La
notion de spiritualité est, dans notre société occidentale, entachée d’ésotérisme, de superficialité, d'imaginaire, voire de pratiques hors-sol. C'est là une pensée bien occidentale. Mais cela
est en train de changer quelque peu... Mais d'où nous vient cette
conviction ?
Chacune
de nos pensées, ordinaires ou complexes, repose sur une vision du
monde et
s'y ancre. Celle-ci est
socialement partagée bien que passée à l'aune de nos expériences
vécues. Chacune d'elles confirme et ajuste quelque peu la vision sociale. C'est ce que nous appelons la culture. Celle-là nous fonde
tout comme elle fonde les groupes sociaux qui par elle se
reconnaissent, pensent ensemble, partagent leur vérité, déduisent,
projettent, construisent dans ce bac à sable qui "fait monde"
et qu'est le monde, c'est à dire tissent leurs liens sociaux.
Nous
savons, comme nous l'indique l'ethnologie, que chaque culture
s'élabore sur des mythes. Ceux hérités de la Grèce antique
reviennent en lame de fond dans notre vie sociale actuelle, comme les
psychanalystes Jung et Freud, le sociologue Maffesoli et bien
d'autres l'ont évoqué. Ceux-ci ont bâti dessus, eux aussi, leur
"vérité" du monde. Des hérauts sont venu les incarner et
les confirmer. Ainsi, en va-t-il de Prométhée, Oedipe, Sisyphe, Diogène, Esope,
Narcisse, ou Hypnos. Celà reste également vrai pour Thanatos ou Eros, mais également pour le très actuel Dionysos, ou encore la toison d'or, Cerbère et le voyage aux enfers.
La liste est impressionnante et non limitative, car bien
d'autres encore occupent nos visions du monde, assorties de nos représentations, de nos
introspections, de nos explorations, de nos recherches compréhensives
et de nos "vérités fondamentales". Toutes nos certitudes prennent assurément racine dans des mythes fondateurs. Et c'est justement à cela qu'ils
servent : nous parler du réel et construire nos valeurs.
Ces
croyances mythologiques font religion. Ce "relegare" devient fond et cadre de notre "vivre-ensemble". Aujourd'hui, le
mythe fondamental moderne est que tout est matière et que donc, pour
tout comprendre, il nous faut savoir ce qui se mesure et se compte et comment ça se mesure et comment ça se compte. Le mythe fondateur de la modernité est l'histoire de la
pomme de Newton qui "l'illumine" lors d'une brève sieste. Depuis la physique
newtonienne fait religion.
Scientifiquement, les lois de la nature reposent sur
quelques constantes ou invariants comme l'indice de masse de Planck
ou la vitesse de la lumière. Si un chercheur remarque et relève, comme Rupert Sheldrake, que la vitesse de la
lumière s'est ralentie durant quelques années au cours des années trente, alors, loin de voir l’effondrement du mythe pourtant
évident, les "savants" font une moyenne et perpétuent
leurs démarches, leurs calculs, leurs croyances, leurs convictions... (R.
Sheldrake, "The
rebirth of nature",
1991)
Il
y a donc bien un phénomène de croyance dans cette dite démarche
scientifique, laquelle repose sur le mythe affirmant que tout n'est que matière
quantifiable et mesurable, que tout relève de la physique
mathématique et que tout ce qui ne se mesure pas n’existe pas. C'est là comme une évidence. Ce que l'on appellera le mythe d’Archimède.
Ce
qu'a montré R. Sheldrake dans ses ouvrages, à propos du comportement des
scientifiques durs, est que dès lors que la réalité sort des clous
de leur "représentation", ils redressent ladite réalité pour qu'elle y
retourne. Nous nous rappelons cette célèbre phrase du psychosociologue
Serge Moscovici : "Les lois de la nature sont celles que la
culture lui trouve".
Mais
alors qu'est-ce donc que cette spiritualité dont se différencie
farouchement la démarche scientifique ? La spiritualité relève de la
question du sens du monde et des choses. Elle n'est autre que la
conscience du sens, jusqu'au-delà du mystère, jusqu'à butter
dessus par les sensations (les sens) et les émotions (résonance
avec le vécu). Résolu dans des visualisations, alors un réel
surgit qui fait sens aux trois sens du terme : orientation, sensation
et raison d'être. Il n'en faut pas plus pour faire réalité...
L'anthropologue
suisse Jean-Dominique Michel rassemble sous le vocable de "pratiques
psychospirituelles" la méditation, la sophrologie, l'hypnose,
la transe, la prière, l'oraison, comme des exercices d'une
psychosomatique réversible produisant guérisons et bien-être, permettant de dépasser blocages et maladies. Je dirais que c'est là toute la
puissante dimension de la conscience hors langage.
Cet anthropologue développe dans son ouvrage sur l'étude du phénomène de
guérison ("Chamans,
Guérisseurs, Médiums", Ed. Favre, 2015) ce qu'est la puissance de la relation au monde, aux choses et aux autres, comprenant la conviction dans la pratique d'un tel soin.
Il
y développe nombre de cas où la guérison effective de maladies
complexes, infectieuses, dévorantes ou dégénératives, est
conséquente de l'engagement du sujet dans le phénomène de
guérison. Il montre comment la qualité de la relation
praticien-patient est déterminante, combien l'engagement du patient, cette foi, dans la "réalité de la pratique" est tout à fait
opérante. Il semble illustrer cette célèbre phrase plutôt partagée
parmi ceux que l'on qualifie de mystiques : "Croyez et vous
serez sauvés et guéris !"
C'est
ce phénomène que l'on identifiera comme une psychosomatique
réversible, et qui fonctionne si bien tant pour se rendre malade que pour se
guérir. C'est donc bien le patient qui est opérant. Et là, la spiritualité prend dans ces racines-là, déjà, une pleine puissance.
C'est
bien parce que la question symbolique est aussi une question sociale
qu'elle a cette efficience, parce qu'elle fait "évidence de
réalité", dirais-je. Elle fonde le "relegare". La nature de la relation aux autres, sa propre place
dans le collectif comme celle de chacune et de chacun, y sont
déterminantes. Le sens que cela porte fait réalité. La
spiritualité n'est donc jamais que la conscience de cette puissance
jusqu'à l'usage de quelques pratiques. Derrière, chaque culture
construit un mythe qui la porte.
Ceci
confirme, donne sens et forme, au fait que la réalité n'est
jamais que la conscience que nous avons de soi, du monde, de l'autre
et de soi dans ce monde et dans ses relations. Ce fait trouve ses racines dans le
frottement de la mise en commun, qui fait la culture partagée, le collectif, le "relegare".
Nous
comprenons mieux alors ce que devient l'intention dans la
construction de la réalité : une force primordiale.
Un
certain médecin, Christian Bonin, écrivait : "Soigner, c'est
aussi dévisager, parler, reconnaître par le regard et la parole, la
souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu." Ils l'ont perdu en "tombant" en maladie, mais ils restent les souverains de leur propre santé et bien être.
Comme
l'indiquait Lacan, nous n'existons que de l'autre (et je l'ai déjà
largement développé). C'est donc de cette relation à l'Autre que
se construisent image de soi, des autres et du monde. C'est dans cette
représentation cosmogonique que nous vivons et agissons. Elle porte tous nos
possibles et tous nos tabous. Mais il n'y a pas d'un côté les
gentils peuples premiers pleins de mystique et de l'autre les nobles
occidentaux bien scientifiques. L'être humain est inscrit totalement
dans ce phénomène de spiritualité, même et d'autant plus si son
système de croyances, sa mythologie et sa vision cosmogonique le
nient...
Il
y a des sociétés, et elles sont des creusets pour chacun. Elles
participent à ce processus créatif et symbolique par leurs mythes,
leurs récits, leur culture. Les pas en spiritualité, s'ils ne se font jamais vraiment seul, ont le double ancrage social et symbolique, qui sont deux champs
totalement interdépendants. La raison en est simple dans la mesure où l'humain est tout autant
un animal social qu'une entité symbolique inscrite dans le langage.
Prendre soin de l'autre
est une démarche globalisante et ouverte. Quand une personne prétend
avoir raison, et donc décider seule, elle réduit l'autre à une
simplification abusée, et abusive. Quand le "sachant" sait qu'il ne
sait pas grand-chose, alors la relation s'invite dans la solution.
Soigner, guérir, consiste donc plus à "titiller" la symbolique de
l'autre qu'à administrer des posologies. Et c'est bien ça qui
marche...
Il nous reste
alors à penser la conscience. La culture occidentale moderne
considère l'unité individuelle de la personne dont la conscience
est une production cérébrale. Pour d'autres cultures, comme
bouddhiste par exemple, la conscience est universelle et celle de
chacun n'en est qu'une émanation. Certaines même, comme les religions du livre, pensent dans leurs fondamentaux que l'esprit, ou la conscience universelle, est à l'origine de la matière.
En
effet, si la conscience est universelle, cela permet alors de penser plus simplement la télépathie, l'intuition, la médiumnité, les “Near Death Expérience” (NDE), traduites en français par Expérience de Mort Imminente (EMI) ou provisoire, les voyages hors du corps, et toutes les manifestations
et expériences extra-corporelles. Tout cela devient accessible, normal, logique.
Ainsi,
à l'instar de la pensée bouddhique, le Kybalion, livre hermétique
de l'antiquité, attribué à trois sages dont ledit Hermès
Trismégiste, invite à se projeter dans l'état opposé à celui
qui nous dérange, à le méditer, à penser l'état dans lequel on souhaite vivre
(sagesse, courage, force morale, etc.) et ainsi le réaliser. La
transmutation alchimique est tout d'abord celle de nous-même, mais
pas seulement car "la vraie transmutation alchimique, nous dit-il, est
un art mental", et cela ouvre bien des dimensions.
Et si l'on réalise que le temps (passé, présent, futur, durée) n'est
qu'une conception culturelle du réel, alors le vertige nous prend et
notre représentation cosmogonique, désormais chamboulée, accueille bien d'autres réalités...
Et si, au delà de tout
ceci, nous réalisons que l'espace est aussi une notion mentale (tout comme l'horizon qui recule quand j'avance, et vice versa), il ne
nous reste du paramétrage cartésien de la réalité que la causalité (les causes
et les conséquences)... "rien que" et "tout" ce que considère
l'hermétisme.
Dans
ces conditions-là, la spiritualité se présente comme un véritable
chemin vers la connaissance, vers le développement de la personne, la transformation de l'humanité et de son environnement. Cette conception est simple à penser même pour un
Occidental. Elle n'oblige en rien à se référer à des
entités spirituelles assez dérangeantes, voire incongrues pour
certains... On peut citer en cette occurrence et indistinctement, les anges, les guides, les esprits, les ancêtres,
les âmes errantes, les démons, etc.
Ce sont là autant d'éléments qui peuvent apparaître alors comme autant de concepts
culturels liés à un ici et à un maintenant. Nul besoin d'y
souscrire... Seuls les deux principes de "psychosomatie
réversible" et de "conscience universelle" suffisent
à penser et pratiquer simplement, directement, efficacement
quelconques activités spirituelles avec aisance et pragmatisme.
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