Les légendes anciennes autour du Minotaure et du labyrinthe sont multiples et variées et leurs apparitions couvrent une période allant de près de 1500 ans avant notre ère au deuxième siècle de notre ère. Au-delà des évocations d'Homère et de Plutarque, d'Ovide et Sénèque, il y a de nombreuses versions aux multiples points communs. Ainsi, le roi de la très puissante Crète, Minos, colérique et ambitieux, avait enfermé le fils illégitime que son épouse Pasiphaé avait eu avec un magnifique taureau blanc que Poséidon avait offert à Minos pour le sacrifier en son hommage. Minos, admiratif du trop bel animal, n'avait pas exécuté le sacrifice. Poséidon, pour se venger de cette parole non tenue, inspira à Pasiphaé une passion irrépressible pour le magnifique taureau. Elle en accoucha d'Astérios, ledit Minotaure, que Minos, furieux, enferma dans un palais dont il voulait qu'on ne puisse sortir et que construit Dédale à cet effet : le labyrinthe.
Minos, qui avait dominé Athènes lors d'une guerre précédente, lui imposa de lui livrer tous les neuf ans sept jeunes hommes et sept jeunes filles pour nourrir le Minotaure. Thésée, fils du roi athénien Egé, décida d'affronter le Minotaure et parti pour la Crète avec les treize autres victimes. Ariane, l'une des filles de Minos, éprise par la beauté et le charme de Thésée, décida d'aider celui-ci et lui offrir le moyen de ressortir du labyrinthe. Contre une promesse de mariage, elle lui confiait une pelote de laine dont elle garda une extrémité à l'entrée du palais.
Thésée, dirigé dans le labyrinthe par les grognements du Minotaure, le trouva endormi et le perça de toutes parts de son épée. Grace au fil d'Ariane, Thésée et les treize autres compagnons d'infortune sortirent du labyrinthe et s'échappèrent en mer avec la belle Ariane. Mais chemin faisant, Thésée l'abandonna sur l'ile de Naxos, et poursuivit sa route vers Athènes où, Egée, son tendre père l'attendait avec impatience. Ils avaient convenu qu'au retour de l'expédition, Thésée, s'il était vivant, hisserait des voiles blanches pour annoncer la bonne nouvelle. Mais Thésée oublia et s'approcha d'Athènes avec des voiles sombres ordinaires. Ce voyant, Egée se jeta de douleur dans la mer qui désormais porte son nom. Thésée épousa Phèdre, sa sœur, et devint roi d'Athènes.
Toute cette légende, fondée sur la séduction, l'ambition orgueilleuse et égoïste, mais aussi l'imperfection ordinaire de tut un chacun, ses cotés sombres, et aussi l'ordre des choses du pouvoir, a dès lors un sens profond que la mythologie nous livre. Le mythe témoigne tout d'abord de l'absence de héros dominant, mais d'une multiplicité d'acteurs interdépendants. Tout d'abord, nous comprenons que le sens profond se trouve tout autant au fond de soi, dans l'instant présent, celui là même qui ne se situe pas entre le passé et le futur, mais entre les regrets et les envies... Il ne reste plus qu'à fouiller et c'est ce que nous allons faire.
Quand on s'éprouve à voyager dans un labyrinthe, la sensation de se perdre est plus forte que le fait de se perdre vraiment. Dès lors se posent à "l'expérimenteur" ou "expérienceur", les trois questions spirituelles fondamentales : D'où vient-on ? Où sommes-nous? Où est le but, la finalité, la sortie ? Comme ce qui nous nourrit parcourt le labyrinthe de notre tube digestif, notre connaissance parcourt celui de notre moi intérieur, mêlé de conscient et d'inconscient.
Le psychanalyste Karl Gustav Jung nous a dégrossi la fonction archétypale que construisent ces récits mythiques pourtant si anciens. Ainsi, le labyrinthe est aussi celui de la construction de la vérité, du réel à travers les méandres de la conscience. On pourrait davantage dire "la labyrinthe", symbole du ventre féminin de la procréation où l'être se construit avant de naitre. Analogiquement, il s'agit du même processus de création et de découverte.
Dans le mythe du Minotaure et du labyrinthe, les sept personnages de l'histoire semblent être les facettes de la personnalité humaine, en phase avec les éléments de la vie. Dans l'archétype de ce mythe, Ariane représente la muse, séduite et inspiratrice des solutions, le féminin en soi, laquelle est trahie, abandonnées, par le héros masculin guerrier égocentré qu'est Thésée, l'oublieux de ses promesses. Celui-ci est le héros parce qu'il va au plus profond de lui-même vaincre son animalité instinctive que représente le puissant Minotaure, dictat des pulsions sur la personne (Dans le mythe grec, il est l'ancien et le nouvel ennemi, soit la Crète puis la Perse, tous deux successivement vaincus par les Grecs).
Le roi Minos représente la loi intériorisée du père, en lien direct avec les autres puissances divines tel Poséidon. Il incarne toutes les puissances qui nous transcendent, nous dépassent et avec lesquelles nous devons faire sans nous y opposer. Elles sont les forces de la nature, tout ce sur quoi nous n'avons pas la main. Pasiphaé, l'épouse adultère de Minos, porte toute la force charnelle de l'imaginaire émotionnel, laquelle est créatrice de nos chimères et de nos mythes. Dédale, l'architecte du labyrinthe et l'instigateur de la pelote de laine auprès d'Ariane, représente toute la science humaine, la sagesse de la connaissance et surtout la capacité à en faire quelque chose, c'est-à-dire de se mettre au service des causes justes ou recevables.
Nous n'oublions pas les sept jeunes hommes et les sept jeunes femmes qui sont le mieux de nous-même, les entités complémentaires dans leur perfection, l'absolu "in-sacrifiable", essentiel, le plus profond de soi qui doit pouvoir retourner chez soi.
Dans ce mythe, le fil d'Ariane permet la renaissance, la sortie du labyrinthe comme d'une matrice originelle. Plus tard Icare montrera que l'on peut s'échapper directement du centre du labyrinthe par le haut, par les airs. Il y a bien de manières de sortir du labyrinthe, soit par la chair, soit par l'esprit. Ces voies-là ne sont pas opposées ni complémentaires. La sortie est simplement double. Pour chaque histoire, il existe une voie, soit intuitive, féminine, par la patience intérieure, soit par l'esprit et l'élévation directe. La première invite à l'expression matérielle artistique, créatrice quand la seconde invite à la spiritualité, comme la méditation ou la contemplation.
Ici, le mythe raconte Icare s'envolant par le haut et comment ses ambitions prétentieuses le tuent. Il n'y a plus rien à ajouter : l'orgueil et la prétention ne font faire que des bêtises forcément malheureuses.
Ainsi, dans bien des cathédrales, se trouvent des labyrinthes que le pèlerin peut parcourir du regard, comme une méditation hypnotique à la découverte du chemin qui mènera en son centre. Le labyrinthe est bien tant le parcours que l'exercice de le parcourir, sans lequel il n'a plus de sens. Le pratiquer nous conduit à ressortir par la voie qui nous interpelle selon nos choix et priorités. Alors, le labyrinthe est bien plus que le chemin et son parcours. Il est aussi l'âme humaine dans toute sa complexité qu'il nous faut découvrir et parcourir pour s'en détacher, voire renaitre ou s'envoler par son centre. Ainsi va la vie...
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