Chaque fois que nous présentons une idée, une analyse, un point de vue, il arrive bien souvent que la première question qui fuse soit : "D'où tu tiens ça ?". Il est vrai que l'origine (ou la "source") constitue une garantie, ou pas, de l'idée émise. Ainsi, si votre propos ne convient pas, c'est la source qui sera attaquée. Vous serez discrédité d'un définitif "complotiste". De la même manière, vous pouviez être contesté, naguère, en vous trouvant apparenté à telle ou telle catégorie tout autant discriminante, et donc disqualifiante : Mécréant ! Royaliste ! Inculte ! Illettré ! Populiste ! Souverainiste ! Athée ! etc...
A titre d'exemple, "Propaganda" d'Edward Bernays, précise le mécanisme qui se met en place. Cette stratégie de construction du consentement, se trouve tout particulièrement utilisée en matiere de néolibéralisme. Le système fonctionne,... jusqu'au jour où le peuple voit les ficelles. Il n'y a alors plus long à remonter pour aller jusqu'aux manipulateurs. La réponse est quasi instantanée : ceux-ci appellent les découvreurs, des "Complotistes",... et donc ces dirigeants deviennent les nouveaux "négationnistes". La mécanique est simple. La référence fonctionne jusqu'à la prise de conscience. Mais, c'est une autre histoire, et nous allons tenter de la faire émerger.
Il me revient cette saynète très souvent racontée lors de mes cours de management aux cadres de la territoriale et autres : Je me lève le matin et j'allume la radio sur une chaine d'info, histoire de me mettre au courant des affaires de la nuit. La voix de Jean-Pierre Gaillard, spécialiste de la bourse, annonce qu'il est temps d'investir en action "Pétaouchnok", car vues les contingences, dans trois mois ces actions vont tripler.
Voilà pour l'info ! Je pars ensuite au travail et à l'entrée de l'escalier du métro, un personnage aviné et que je crois reconnaître comme étant un SDF, m'interpelle et me dit sur le ton de la confidence qu'il est temps d'investir en action "Pétaouchnock", car vues les contingences, dans trois mois ces actions vont tripler. Je lui offre un euros et, ne ''percutant'' pas, je passe mon chemin.
Arrivé à mon bureau voilà ce coquin de collègue Pierrot qui passe la tête dans l'échancrure de ma porte et me glisse d'un air complice qu'il est temps d'investir en action "Pétaouchnock", car vues les contingences, dans trois mois ces actions vont tripler. Je sais son aventurisme et son goût prononcé pour les risques non calculés, alors je lui souris et continue de préparer mes affaires.
Passe ensuite devant mon bureau mon directeur, que je sais particulièrement sage, avisé et précautionneux. Il me dit sur le ton de l'amitié qu'il est temps d'investir en action "Pétaouchnock", car vues les contingences, dans trois mois ces actions vont tripler. Je le regarde et opine de la tête, pensant bien à y réfléchir sérieusement...
En effet, on constate que la référence, s'avère déterminante, en termes de crédibilité. La "foi" dans le propos, dépend du crédit accordé à celui qui le tient. Le statut du référent s'avère déterminant dans la prise en compte de ce qu'il me dit.
Le modèle s'applique de la même manière à nos pensées, ou à nos assertions lors de discussions. Nos jugements et nos déductions obéissent à la même "logique". Alors il est temps de faire le ménage dans nos références. Il est plus que temps de les étayer, voire de construire celles qui manquent à nos propos et opinions. C'est à cette condition qu'elles vont pouvoir devenir des "points de vue", sinon elles restent des "opinions" assujetties à l'émotion et au jugement.
Le psychosociologue Rodolphe Ghiglione écrivait que, dans nos conversations, ce qui se passait principalement était basé sur une transaction de références. D'où le penses-tu et d'où je le tiens ? Comment ai-je pu construire cette opinion ou étayer ce point de vue ? C'est de là que le type de phrase : "Tu ne peux pas penser çà !", surgit à bon escient ou pas. Je sais alors, ou pas, y répondre... Tout est question de référence.
Quand je parle et échange avec mes frères, l'un philosophe chrétien et l'autre psychanalyste lacanien athée, je sais d'où chacun parle. J'entends, à partir de là, leurs références solidement étayées tant chez l'un que chez l'autre. Il ne s'agit pas de prendre pour vrai ou pour faux les propositions des uns et des autres, mais de les entendre. Quand mes frères parlent entre eux, il en va de même. Chacun sachant d'où l'autre parle, ils évitent l'achoppement stérile des certitudes.
Quand j'entends les propos et propositions de quidams sur l'avenir de la civilisation, sur l'éventuel avenir spirituel du monde, je m'attache à savoir d'où chacun le tient. Je constate de nombreuses convergences tant en philosophie, en politique qu'en spiritualité souvent sourcées à travers les âges. Et pourtant, je constate que les références sont bien diverses. Bien sûr, il n'y a pas la même référence à la même pensée pour tout le monde. Bien évidemment ! Ainsi, des valeurs partagées, telles la solidarité et l'entraide, ne s'appuient pas sur les mêmes récits, histoires, fondamentaux, voire même raisons... Cependant, elles sont partagées.
Par ailleurs, pour que chacun puisse affirmer ses propositions, il a besoin que sa parole soit étayée, construite, assurée. Et ce qui l'assure, commence bien par la référence à ses propres yeux tout d'abord. Puis, cela passe par les yeux de l'autre quand il devra faire "la preuve" de ce qu'il avance.
Dans ma pratique, la question "D'où tu le tiens !" est une question constructrice, une question de développement personnel. Elle renvoie au fond de la pensée de chacun, à sa justification, à la raison d'être. Ainsi, j'invite chacun à réfléchir et toujours à répondre à cette question simple, tant pour pouvoir asseoir son propos qu'assoir pour lui-même sa pensée, qu'elle soit critique ou croyance : ''D'où tu le tiens?, D'où je le tiens?'' Voilà bien des "points de passage" obligés.
Bien sûr, la référence ne sera perçue par l'autre qu'à l'aune de sa propre réalité. C'est un fait. Mais c'est à cette seule condition que nous pourrons parler, et en parler très sereinement de manière étayée. Et c'est sans doute ainsi que l'on se… construit aussi.
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