L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Le travail ! (29 09)

Il me souvient cette assertion : "Le talent sans le travail n'est qu'une mauvaise manie !" Je me l’étais faite mienne. Je me suis toujours efforcé à toujours travailler, dans ce que j'entreprenais avec cette autre affirmation qui me colle toujours à la peau : "Aimer les gens et le travail bien fait !"

Mais qu'est-ce que le travail ? Est-ce l'effort fourni, la souffrance endurée ou le développement du savoir faire, des connaissances, associés à une certaine tendance à la perfection ? Je me souvenais de mon grand-père, compagnon plâtrier qui avait fait son tour de France. Cette image du travail comme tendance à l'excellence m'a depuis toujours habité. Je "travaillais" l'harmonie, les différentes gammes de la musique, leur exécution sur mon saxophone et mes manches de basse ou de guitare. Je "travaillais" les enchaînements de boxe française, ma résistance physique et mon endurance. Je "travaillais" ma pratique littéraire, la pratique de langues étrangères, les modes de recherches, l'approche scientifique ou encore, intuitive. Et tout ceci avec un succès inégal. Il me fallait revenir aux fondamentaux et, par exemple, répondre d'abord à la question de fond : "C'est quoi, le travail ?".

Alors commençons par le sens du mot "travail", son étymologie. Comme chacun le sait et comme le donnent tous les ouvrages dédiés, le mot travail vient du nom latin d'un instrument de torture à trois pieux, sur lequel était empalé la victime : le "tripalium". Voilà le premier usage du mot… Il évolua ensuite afin de décrire ce que font et subissent les femmes lors de l'accouchement. Le mot avait le sens de la souffrance, du tourment, avant de porter celui de l'exécution d'une œuvre. Peu à peu, il se substitua au verbe "ouvrer" dont il nous reste, entre autres, les termes d'ouvrier, d'ouvrage et d'œuvre.

Dès lors le travail se confond avec la réalisation d'une œuvre, voire à sa simple contribution. Travailler signifie aujourd'hui "œuvrer à", quel qu'en soit l'aboutissement, ou le résultat.

Plus tard nous trouverons dans l'œuvre de Marx l'idée d'une valeur d'usage. Cette notion marxiste cible la production de produits et de services, lesquels sont nécessaires à la vie de chacun. Cette notion est extensive et concerne tout produit et service, valant pour boire et manger, dormir et se vêtir ou se couvrir. Cette valeur se doit d'être compensée. A cet effet, elle soit rétribuée à la hauteur de ce qu'elle apporte socialement. Elle se trouve donc dissociée de l’effort fourni pour la produire.

Le socialiste libertaire Proudhon reviendra sur la notion de travail, comme producteur autant d'idées que d'objets et de services. Il aura cette approche scientifique précisant que l'action est première, et que les erreurs qui s'en suivent permettent la réflexion et la correction. Cette activité (bis), permet de concrétiser une nouvelle action réalisatrice. Il pose ainsi le travail comme une démarche productrice de savoirs et de produits. Il est la démarche par excellence des améliorations de quelque nature que ce soit. Il définit ainsi le travail comme une intelligence.

Il ouvre, de cette facon, la porte vers une notion complémentaire qui animera toute la modernité : le travail est une action de réalisation sociale. Aujourd'hui, outre le statut social qu'apporte le métier dans lequel se réalise cette intelligence de travail, le travail lui-même participe à la réalisation de soi. On peut étendre le concept au développement personnel par enrichissement des connaissances. Le travail ne permet pas seulement de construire l'œuvre, mais aussi de se construire soi-même. C’est un peu comme tomber sept fois et se relever huit...

Nous l'avons déjà montré dans le développement du concept d'identation : l'activité s’avère être une action d'auto-vérification de soi dans les représentations sociales en cours. Elle s’assortit d’une vérification de la représentation de soi, dans le regard des autres. Le travail est bien identitaire, et place socialement le sujet dans le tissu collectif, tant pour soi que pour les autres. Ainsi, une compétence identifiée et reconnue “unanimement”, agit sur la qualité du lien social : "Celui-ci a le talent de... Il est utile à... Convoquons le pour... !"

Dès lors, le champ du travail et celui de “ce sur quoi nous œuvrons”, se superposent. On les retrouve aussi associés à cette mise en perspective, en l’espèce, celle par laquelle nous "faisons la promesse" d’œuvrer. Dans ces conditions, le champ de l'action est aussi un champ de pouvoir : il nous faut garder le pouvoir non seulement sur soi-même, mais également, pour tout ce que nous faisons (pouvoir sur ou pouvoir pour). L’argument vaut encore dans toutes les 5 étapes de l'ouvrage, comme nous en parle l'approche d'Herbert Marcuse.

Pouvoir sur et pouvoir pour, est une distinction étouffée dans le monde actuel du travail. La confusion est entretenue dans le néolibéralisme, dans la mesure où celui qui recueille la propriété de l'œuvre, n'est pas celui qui l'a réalisée. Le propriétaire de l'outil de travail achète à bas prix la force de travail, et seulement celle-ci, alors qu'il convoque aussi et en même temps l'intelligence à produire l'œuvre. Le propriétaire agit en obligeant à des pratiques, à des usages et à des comportements, un "œuvreur" qui, de fait, est autonome dans la réalisation. Pourtant, il lui interdit cette faculté. En fait le propriétaire s’octroie un pouvoir "sur" l'ouvrier, alors que c’est lui qui a le pouvoir "pour" réaliser la commande.

L'approche de Marcuse décrit le travail en cinq phases dont l'ouvrier devrait avoir la maîtrise permanente. Pourtant, ce n'est pas vraiment le cas. Ce sont pourtant les conditions nécessaires et indispensables pour l’atteinte de la réalisation de soi.

La première phase est celle du choix de l'objet à réaliser, associée à sa définition. Si la commande reste le domaine du donneur d'ordre, la conception appartient, pour une large part, au réalisateur qui "négociera" sur des critères d'utilité, et de faisabilité. Ces facteurs vont se trouver articulés selon des normes esthétiques, mais aussi de goût et d'imaginaire du demandeur. Dans les organisations, c'est le patron qui décide et parfois c'est là la raison d'être de l'entreprise. L'ouvrier n'est ici pas convoqué. Chez l'artisan et l'artiste, oui.

La seconde phase est celle de la conception de la réalisation. C'est là que sont convoquées et réalisées les processus et méthodes de réalisation. Dans l'entreprise, c'est le bureau de recherche et développement qui s'en charge. L'ouvrier, sauf dans de rares cas, n'y est pas invité. L'artisan et l'artiste passent du temps sur cette phase car elle détermine toute la réalisation de l'œuvre.

La troisième phase est celle de la réalisation de l'objet. Ici, et seulement ici, l'ouvrier en entreprise est convoqué. Il doit se soumettre, non pas à un cahier des charges qui solliciterait son libre arbitre et ses connaissances, mais à un ensemble de règles, d'injonctions et de procédures qui canalisent son exécution. Peut-on parler ici de réalisation sans la participation aux deux phases précédentes ? J'en doute. Pour l'artisan et l'artiste c'est là la partie physique de leur travail.

La quatrième phase, nous dit Marcuse, réside dans la contemplation du réalisé, le moment où "l'œuvreur" fait l'évaluation critique, en effectuant parfois, les corrections requises. Phase importante pour le progrès, la qualité et le développement des connaissances. Dans l'entreprise, ce sont les agents de la démarche qualité, ou le service de contrôle et vérification qui exécutent la tâche. Pour l'artiste et l'artisan, c'est le moment de "savourement" et d'analyse critique, cet instant “rare”, où il ajuste sa pratique et développe sa science.

Puis, dans la cinquième phase, il convient de "socialiser" le produit. Il s'agit de décider ce que l'on en fait, et cette phase dira ce qu'est l'auteur de l'œuvre réalisée. Si le produit est mis en vente, alors son auteur est un artisan, un entrepreneur, un réalisateur, etc. Il sera socialisé ainsi en tant que tel. Si l'œuvre est détruite, brûlée, son auteur sera cantonné au rôle d’un "hurluberlu". Si l'œuvre est exposée, visitée, son auteur sera certainement un artiste. Si l'auteur offre l'œuvre, il devient un bon ami de talent. Si l'auteur, garde l'œuvre, il sera peut-être un bon bricoleur, etc.

Dans l'entreprise c'est le service commercial et le service de livraison qui exécute cette phase. Seul l'artisan et l'artiste auront touché aux cinq phases de la réalisation. Pourtant Herbert Marcuse nous fait remarquer le caractère indispensable de ces cinq phases. Au nom d'une “efficacité globale”, d'une efficience, elles se doivent d'être dans les mains de l'œuvreur. C'est à cette seule condition que celui-ci va réaliser et se réaliser. Ce n'est qu'à ce moment qu'il va pouvoir en tirer toute la science et les connaissances de sa pratique. Est-il bien nécessaire d'ajouter que le “produit” va s'en trouver grandi, en même temps !

Nous voyons là combien le travail dans l'articulation des cinq phases participe à l'installation sociale de l'acteur et à sa réalisation personnelle, à son développement personnel.

Ainsi, dans ces conditions, le travail apporte à l'individu sa souveraineté et sa place dans un collectif qui, sans cela, le prend dès lors en dépendance. Comment alors retrouver, défendre cette souveraineté personnelle, la liberté de se choisir sa vie et toute ses orientations ? Comment rester patron de ses propres références, de son critérium, et comment se défaire de la dépendance au groupe ? Comment se détacher de la culture, des mythes, des liens sociaux, des interdépendances ? Mais, en fait, cette mise en perspective est-elle réellement possible ? L'être social reste, quoi qu'il en soit, dépendant du collectif dans lequel il évolue. Cet aspect vaut tant pour la part du culturel que pour celle des nécessités.

Nous pouvons constater que le citoyen est aussi “mal traité” que le salarié. Les liens de subordinations liés à l'environnement économique de production ont glissé de l'entreprise à l’État. D'ailleurs, pour l'Etat comme pour l'entreprise, la modalité de gestion devient aujourd'hui la même. Le discours est similaire, comme si l’intérêt de l'Etat était comparable à celui d'une entreprise. Donc le sommet de l'Etat se comporte comme une direction générale. La gestion a bien pris le pas sur l'organisation politique et citoyenne. Il se maintient par la précarité accrue jusqu'à produire un profond sentiment d'impuissance et de dépendance. Nous sommes au bord de la catastrophe sociale, peut être de la révolution...

Alors, pouvons-nous garder en mémoire que "le développement de la connaissance scientifique, comme le rappelle Idriss Aberkane, marche par essais, erreurs, corrections, reproductions." Agir d'abord et regarder ensuite, alors seulement là réfléchir et recommencer. N'est scientifique que ce qui est reproductible. C'est là, me semble-t-il toute la richesse du travail.

Jean-Marc SAURET
Le mardi 29 septembre 2020





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