Socialement, nous savons que la réalité qui nous entoure, et dans laquelle nous baignons, est liée aux représentations collectives et culturelles à travers desquelles nous expérimentons ce qui se passe, ce qui nous arrive. Voilà pourquoi nous parlons bien souvent de "réalités", au pluriel. Chacun les vit "depuis le point de vue où il se place" (dixit Pierre Dac). Il s'applique là des logiques de "préoccupations".
(Nous rappelons au passage ceci développé dans de précédents articles * : quatre variables de l'action consciente sont, d'une part, les représentations et la nécessité, et d'autre part l'amour et la peur.)
En fonction de ces dites représentations sociales, la vérité est ordinairement considérée comme intrinsèque, voire transcendante, ou même "essentielle" aux faits et aux choses. Nous la vivons ainsi. Mais socialement elle est le sens, la raison d'être, la finalité que nous attribuons aux choses. Au-delà d'une hypothétique vérité révélée, il y a celle dont nous habillons sociétalement les réalités.
"La réalité désigne « ce qui est ». Tandis que la vérité correspond à « ce qui est dit de ce qui est »." écrivait Gaël Chesné dans son court ouvrage chez VA Editions "Le contrôle de la vérité, ce pâle objet du désir" (2021). En effet si nos réalités sont ce que nous avons vécu et perçu des faits, même si nous pouvons en débattre jusqu'à s'accorder sur ce qu'ils sont, il n'en va pas de même pour la vérité. C'est-à-dire pour le sens que l'on donne à la réalité. Cette vérité n'a pas pour seul but de dire les choses qui sont mais de leur donner un sens, une finalité, une raison d'être. C'est-à-dire les orienter, les signifier et les faire ressentir.
La vérité est un cadre de référence pour comprendre la réalité. Si nous n'avons pas de vérité donnée, alors nous en construisons une nous-même sur la base de nos représentations sociales et personnelles. Car si la nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du vide de sens. Mais s'il nous en est donné une, par le politique (c'est léger), le philosophe (c'est mieux) ou autres mentors référencés, alors l'économie cognitive fait qu'il nous est confortable de prendre ce qu'elle est, comme elle est, aussi futile et légère soit elle. C'est ce que l'on appelle des "pensées courtes". Alors, je pense à "la construction du consentement", modélisée par Edward Bernays, expliquée et commentée par Noam Chomsky.
Ainsi, le politique a compris depuis bien longtemps cette utilité et il en use. Aussi, quand les Français sont sortis en masse dans la rue pour réclamer leur liberté de choisir, de vivre et de se déplacer, pour défendre des libertés fondamentales dont les amputait ledit Pass Sanitaire, les médias mainstream titraient : "les antivax refusent de protéger la population !"
Certes, c'est bien loin ce que disaient les manifestants et les organisateurs des manifestations, mais c'est le récit qu'en a fait l'Etat et les médias à son service. La vérité devait être changée de manière à ce qu'elle serve le projet politique des gouvernants. Ces ardents défenseurs des libertés (vaccinés ou pas) ne devenaient que des ignorants imbéciles anti vaccin.
Pourquoi ? Parce que la vérité officielle était que seul le vaccin pouvait réduire la crise. Mais d'autres avaient une autre vérité, celle que des produits soignaient et que s'ils étaient interdit ce n'était que pour permettre le commerce juteux de vaccins expérimentaux dont l'autorisation temporaire d'utilisation était justement conditionnée à l'absence de soin. Vous imaginez aisément la suite...
C'est ce qu'ont fait bien avant cela les dirigeants politiques lors d'événements particuliers. Napoléon était un adepte de la reconstruction du discours sur les événements. Il veillait à ce que les journaux relatent ses batailles comme des conquêtes et des victoires glorieuses, passant outre les tueries qu'elles provoquaient, et d'autres conséquences désastreuses de sa politique guerrière, ainsi les "invisibilisant".
C'est aussi ce qu'ont fait les républicains du XIXe pour faire nation des peuples de France quand ils ont ressorti des fontes de l'histoire Clovis et Jeanne d'Arc. Ils donnaient ainsi l'épine dorsale et morale sur laquelle pouvait s'articuler l'idée d'une "nation", son cœur utile et nécessaire pour agglomérer en nation les gens du peuple encore conditionnés à être sujets.
Autre exemple plus proche de nous. Les sondages en 1945 sur la question "Qui avait gagné la Seconde Guerre mondiale ?" clamaient d'une seule voix "Les Russes", avec leur million quatre cents mille morts dans les batailles décisives de Moscou, Leningrad et Stalingrad puis leur longue remontée jusqu'à Berlin. Mais après les propos anticommunistes, les campagnes européennes et les commerces internationaux, en 2004 le même sondage donnait les USA vainqueurs de la même guerre, avec leurs trois cent mille morts et le débarquement des alliés auquel ils avaient participé.
La vérité change de centre et de sens au hasard des discours et récits reconstructeurs, selon les intérêts des dominants. Tenir le discours de la "vérité vraie", c'est tenir l'âme des peuples et le sens de leur histoire. C'est aussi comme cela que l'on tient l'orientation des foules, et que les pouvoirs les font marcher au pas, fussent-ils de l'oie. La vérité des nazis disait qu'ils étaient la race arienne supérieure et pure. Bien des récits d'époque et plus anciens en développaient le concept et les raisons.
Mais c'est aussi comme cela que les gens se libèrent des tyrans hâbleurs, en leur rétorquant que la vérité est dans la rue et non dans les palais. C'est ce qu'ont dit tous ces gens qui font peuple parce qu'unis et rassemblés en même temps au même endroit, ou à d'autres convenus. Le 24 juillet 2021, et les samedis suivants, ce sont des centaines de milliers de personnes qui ont dit oui à leurs libertés et non aux enfermements, aux amputations des libertés, aux contrôles intempestifs, anticonstitutionnels et illégaux.
Je ne sais pas encore à l'heure où j'écris ce que le conseil constitutionnel aura conclu. S'il laisse fouler au pied de cet exécutif la qualité privée et secrète des bulletins de santé, instituer l'inégalité de droit de chacun sur la base d'états de santé nécessairement secrets, alors nous serons aux portes d'une révolution grave et dure... Bien des gens semblent avoir compris qu'une maladie qui tue moins de 0,02% des gens ne peut pas être une épidémie, encore moins une pandémie...
Nous devons nous préparer à un automne difficile et mouvementé. Autant il sera houleux, autant le réveil sera radical et définitif... Souvenons-nous que le geste accompagne la parole : c'est comme cela que l'état développa dans le peuple une certaine peur de manifester en mutilant çà et là quelques manifestants représentatifs ou non. Le geste accompagne la semonce. C'est la gifle ou la fessée qui accompagnent le discours de remontrance. C'est un tout "ignoble" mais "cohérent" et par cela, il contribue au sens de ladite vérité.
En effet, parce que la sensation de pouvoir être mutilé crée une certaine répulsion ordinaire à descendre dans la rue, les gouvernants pensaient "tuer" le mouvement des gilets jaunes, dont il a même décrété la fin, comme une vérité... C'est bien là la vérité que cherchait alors à répandre le gouvernement. C'est aussi ce qu'il recherchera encore, à moins que... ... parce que les Français ont horreur des mensonges et des compromissions !
En miroir, la violence et l'entêtement totalitaire du pouvoir témoignent de sa peur et de ses faiblesses. C'est là une autre vérité...
Mais poussons la problématique de la vérité un peu plus loin. C'est donc bien le récit des faits qui, en tant que "métadiscours", fait la vérité. Si la vérité nous dit que l'autre est plus fort que soi (que nous), alors la réalité le réalise et nous perdons (que nous soyons le gouvernement ou les gens du peuple). Si la vérité dit que nous sommes les plus forts, voire un peuple élu, alors dans la réalité, rien ne nous arrête ni ne nous retient. La question de la vérité, ce discours sur les faits, est donc déterminante.
Ceci me renvoi au thème du roman et du film "Le choix de Sophie" où, arrivant au camp de concentration, un officier nazi lui propose d'épargner un de ses enfants et lui "offre" de choisir celui qu'elle veut sauver. La vérité qui sous-tend sa démarche est des plus perverses. En effet, pour "quitter la vérité de l'autre", ce qu'aurait pu répondre Sophie à l'officier nazi aurait pu être : "Ce n'est pas moi le criminel, c'est vous. Ne renversez pas les responsabilités !"
C'est bien ce que veulent répondre au gouvernement les manifestants aujourd'hui : "Ce n'est pas nous qui détruisons les libertés, c'est vous ! Ne renversez pas les responsabilités !" Car le gouvernement, armé de ses médias (comme l'a fait Napoléon avec les journaux), a propagé la vérité en ce sens qu'elle l'exonère de responsabilités affreuses de la politique qu'il conduit...
Ailleurs, par exemple, une abusive "vérité culturelle" nous a inculqué l'idée que les bonnes personnes, par leurs bonnes actions, sont récompensées pour cela, et que les mauvaises personnes sont punies pour leurs mauvaises actions. Ors, nous nous lamentons de ce monde injuste qui accable les bonnes personnes de mauvaises choses et, inversement, accorde de bonnes choses à de mauvaises personnes, comme si une loi immanente reposait sur le principe de la récompense et du retour de justice.
Il en va ainsi pour bien des vérités invoquées ou induites. La "vérité fondamentale" est que ceci est une pensée culturelle, que nous ne sommes pour rien sur ce qui nous arrive, qu'il n'y a pas de relation entre le sujet et l'objet. C'est autre chose qui en décide, et nous y reviendrons. C'est bien la connaissance dans une démarche philosophique référencée qui nous rendra le chemin vers une "vérité fondamentale".
* Voir : La communication en paix : CEP (22 12)
Lire aussi : " Dignitarisme, de quoi s'agit-il ? "
Chacun a SA vérité, suivant ses valeurs, ses ressentis et ses besoins.
RépondreSupprimerIl y a les besoins collectifs et les besoins individuels qui souvent se télescopent. Alors LA vérité d'état devient parole d’évangile parce que les besoins collectifs priment sur l'individuel.