Alors l'échange était bloqué. Mais qu'importe, la "vérité" semblait bien naître dans les sensations et c'est toujours le cas aujourd'hui. Je ne suis donc pas du tout obéissant, juste très attentif. Je n'ai donc jamais eu le culte de la personnalité, ni le sens du conformisme, ni de l'autorité ou de la hiérarchie. Je n'ai jamais eut que le sens du "qui provoque quoi", du "qui est responsable de quoi". Et ceux-là avaient intérêt d'être bien inspiré car, de ma vie et à mes dépends, je ne les ai jamais raté, comme on dit. Nous sommes responsables de ce que l'on ressent et de ce que l'on vit.
Je me rend compte que c'est là une approche globalisante, voire autonome ou "anarchiste libertaire", d'où mon penchant pour ce mode de voir et d'être. J'ai saisi cette réponse "Yippie" (Youth International Party) : "Do it yourself !" J'en ai fait mon éthique et même une chanson.
C'est alors une sensation intérieure qui me dit si mon choix est "juste" (je dirais plutôt "correspondant", c'est à dire "convergeant avec le réel") ou risqué et jusqu'où. Je fait confiance à mes sensations intérieures. Elles disent toujours ce qui est et m'en revoient le fait sous forme de sensation indélébile, quoi que plutôt subtiles.
Avant de faire un choix, de prendre une décision, aussi simple soit-elle, même une simple décision d'achat d'un livre, je m'écoute, je ressent, et alors je fais... ou pas. Bien sûr, c'est là une affaire très personnelle et je me garde bien ni de l'enseigner (ce dont je suis incapable) ni de la promouvoir d'aucune façon que ce soit. J'en témoigne seulement, juste pour dire que ça existe. Le reste ne m'appartient pas.
Mais au delà de tout cela, ce phénomène a eu sur moi d'autres conséquences logiques et auxquelles je n'avais pas pensées. Garçons fragile et peureux de la violence (peut être à cause d'en avoir suffisamment subi), peu à peu et imperceptiblement, la peur s'effaçait avec le temps jusqu'à "totalement", me laissant parfois même sans prudence aucune. Je l'attribuais logiquement (voire officiellement) à la pratique des sports de combat, qui n'étaient pour moi que des "dépassements de soi".
Par ailleurs, je pris aussi l'habitude de ne plus combler les incertitudes ni les mystères de la vie et de la nature par des constructions de croyances imaginées ou déduites. J'accueille simplement le fait de ne pas savoir, de ne pas comprendre, puisque la sensation prime sur la déduction logique. Certes, le vide de sens ne me gène pas.
Parfois, lorsque je discute avec ma tendre et douce et lui relate quelques faits étranges lus, vus ou entendus ça et là dans quelques émissions, vidéos, situations ou livres. Elle me rétorque immanquablement : "Mais tu y crois ?". Alors je lui répond que je n'en sais rien, que ça se pose là et que ça mérite peut être seulement que l'on y pense, que l'on regarde ou simplement d'attendre. Je ne crois à rien, seulement que c'est là quelque part et peut être autrement que ce à quoi l'on s'attend. Je reste alors attentif et disponible, m'en tenant aux faits, larges ou inaperçus, que je constate, sans les trier ni les juger. Je les accueille avec aussi quelques ressentis, parfois même profonds. Mais alors ce souci de toujours agir avec justice et justesse me rattrape.
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