A l'un de mes articles, mon philosophe de frère, Alain, et Américain de surcroît, me faisait remarquer qu'il y a des sagesses pour inviter à agir pour aider à penser. Il m'écrivait qu'il ne s'agit pas de penser avant d'agir, mais d'agir pour bien penser. "C'est ce que disait Bonaventure : "Si tu agis bien tu finiras par bien penser". Ou encore Pascal : "Si tu ne vis pas comme tu penses, tu finiras par penser comme tu vis". L'expérience, disait Thomas d'Aquin, est première, c'est la pensée qui suit. Selon Platon "Il faut aller à la vérité avec toute son âme", le reste suit.... L'on porte en nous le désir du bien et du vrai et c'est cela qui doit nous conduire. Croire qu'il faut d'abord penser est l'histoire d'une longue erreur (Nietzsche). Il faut d'abord vivre, et suivre l'appel où la vérité nous entraîne... Thomas d'Aquin disait que l'expérience vient d'abord, la connaissance vient ensuite. On en reparlera..." concluait-il.
Voilà une proposition sur laquelle "l'évidence culturelle" m'avait invité à ne pas penser... Mettre la tête à l'envers pour, comme le proposait Edward de Bono, développer une pensée latérale et voir autrement le réel, n'est pas un exercice gratuit ni "hors-sol". C'est bien une démarche pour mieux appréhender ledit réel car toute réalité n'est jamais que la conscience que nous avons du monde. Cependant, cette conscience n'est que de nous et donc pas forcément juste. Il nous faut simplement accepter que l'univers soit autrement que ce que l'on en pense.
D'une part, j'ai conscience (et j'ai déjà pas mal écrit sur le sujet) que ma connaissance se fonde sur l'expérience que j'ai faite. Il s'agit, en l'espèce, de mon expérimentation du monde, et ce à partir la culture qui est la mienne. Car la culture me donne des concepts, des noms et des mots qui disent un monde déjà organisé, structuré et orienté dans une "vérité". C'est par elle que je pense et que le monde "existe". "La culture donne forme à l'esprit" écrivait Jerome Bruner. Les linguistes Sapir et Whorf ont déjà traité du sujet : c'est bien la culture qui donne forme à l'esprit et un anglo-saxon ne pense ni comme un Français, ni comme un Japonais, ni comme un Bambara.
Ainsi ma connaissance du monde, selon mon observation sociologique, repose sur les deux jambes de la culture et de l'expérimentation. Mais, de fait, penser pour agir ou agir pour penser relèvent bien de cette approche où se "discute" ce qui est premier. Selon la physique newtonienne, les lois de la matière dirigent l'univers ainsi que sa connaissance, dans la mesure où tout est matière. Mais selon la physique quantique, comme l'affirmait Tesla, "tout est ondulatoire et si vous voulez comprendre l'univers penchez-vous là-dessus". Ici, deux récits de vérité achoppent, se télescopent.
On pourra ainsi dire que si la culture donne un droit d'accès, c'est bien l'expérience qui fait la connaissance, la mise en réalité de phénomènes reconnus. On ne comprend bien que dans l'action. Dans cette démarche sur deux jambes c'est bien le va et vient entre la pensée et la pratique qui installent la connaissance dans nos cœurs et nos corps. C'est là une dialectique connue. Tous les enseignants le savent : ils vous en parlent, vous font pratiquer, puis débriefent avec vous. A partir de là, ils vous invitent à recommencer, et ce jusqu'à réaliser un récit partagé. Il sera dès lors celui de ladite "vérité" en la matière.
Quand on apprend tout seul, on imagine, voire on rêve, ce que nous allons faire, jusqu'à chaque geste. Ensuite on pratique et se "coltine la résistance du monde" jusqu'au résultat, celui-là-même que l'on contemple en se disant que la prochaine fois on changera ceci, allongera cela, qu'on accentuera autre chose... Ainsi, de l'expérimentation s'élabore et se construit le récit des principes.
Certes, il me revient ce souvenir ou, gamin, je demandais à ce même grand frère au bord de la rivière : "Alain, apprend-moi à nager !" Il acquiesça, me prit à bras le corps et me jeta dans un endroit où je n'avais pas pied et me cria : "Allez ! Vas-y ! Reviens !"... Ce que je fis... à ma façon. Sa philosophie est donc la même aujourd'hui, comme s'il n'y avait pas de démarche dans l'absolu, et par principe. Il fallait et il faut expérimenter.
Ainsi, le sorcier Yaki Don Juan disait à l'ethnologue Castaneda qui voulait connaitre sa démarche de connaissance : "Il y a plusieurs voies vers la connaissance. Il y a la danse, le chant, la marche, etc. Moi, je connais la voie du "peyotl" et je peux te l'enseigner." Il le fit pratiquer sans le prévenir ni décrire ce qu'il allait expérimenter. C'est comme cela qu'il apprit ce qu'il rédigea ensuite dans un récit de "vérité". Cela apporte bien de l'eau au moulin de mon frère.
Aussi, il me semble que ceci revient encore à cette réflexion sur l'approche de la connaissance. Je l'ai souvent abordée : doit-on privilégier la réflexion rationnelle ou l'intuition spirituelle ? Et si l'on commençait à marcher sur nos deux jambes. C'est bien en pratiquant que l'on trouvera et comprendra la meilleure façon de "faire". Car si la démarche rationnelle se raconte, l'intuitive ou la spirituelle ne sont pas du même domaine et leur verbalisation n'est rien. Elle s'expérimente d'abord.
Alors, pour finir sur une ouverture, je me remémore cette belle phrase de Mark Twain : "Les deux jours les plus importants de notre vie sont le jour où nous sommes né et le jour où nous avons compris pourquoi." Cette question du sens du monde, de soi et de chaque chose, s'invite au cœur de notre marche sur les deux jambes. On l'appelle encore le "récit de vérité".
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