L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

"L'autres" et le "chez nous" (11-01)

Quand on s'écoute parler, ou que l'on écoute des conversations ordinaires, on constate bien fréquemment qu'il s'y parle de gens et des relations que ceux-ci vivent. Il ne se traite d'ailleurs que des rapports vécus entre gens, ou via des interactions avec des tiers objets ! Bien sûr, dès que l'on parle, c'est de cela qu'il est question. Lacan disait que l'on ne parle jamais que de soi. A force d'observer le monde et les relations de groupes et interpersonnelles, j'en viens à la conclusion que c'est bien toujours de ce type de relations quelque peu égotiques dont il s'agit. 

Comme je le remarquais dans un précédent article, dès lors tous ces gens, avec qui nous sommes en rapport direct ou indirect, ont un nom. C'est celui dont on use par esprit pratique mais aussi parce qu'il nous colle à la réalité locale. J'évoquais ainsi tous ces noms par lesquels les peuples qualifient ceux qui "ne sont pas eux" : gabach, gadjo, pinzuto, barbare, métèque, et autres... Justement un des termes utilisés couramment est bien celui de "l'autre". 

Ce que contient de sens cette appellation est bien la dépersonnalisation de cet "Autre", celui qui n'est pas nous : "Qu'est-ce qu'il veut, l'autre ?..." C'est l'exclu par essence, l'inexistant de fait, le distant inabordable. Cette appellation est une déshumanisation volontaire du quidam. C'est celui qui n'existe que comme pantin, poupée, de fait il n'est rien : il n'a pas droit à un nom. Il y a donc là plus que du mépris. Il y a du rejet, de la xénophobie, de la mort morale dans l'effacement de l'autre. Si l'Autre ne mérite même pas de nom, c'est parce que celui-ci dirait qui il est. Cette appellation est une condamnation sans appel à l'inexistence. Dire "l'autre" c'est justement ne pas le nommer.

Par contre, comme je l'ai déjà indiqué, l'identité de chacun repose avant tout sur l'environnement de vie locale. Il est une matrice identitaire où se constituent les personnalités. Il n'est donc pas surprenant que les "cocontextuels" constituent quelque chose d'une fratrie. Il s'agit bien là d'un groupe des personnages reliés par l'essentiel qui les a construits et les construit encore. "Celui-ci est bien de chez nous !" dans cette expression, il y a toute la reconnaissance que nous dirions "du sol", voire même "du sang".

Naître quelque part est identitaire. Chacun a dans ce "quelque part" un rôle singulier. L'acculturation et les récits communs sont autant de pierres à l'édifice identitaire. Il me revient cette anecdote où, faisant de l'auto-stop dans un petit village d'une vallée des Pyrénées, juste en face d'un bistro où ça chantait et riait abondamment. Un des fêtards en sortit et m'aperçut de l'autre côté de la rue. Il me demanda ce que je faisais là. Je l'assurais qu'une voiture allait s'arrêter et que je continuerai ma route. 

Comme la nuit tombait, il évacua cette hypothèse. Il traversa la route et vient me chercher. Il me ramena dans le bistro et me "présenta" à la cantonade avec ces mots "J'ai joué à treize avec lui !" ce qui provoqua un énorme éclat de rire. Je compris que je venais d'être adoubé comme étant "du coin". La suite fut une collection de gestes bienveillants et hospitaliers. Cette attention appuyée permettait d'assurer l'évidente transgression.

J'ai connu d'autres territoires qui n'offraient pas un tel accueil empathique. Il y existait des rituels de passages discrets et jamais définitifs. Je repense à ce receveur d'un bureau de poste, venu d'une région voisine, qui pendant dix-sept ans s'était occupé de l'équipe de foot du village. Il se pensait bien intégré. Jusqu'au jour où il pensa utile de participer à une liste électorale communale. Il s'entendit rétorquer un définitif : "Ne te mêle pas de nos affaires !"

"Chez nous" est un territoire qui est l'affaire de chacun et de tous ceux qui en sont. "Si tu n'en es pas, pas touche !" S'y développent des jeux d'influences, s'y partagent des valeurs et, au milieu des interactions, vivent des débats et des affrontements fertiles. Cette effervescence locale offre un vrai modèle de la démocratie, qu'on appelle aussi "la vie de clochers". Il me revient cette autre histoire où, la première fois, Jean Glavani, poussé par le parti socialiste parisien, voulut se présenter à la députation dans les Hautes-Pyrénées. Ses amis lui avaient organisé des réunions avec quelques maires locaux qui ne manqueront pas de lui parler en occitan ni de lui poser des questions embarrassantes, comme : "Si les Parisiens vous envoient ici, est-ce parce qu'ils ne veulent plus de vous là-haut ?"...

Bien sûr il ne reçut pas la confiance des électeurs. Il faudra qu'il attende les élections suivantes et l'adoubement du député historique sortant qui ne se représentait plus. Son succès fut alors large et assuré. Il venait de passer du statut "d'autre" à celui "du coin". Je n'ouvrirai pas le catalogue des raisons d'intérêts qui permettent ce type de basculement. C'est d'ailleurs, en partie le même catalogue qui catégorise le quidam en "l'autre". Chaque territoire a ses règles. Mais il n'y a pas de réelle frontière infranchissable, juste des principes et quelques arrangements sur le vivre ensemble...

Comme les poissons vivent de l'environnement aquatique, nous vivons par l'atmosphère hydro-oxygénée et la pression salvatrice qu'elle exerce sur nous. Ainsi nous vivons culturellement du lieu qui nous a construits, des gens qui nous font peuple, des interactions au fil de la vie. Ainsi, les Basques ne sont pas des Béarnais, qui ne sont ni des Gascons, ni des Catalans, etc. Ces interactions nous construisent et nous fondent en culture et en expérience. Nos interactions avec chaque élément de l'environnement et avec nos pairs font la connaissance qui est la nôtre, nos identités individuelles et groupales, et tout ce que nous en faisons, réellement ou hypothétiquement. Et comme cela vit encore et toujours, les mouvements sont légion... mais peut-être jamais définitifs.

Jean-Marc SAURET

Le mardi 11 janvier 2022

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