Je
retrouvais quelques connaissances, collègues et amis, sur le parvis
d'un établissement où nous attendions de participer à un
événement. Et que font les gens qui se retrouvent ? Ils se donnent
quelques nouvelles, en demandent à ceux qu'ils ont plaisir à
revoir. Ensuite, on attaque les actualités. C'est là que les
convergences et les divergences apparaissent.
Plus
le sujet est global, ou sociétal, et plus l'investissement en termes
de croyances apparaît comme un pilier de la réalité. En
l’occurrence, le sujet du jour était l'épidémie du coronavirus,
et donc les discussions allaient bon train sur les consignes censées
éviter la propagation du virus.
Quelques-uns
étaient les tenants d'une pratique rigoureuse des recommandations,
quand d'autres s'en détournaient allègrement. Les uns invoquaient
les principes de contaminations virales quand d'autres s'attardaient
sur la véritable dangerosité du virus. C’est à ce moment qu’un
tiers évoqua une étude qu'il venait de lire...
Elle
disait que la létalité de ce virus n'était pas plus importante que
celle d'un virus d'une grippe ordinaire, que le développement de
l'épidémie à Wuhan venait du confinement de toute une population,
(qu'elle soit saine ou touchée). C’est dans ces conditions de
concentration forcée que tout le reste de la population avait été
contaminé.
Un
participant affirma, coupant court à la restitution, qu'il
n'existait aucune étude crédible, à l'heure qu'il était. La
discussion polie continuait, chacun affirmant ses croyances et ses
certitudes. Plus la conversation se déroulait et plus apparaissait
le fait que l'on commençait à toucher à des "fondamentaux",
et donc à du "sacré". Simultanément, et à partir de ce
moment, les injonctions et les assertions se firent toujours plus
radicales, sinon définitives...
Pour
certains, il était évident que le virus présentait une forte
dangerosité et de ce fondamental là, découlait tout le reste des
raisonnements. Pour d'autres, il ne représentait qu'une faible
dangerosité et le gouvernement prenait prétexte de ce phénomène
pour effacer les "sujets qui fâchent". Il en allait ainsi
des violences policières sur les manifestantes féministes et
pacifistes. Le même argument valait pour le passage en force de la
loi sur la refonte des retraites, mais aussi pour la perte de vitesse
du mouvement présidentiel, etc.
Nous
comprîmes assez vite alors, que la discussion se limitait, pour
chacun, à ses seuls fondamentaux, à des "croyances"
essentielles. Le reste devenait accessoire. Nous vîmes ainsi combien
certains pouvaient aller jusqu'à nier les éléments qui étaient
défavorables à leurs prémisses. Les mêmes ne manquant pas
d’affirmer, fût-ce vainement, que ce qu'ils savaient était vrai,
sans autre forme de preuve. Il s'agissait bien de défendre quelques
éléments apparaissant alors comme du domaine du "sacré ",
et donc, par voie de conséquence, ils devenaient aussi fondamentaux,
qu'essentiels...
Ce
type d'échange n'est effectivement ni original, ni particulier. Nous
en avons connus de semblables lors d'autres conversations. Il
apparaît que ce qui s'y "transacte" essentiellement, comme
le montrait Rodolphe Ghiglione, ce sont les fondamentaux, les "d'où
je parle", peuplés de certitudes et de sacrés. Il ne s'agit
pas, en l'espèce de tenter de convaincre son interlocuteur, ce
serait vain… Tout au plus, il s'agit d'affiner certains de nos
propres sacrés, d'apprécier et mieux comprendre d'où l'autre
parle, quels sont ses invariants, ses fondamentaux, ses croyances
sacrées, son ''critérium'', comme le nommait Schopenhauer.
Mais
la communication sociale a aussi un effet constructeur et bien
souvent à notre dépend et contre nos certitudes et nos croyances.
Les publicitaires ne le savent que trop... Il y a des constructions
de sens passant insidieusement par les termes et les mots qui
finissent par habiter nos consciences. Les linguistes Sapir et Whorf
indiquaient que la langue donnait forme à la culture. Le sociologue
Jerome Bruner en fit un développement très juste dans son ouvrage
"Quand la
culture donne forme à l'esprit".
Je
pense, ici, à la communication gouvernementale durant le
confinement, communication qui s'est d'ailleurs poursuivie ensuite…
C'est à cette occasion que nos dirigeants nous ont "invités"
à une "distanciation sociale". L’objectif annoncé était
clair : il fallait que nous ne nous contaminions pas, et que nous ne
soyons pas contaminés. Mais de quoi s'agissait il en fait ? Il
s'agissait simplement d'une ''distance physique d'hygiène'',
suffisante pour éviter les contaminations.
Il
ne s'agissait certainement pas de distanciations sociales, celles
dont la culture nous habille, lors de nos rapports sociaux : il y a
une distance entre les gens qui, si elle est très grande n'indique
pas la rencontre, et donc la nécessité de se saluer.
Puis
il y a cette distance plus proche où la rencontre est considérée
comme ayant lieu. Alors nous nous saluons.
Et
puis il y a celle-là, plus proche encore, où la conversation
s'invite. D'ailleurs, si vous ne parlez pas, le malaise s'installe
jusqu'à ce que les gens, gênés, préfèrent s'écarter.
Et
puis, il en existe une autre encore plus proche, que l'on nomme
l'intime. Ces distances culturelles changent avec les cultures et les
environnements. Certes, la distance intime n'est pas la même pour un
Touareg dans le Sahel et pour un Parisien dans le métro...
En
nommant et en déterminant la distance physique d'hygiène des corps
''distance sociale'', on indique deux choses :
-
que les gens n'ont pas d'identité sociale réelle, qu'ils ne sont
que des objets, des individus. Donc il n'y a qu'à les diriger comme
un troupeau, ou les rouler comme des cailloux...
-
que la logique sociale officielle est une logique mécaniste, celle
là même qui tue l'individu pour mieux le comprendre. Il n'y a donc
rien à en attendre. Dont acte...
Et
si vous ne comprenez ni l'une ni l'autre de ces assertions, vous
pouvez avoir un sentiment confus que ces notions vous échappant,
vous seriez peut-être trop idiot ou trop inculte pour décider...
C'est
peut-être justement ce que veulent ces gens qui nous dirigent...
("Laissez-nous faire ! Nous savons ce qui est bon pour vous"),
en d'autres Termes, :"On s'occupe de tout, on s'occupe de vous".
Mais ceci est un autre article.
Dans
un tout autre contexte, quelques amis s'étonnaient de la très
grande disparité de croyances et de la multitude des postures
politiques et sociales dans ma famille. Certains me dirent alors que
les repas de famille devaient être de vrais spectacles ! Je
répondais qu'il n'en était rien, que chacun savait ce qui était du
domaine de l'essentiel pour chacun des autres. A partir de là, on
les respectait, on les écoutait et débattait avec eux, en fonction
de ces éléments. De ce fait, chacun était en mesure "d'attraper"
les éléments du discours de l'autre, de les discuter à l'aune des
fondamentaux "mis en commun", sans anathème, sans
jugement, ni catégorisation de quelqu’ordre que ce soit. C'est une
autre façon, aussi, de vivre la tolérance.
Dès
que nous avions compris que les fondamentaux de chacun étaient bien
du domaine de son "sacré", qu'ils "faisaient socle",
voire participaient même à sa construction identitaire (c'est cela
aussi le sacré), aucune critique à leur égard, aucune
déconstruction ne pouvait être entreprise, envisagée, ni même
évoquée. Tout le reste pouvait être discuté et débattu en
corrélation avec ces réalités-là.
C'est,
chez nous, une pratique ordinaire largement partagée dans notre
famille nombreuse. Ainsi le croyant convaincu partage avec l’athée.
De même, l'enraciné très à droite sera en capacité d'entendre
celui qui se positionne très à gauche. Cela vaut pour le catholique
avec le protestant, le lacanien avec l'augustinien, le pragmatique
avec l'idéaliste, le saint-simonien avec le libertaire, le jacobin
avec le girondin, et tous s'aiment, s'apprécient et s'adorent. Un
peu à l'instar de la célèbre phrase de Saint-Exupéry : " Si
tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m'enrichis !"
Il
semblerait que, dès lors que l'on applique pour soi le bon sens
stoïcien, tout se passe parfaitement bien dans le respect des autres
et de soi-même. La philosophie, cet amour de la sagesse, est bien de
trouver le courage d'agir sur ce sur quoi nous avons la main, d'avoir
l'humilité d'accueillir ce sur quoi nous ne l'avons pas, et d'avoir
ladite sagesse de bien faire la différence entre les deux.
Vous
avez dit… tolérant ? Ceci me rappelle les quatre accords Toltèques :
- Que votre parole soit impeccable
- Quoi qu'il arrive, ce n'est pas vous
- N'en faites pas toute une fable
- Faites de votre mieux toujours...
Mais,
je me demande si nous ne devrions pas compléter ces accords-là par
quelques sages propositions populaires vraiment stoïciennes :
-
"Ne jamais oublier que nous faisons bien trop souvent partie du
problème." (Simon Sinek, conférencier)
-
"Toutes les personnes qui ont réussi dans la vie ont eu à un
moment donné un rêve." (Proverbe Maricopa)
-
"Ne jugez pas votre voisin jusqu'à ce que vous ayez marché
pendant deux lunes dans ses mocassins." (Proverbe Cheyenne)
-
"La force, même retenue, engendre la résistance."
(Proverbe Lakota)
Il
est sûr aussi que bien d'autres propositions populaires sauraient
être ajoutées. Chacun le fera donc...
Jean-Marc
SAURET
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.