"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

L'ingénierie sociale (24 11)

Il y aura une chose importante que cette crise sanitaire nous aura enseigné, c'est le fonctionnement des gouvernements néolibéraux. J'ai déjà écrit dessus plusieurs articles et il me reste à préciser, au-delà des dogmes du néolibéralisme posés par Lippmann et mis en œuvre avec excellence par Reagan et Thatcher, les points méthodologiques qu'ils utilisent. je vais tenter d'être court, concis et cependant précis.

Si la démocratie se fonde sur la considération de citoyens responsables, le néolibéralisme se fonde sur leur mépris et leur déconsidération. En effet, une politique efficace se construit toujours sur l'adhésion des gens du peuple, au projet de société. Si je fais une grande différence entre la foule et les gens assemblés, ce n'était pas le cas des théoriciens involontaires du néolibéralisme comme Lippmann et Bernays. Si le projet est trop éloigné des attentes populaires et que les dirigeants ont besoin de l'imposer, alors, intervient ce que l'on appelle "l'ingénierie sociale". 

Tout le processus consiste, comme l'avait théorisé Lippmann et modélisé Bernays, à construire une adhésion, un consentement le plus large possible. Fausses informations et manipulation sont alors de sortie. La démarche est fidèle aux principes dogmatiques du néolibéralisme, qui affirme qu'il n'y a pas de société, mais seulement des individus dont le désir d'enrichissement matériel et l'émotion sont les moteurs.

Considérons, comme nous l'indiquait le politologue Francis Dupuis-Déri dans son ouvrage "La peur du peuple" (Lux Ed. 2016), qu'une certaine agoraphobie politique des élites leur inspire peur et haine du peuple. La raison en est simple. Comme ils ont des privilèges, comme l'indiquait le psychosociologue Roland Gori, nombreux présentent le syndrome de l'usurpateur. Ainsi, par peur que le peuple les dépossède de ces privilèges, ils le combattent. Pour ce faire, mépris et complotisme s'invitent à la table de la stratégie, où s'élabore une "ingénierie sociale" pour le neutraliser, voire le soumettre. Il faut que politique passe. Le peuple est donc pour nombre d'élites dans l'histoire, inconsciemment ou pas, un adversaire concurrent.

Voilà donc brièvement exposés, quelques points fondamentaux dans l'ingénierie sociale, cette industrie des relations publiques selon l'expression d'Edward Bernays lui-même, ou comment se construit méthodiquement le consentement populaire. Je me réfère au lourd petit ouvrage d'Edward Bernays, "Propaganda", et à l'étude du traitement d'évènements sociaux anciens et actuels.

Le premier dogme néolibéral est qu'un "peuple" distrait (l'entendre au sens de foule), et qui se divertit, est sous hypnose. Nous nous souvenons de la formule décrivant l'attente sociale du peuple dans la Rome décadente : du pain et des jeux. Bernays reprend cette image pour expliquer le processus de propagande. La foule, qu'il confond avec le peuple, selon lui n'a pas de comportements rationnels mais généralement émotionnels. Il s'appuie sur les publications de Gustave Le Bon pour qui la foule réagit comme un enfant joueur. 

Bernays oublie juste que, l'évènement en foule terminé, chacun rentre chez soi et retrouve ses fondamentaux, même si des éléments partagés en foule ont une rémanence et laissent des traces dans sa vision du monde et des évènements. Le quidam peut alors réagir tout autrement que quelques minutes auparavant dans la foule, et aborder une posture critique, pour construire une tout autre démarche.

Ainsi donc, selon Bernays, le premier principe est qu'un peuple qui se distrait ne s'occupe pas des problèmes fondamentaux. L'assertion se vérifie tant que le premier étage de la pyramide de Maslow, celui des besoins physiologiques, comme manger, boire et dormir, est satisfait. Ainsi, occuper le peuple à jouir d'occupations ludiques prépare un terrain favorable à l'acceptation, au consentement des changements. 

Les loisirs télévisuels, ou sur internet, jouent parfaitement cette fonction, même si elle n'est pas directement intentionnelle. Plus un peuple est occupé à jouer et plus il est comme sous hypnose. Les émissions de télé réalité ont plus occupé le français moyen que le droit au logement, la santé au travail, la répartition des richesses ou le revenu universel.

Pendant que le peuple joue, qu'il est en compétition avec ses semblables, le gouvernement déverse la recette des impôts dans l'escarcelle des plus riches.

Un autre principe, plus surprenant dans la mesure où il est inhabituel, consiste à créer un problème pour mieux le résoudre. Toute logique et bonne conscience ferait crier "à la fausse nouvelle !". Pourtant, c'est le jeu habituel de la publicité. Nombre d'annonces sont construite ainsi "Vous craignez ceci ? La démarche lambda vous en préserve !"

Combien de campagnes politiques ont mis en alerte les populations sur l'insécurité, ou tout autre problématique, posée en termes de problèmes. C'est cette personne âgée tabassée chez elle par des "inconnus identifiés" dont le reportage précéda l'élection présidentielle en 2002. Vous rappelez-vous ce qui est arrivé au deuxième tour ? Il est fort probable que ce faux pas ne fut pas intentionnel. Voilà pourtant une approche marketing qui ne fait pas que vendre des savonnettes. 

Dans son ouvrage "la stratégie du choc", l'autrice canadienne Naomi Klein décrit un processus stratégique ordinaire : comment créer un problème pour "vendre" une solution inacceptable, comme saccager l'économie de son pays et lui "vendre" le revenu universel à 800 €. La démarche repose sur la considération et l'utilisation de quatre fantasmes populaires : la peur, l'intérêt matériel immédiat, l'érotisation et l'agressivité.

Comme l'ont posé quelques grands dirigeants mondiaux lors des conclusions du premier state of the world forum de 1995, 20% des personnes suffisent à faire tourner l'économie. La question qui se posait alors à eux était comment nourrir et divertir les 80% qui restent et qui, au mieux, servent à alimenter le marché ? On comprend vite que la réponse n'est ni centrale ni urgente.

On comprend ainsi l'émergence d'un autre principe de cette politique économique qui consiste en la dégradation progressive de la démocratie populaire. On s'oriente alors vers une lente progression d'un totalitarisme néolibéral facilement rémunérateur. Cette lente dégradation va de pair avec l'installation du problème. Pour le résoudre, il faut lâcher quelques libertés pour plus de sécurité. Comme le disait Benjamin Franklin, homme scientifique et politique, père fondateur des États-Unis, à courir ce risque, on perd les deux.

Cette stratégie de confiscation nécessite de procéder par étapes. Il s'agit de ne pas tout installer d'un seul coup. Même si, dans une démarche psychosociale du changement on privilégierait le "tout à la fois" dans un processus de participation, ici, comme il s'agit d'une démarche contraire à la participation, il s'agira de faire du "différé" : d'abord la pandémie, plus tard l'économie...

Il nous faut juste nous souvenir que Bernays et Lippmann considéraient les gens du peuple comme des enfants en bas âge, irrationnels et cupides. Ils avaient d'eux une vision de foule dirigée par ses émotions, ses désirs de biens matériels, ses désirs érotiques et ses réactions violentes. La vision est simpliste mais c'est bien celle qu'ils ont transmise aux élites possédantes et dirigeantes…

En cette occurrence, il s'agit bien de s'adresser à l'émotionnel plus qu'à la raison. C'est ainsi que se fabriquent le consentement et l'adhésion à des politiques contraires aux attentes populaires. Par exemple, ils considèrent que la peur première est de mourir, et d'être puni. Alors, un virus qui menace de mort une population sera le bienvenu. Même si celui-ci n'est pas plus virulent qu'un précédent qui a déjà fait plus du double de morts, il est une aubaine stratégique. 

Il suffira de changer ce que l'on compte, de passer des malades et des morts à des "cas possiblement contaminés" pour que la peur continue et s'amplifie, celle qui entraîne repli sur soi et délation. On a déjà connu cela dans d'autres circonstances...

Mais, le pire pour les dirigeants serait le réveil du peuple. Alors il est bon de l'encourager à se maintenir dans la bêtise et l'ignorance, dans le zapping, le "hors sens" et l'absence d'esprit critique. Dans le même sens et y contribuant, la complaisance dans la médiocrité se développe sur les réseaux sociaux, jusqu'au sommet de l'Etat. Le philosophe canadien, Alain Deneault l'a décrit dans son ouvrage "La médiocratie". Il montre combien au sommet de l'Etat nombre de dirigeants et de bureaucrates sont décadents, parfois incultes, incompétents, hors sol et, ce n'est pas un paradoxe, prétentieux et méprisant.

Se complaire dans la médiocrité relève aussi d'un mode d'appartenance à un groupe non exigeant, où l'estime de soi repose sur la reconnaissance d'autres dont les pensées courtes et les répétitions simples (voire simplistes) font vérité. On a vu ce type de phénomène dans des groupes sociaux de l'électorat du Président Trump.

Pourtant, nous savons qu'une société prospère permet à chacun de réaliser tous les étages de la pyramide de Maslow. Et c'est cela qui en fait justement une société prospère. Mais l'objectif du néolibéralisme n'est pas là puisque, justement, il ne reconnaît pas l'existence de sociétés. Il ne reconnaît que des individus dont les rapports sont régis par la concurrence et la compétition. Devenir plus riche est le seul objectif reconnu utile et nécessaire.

Ainsi, le néolibéralisme génère la frustration de ne pas "en être", ou plutôt même de tomber du côté des perdants du système. Ainsi les "petits blancs", les plus pauvres dans la société, ont-ils besoin de ne pas se considérer au plus bas de l'échelle et ont besoin de voir une classe inférieure à eux. Le racisme est une solution idoine et le Président Trump, par exemple, à joué sur ce besoin de fierté des petits blancs.

L'inconvénient de cette démarche est qu'elle peut produire, par la frustration générée dans le sentiment d'échec, de la colère et donc de la violence. Tout l'intérêt alors sera de remplacer la colère par la culpabilité. Alors, un discours de propagande assis sur la faute des uns et des autres irresponsables, appuyé justement sur le mépris des gens, viendra jouer ce rôle. Ainsi, les propos sur la "faute des jeunes", qui consiste à se rassembler, à faire la fête, à rencontrer les uns et les autres, deviendrait la cause de la mort des plus vulnérables, des anciens, des malades d'autres pathologies. Le travail de sape est en train de se mettre en place.

Dans cet exemple, l'objectif peut être double : culpabiliser les acteurs afin de dédouaner les véritables responsables, comme les dirigeants, mais aussi déconstruire le lien social par l'adhésion populaire à le rompre. Il s'agit de justifier la démarche par le même motif contreproductif : perdre un peu de liberté pour plus de sécurité.

L'un des avantages de cette postmodernité dans ce processus d'ingénierie sociale est que l'opinion s'est substituée à l'analyse et à la raison. Ainsi, faire des débats d'opinion où tout est contestable et où peut s'exprimer la violence, est bien plus "rentable" qu'un réel débat  factuel et réellement scientifique. D'ailleurs, pour que l'expression d'opinions se substitue au débat scientifique, il suffit de déconstruire ce dernier. Il suffit d'affirmer que tout est opinion et je renvoie à mon précédent article "Du respect au mépris" du trois novembre dernier.

Quelles sont les conséquences sociales et les réponses à cette ingénierie sociale ? J'en vois quatre. La première est l'effondrement des personnes économiquement les plus vulnérables. Je pense tant aux salariés les plus modestes qu'aux artisans et petits commerçants dont la structure est, certes agile, mais petite et qui sont la cible d'interdictions politiques. Nous assistons tant aux effondrements économiques qu'aux effondrement psychologique, à des dépressions, à des "démoralisations", à des pertes de sens et des trois étages supérieurs de la pyramide de Maslow. Pour mémoire il est loisible de les rappeler : à savoir, la perte de reconnaissance, la "dés-appartenance", suivie de la destruction de la réalisation de soi,  associée à l'effondrement de toute perspective. L'ensemble de ces éléments amènent à une perte de repère et donc ce sens.

On assiste également à des comportements plus que douteux mais compréhensibles de collaboration et de délation. Ces comportements que nous avons connu durant la seconde guerre mondiale en France sous l'occupation dans un régime totalitaire, réapparaissent aujourd'hui avec des contraintes du même type. C'est bien avec la peur et la perte de perspective personnelle, de solution pour soi, que des stratégies individualistes émergent.

On pourra assister, et on l'a déjà aperçu, des stratégies violentes de résistance. La violence subie, qu'elle soit celle de la répression, du manque, de la frustration ou du mépris, provoque des réactions violentes. Mais comme je l'ai souligné précédemment, elle est dans l'ordre du système. Le peuple y sera bien trop souvent perdant. On se souvient de la révolution française qui s'est terminée par l'empire et la restauration, de la révolution de 48 qui s'est terminée sur des enfermements et des déportations en Algérie et en Nouvelle Calédonie, de la commune de Paris qui s'est terminée dans le sang et la disparition dans la mort des libertaires.

Alors, il nous reste simplement à nous affirmer face à la dictature néolibérale, dans l'acceptation du fait que nous n'avons peut-être plus rien à perdre. Et je renvoie à mes précédents articles. Il est peut être vrai que nous ne sommes pas passionnés par la liberté, comme l'écrivait Sylvain Tesson. Nous sommes seulement fascinés par sa sensation, et ce n'est peut être que sa sensation qui compte. Mais rationnellement, le diagnostic est fait. Nous savons que construire d'ores et déjà le monde que nous souhaitons vivre, en vidant l'organisation actuelle de ses acteurs, contribuera pleinement au succès. Je renvoie à mon précédent article sur "le concept de communs".

J'ajouterai cette référence à Michel Foucauld qui invitait à "se soucier de soi-même parmi les autres, pour le bien des autres parce que nous sommes parmi les autres" et que nous n'existons que d'eux. Il nous faut alors remplacer la peur qui nous paralyse par quelque chose qui nous dynamise, comme reconstruire, par exemple, le fait de société, c'est-à-dire le vivre ensemble, qui constitue et reconstitue le lien social.

Jean-Marc SAURET

Le mardi 24 Novembre 2020

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