Comme le titre le donne à voir, cette présentation relève effectivement quelque peu de la pensée junguienne. Ces trois dimensions sont présentées et décrites plusieurs fois dans l'œuvre de Carl Gustav Jung. Elles sont reprises, interprétées et étudiées par nombre de ses disciples reconnus ou pas, légitimes ou non. Mais qu'importe, la réalité n'est jamais que celle de celui qui parle dans un environnement socialement partagé, ou pas.
Alors, mettons-nous d'accord sur les termes (et peut-être ne le serons-nous pas) et poursuivons notre réflexion.
L'Ego s'apparente à ce que l'on nommerait le "conscient" tant chez Jung que dans d'autres courants psychanalytiques. Je pense à Lacan, qui a fortement pensé et structuré cette approche en France. L'argument vaut également pour Freud dont la notoriété est tout à fait remarquable et remarquée. D'aucuns l'appellent le "moi". Cette représentation que nous avons de nous-même diffère d'une culture à l'autre. Cette construction consciente du moi est dépendante des constructions culturelles, de vision du monde. Elle s'appuie sur des valeurs, et autres principes fondamentaux, de priorités propres à l'environnement dans lequel je pense, je bouge, j'agis, j'évolue.
L'égo, de structure et de fonctionnement très rationnel en Occident par exemple, épouse ici les formes de ce qui s'apparente au bon sens de la personne. Il est ce qui nous tient debout, rassemblés sur nos "importances", sur nos "essentiels" tant personnels que sociaux. Ainsi, dans ma région, les valeurs morales de droiture et de travail s'adossent bien à la transparence et à la modestie : c'est ça le fondamental et le bon sens local, lequel ici va de soi...
Ailleurs, plus au nord ou autre, comme dans quelques régions de montagnes, ce seront la possession et l'importance sociétale, qui diront qui vous êtes. Ailleurs encore, dominera la question du nom de famille qui fait "socle sacré". "Vous en êtes"... ou non. Ailleurs aussi, on mettra en avant la question terrienne et du bon sens. Ici, les questions de solidarités, de bienveillance ou d'hospitalité s'avéreront aussi fortes que déterminantes. Encore ailleurs, ce sera la sociabilité et la capacité à prendre les autres en compte, à vous fondre dans un collectif de valeurs et de priorités, dans une logique du cœur, de bienveillance et de compassion. etc...
Car, vous êtes de fait d'une de ces cultures-là ou d'une autre. Vous y adhérez, vous vous y conformez, même inconsciemment, histoire "d'appartenir" à la communauté, bref, d'en être. C'est là la "mécanique de l'être". Mais ce n'est là seulement qu'une ébauche "du réel et du vrai". Elle n'épuise pas la réalité. La question de la place et du rôle dans ce collectif, dans cette culture, joue aussi sa partition. Ceux qui "en sont" se reconnaissent immédiatement. Les autres, parfois, ont du mal à comprendre ce qui se passe, ce dont il s'agit.
Bref, l'Ego est cette partie de l'être qui réfléchit, avec (et par) les structures sociales, calcule, déduit, comprend le monde et sa propre place dans un "monde" organisé ou pas. Il est cette petite voix qui n'arrête pas dans la tête, qui est perpétuellement en action, qui balance des idées à tout va. Cela va des culpabilités aux jugements divers. Pour nombre de personnes, notamment en Occident, c'est ce que nous sommes. On a tendance à le confondre avec l'orgueil et la radicalité culturelle.
Le "Soi", nous disait Jung, est ce que nous sommes profondément, jusqu'au plus profond de l'univers duquel nous dépendons et auquel nous appartenons, bref : "duquel nous sommes". Le "Soi" s'inscrit dans tout ce qui est, dans tout ce qui appartient au réel, jusqu'aux limites de l'ego. Paradoxalement, plus je prends conscience que je suis partie intégrante de l'universel, plus ma personnalité s'affirme et me distingue. De fait, Jung, qui avait une connaissance certaine du bouddhisme, savait que ce dernier concevait l'identité de toute chose et de chacun, comme élément du tout, de l'univers, comme la vague est à l'océan. Le soi est une sensation d'être, un ressenti profond jusqu'au vertige. On le croise dans le silence et la contemplation.
Et puis, il y a "l'ombre", cette partie de nous-mêmes qui existe comme un complément de l'égo, son alter-égo, voire son miroir, dirons-nous. En effet, il est tout ce que je reproche aux autres, que je ne supporte pas, que je refuse et condamne en conscience et qui pourtant m'habite profondément. Certainement, il s'agit de tout ce que je n'accepte pas de moi-même, mais comme étant aussi une part profonde de moi-même. C'est pour cela que nous parlons de notre part d'ombre.
Certains n'y voient que les quelques éléments de nos vies en totale contradiction avec l'image que cultive notre ego, ce en quoi les autres nous reconnaissent. Mais l'ombre est tout ce que nous refusons de nous-même et qui vit par-delà notre conscience.
Exister, comme me le suggère mon philosophe de frère Alain, est étymologiquement "sortir du néant" (ex-isterer). Il ne s'agit donc pas seulement de sortir de l'Ombre, ce qui nous est aussi compliqué que de ne pas exister. L'Ombre n'est pas le néant mais la part rejetée de soi-même, certainement "vouée au néant", certes, mais elle est là, bien présente au fond de soi. Dans nos élans quotidiens, elle parle plus fort que notre conscience l'imagine, bien plus présente que le conscient lui-même.
Si l'ego est bien ressenti comme particulièrement présent, jusqu'à y confondre notre identité, le Soi, par contre, est bien rarement ressenti dans sa large dimension, laquelle traverse l'univers et les dieux. Si nous l'accueillons et l'acceptons comme cette large part de soi qui nous relie à l'univers, à tous les autres et au "grand tout", alors seulement nous nous particularisons et commençons une existence distincte.
Nous voici de retour à cette pensée junguienne : ce que je refuse revient continuellement me bousculer jusqu'à ce que je l'accepte et le prenne en compte. Alors seulement, il peut se dissoudre dans le réel et m'apporter le meilleur. Il ajoutait "Ce que tu nies te soumet. Ce que tu acceptes te transforme." Il avait aussi énoncé cette formule qui nous éclaire : "Tout ce qui nous irrite chez les autres nous conduit à une meilleure connaissance de nous-mêmes... Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin... Ce à quoi vous résistez persiste". C'est bien là une autre forme du syndrome du boomerang.
Ainsi, accueillir l'Ombre, même si cela est difficile et douloureux, est un chemin vers la reconnaissance de Soi. C'est aussi le seul moyen de remettre l'ego à sa place, partielle, autant que partiale, de notre identité.
Lire aussi : "Connaître, comprendre et contrôler"
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