Les
épisodes gilets jaunes des samedis, bien que réduits et moins
perceptibles, sont quelque part toujours là, un peu dans la rue
et pas mal au fond des cœurs et des corps. Bien des gens
refusent toujours la politique liberticide et appauvrissante de ce
gouvernement. Plus personne ou presque ne croit qu'il produira
quelque chose de bon pour le peuple, celui-là même qui, justement,
subit la pression, le mépris et l'abandon... quand ce n'est pas
l'asservissement. Cette calamiteuse gestion de l'épidémie du
corona-virus, comme celle du chaotique déconfinement, ont fini de
faire changer de bord le mépris. Cette dynamique se manifeste avec
d'autant plus de force que l'épisode a fait monter les peurs et les
incertitudes. Ce gouvernement est politiquement désinstallé.
Les
classes moyennes savent qu'elles sont, et seront de toutes façon
perdantes dans cette nouvelle démarche stratégique. Bien des corps
sociaux, comme ceux des enseignants, des avocats, des chercheurs, des
pompiers, des cheminots, des médecins et infirmiers, des
indépendants, des artisans et petits patrons, tentent de tirer une épingle dans
des revendications et actions serrées. La population qui ne faisait
plus société avant l'épidémie refait corps maintenant dans la
crise. Elle était faite d'assemblages hétéroclites, qui se
pensaient indépendants et où chacun vivait et se battait pour
lui-même. De la même façon, militaires et policiers pensaient
avoir tiré leur épingle du jeu tout en continuant à être
surexploités sous le couvert de loyauté, par
reconnaissance et appartenance... Eh bien non ! Ils sont victimes
comme les autres et beaucoup s'en rendent compte. Le retournement récent de nombre de policiers en témoigne.
Nous
assistons à ce double phénomène de nécrose et de langueur
populaire dont les gilets jaunes sont le symptôme. La séduction
gouvernementale ne marche plus. Les dupes ont compris où était la
fosse et qui étaient les lions. Le rebond social dans la crise
sanitaire donne une force supplémentaire à ce phénomène de
rébellion, voire de révolution. Le roi est nu. L'adversaire est
clairement identifié. La cible est à portée de vue.
La
société ne présente même plus des individus en concurrence. Cette
postmodernité-là se meurt. L'éclatement social, dans un
sauve-qui-peut collectif, tente d'échapper à
une inévitable collapsologie, crainte par beaucoup et que
chacun espère la plus éloignée possible. Certains, d'ailleurs, la
nient. Et pourtant... Chacun espère trouver le moyen de s'en
prémunir, parfois cherche un coin de sable pour y planter sa tête
car l'incrédulité devient un prétexte à l'espoir. Simultanément,
dans la crise, la fierté renaît. La colère grandit et fait le
ciment des plus pauvres, des premiers de corvée, justement.
Tout
le monde ne réagit pas dans le même sens. Certains en appellent à
l'intelligence de l'autre pour qu'il le rejoigne sur sa vision du
monde, sur sa vérité. C'est là l'ordinaire postmoderne. Mais comme
là tout n'est qu'opinion, aucun argument, aucune démonstration ne
peut emporter la partie. La conviction se situe bien au plus profond
du sacré...
Il
nous faut, à ce moment nous rappeler que nos démons sont l'orgueil
et l'avidité, et que c'est là notre mal. Ce sont ces sentiments-là,
nourris par bien bien des peurs, qui nous pourrissent la vie et nous
embarquent dans les "galères". Ce sont de vrais démons
sur lesquels viennent se nourrir des comportements comme la
méchanceté, l’égoïsme, la haine, la jalousie, la violence,
la domination, la xénophobie, etc... ! Et "en même
temps", ce sont ces dieux-là : le narcissisme arrogant et la
vénalité nombriliste, qui nous sont proposées par le
néolibéralisme dans notre postmodernité,... sous couvert,
prétendument d'atteindre le bonheur du consommateur. Erreur et
leurre !...
En
voilà une superbe supercherie dans laquelle tombent tant de
collègues, voisins et amis... voire nous-même par moments ! C'est
cependant ce que nombre d'acteurs ont compris lors de cette crise
sanitaire mal gérée, mal anticipée.
A
moins qu'elle ait été volontairement orientée vers le profit de
quelques laboratoires, ceux justement dans lesquels quelques
ultra-riches ont investi... Alors, peut-être n'était-elle pas si
mal gérée que cela. C'est du moins ce que réalisent nombre
d'acteurs de terrain, ceux qui en ont "bavé", en tant que
premiers de corvée.
Et
le temps ne fait rien à l'affaire. Il ne dissout et ne résout
rien. Le temps n'est qu'une illusion, une variable de nos
reconstructions : vitesse ou lenteur, qu'y a-t-il de bon là-dedans ?
Pour quoi faire ? Maintenant ou tout à l'heure, la fin, le résultat,
la conséquence seront là...
Il
n'y a pourtant rien d'inéluctable si nous reconstruisons déjà le
monde que nous voulons hors de ce "capitalisme libéral"
comme le qualifient les "économistes atterrés". Nous
voulons de fait un monde pour nous, par nous, ici et maintenant, un
"girondisme libertaire" comme le nomme le philosophe Michel
Onfray.
Dès
lors la concurrence est une idée idiote, stupide, inefficace,
contre-productive. Pourquoi s'affronter quand nos pratiques sont
complémentaires, quand cette complémentarité multiplie les
compétences au lieu de les additionner, quand elles rapprochent la
réalisation de l'oeuvre ?... Ceci ne demande qu'un minimum de
communication, de relations, que l'on se parle tout simplement. C'est
justement ce que viennent d'expérimenter nombre d'acteurs de
terrain. Ce vécu fait mythe et délivre des processus d’innovation
dans une population non encore homogène. D'ailleurs, le sera-t-elle
un jour ?
Bien
communiquer ou bonnes relations ? Communiquer c'est dire les choses
de manière à ce qu'elles soient reçues et appréhendées. Mais il
est nécessaire en l'espèce de tenir compte des "références
de l'autre", de son "critérium" à penser le réel
comme l'écrivait Schopenhauer. Dans ces conditions, une bonne
relation peut ne rien communiquer à force d'être lisse et
convenue... Il ne reste plus alors qu'une sensation, une impression
confuse. Ici, l'objectif est seulement de nous "mettre
ensemble", et pas de construire ni de penser. L'idiotie peut
fabriquer des vortex de stupidités, emportant une accélération
d’erreurs, de mensonges et de jugement radicaux et antisociaux.
C'est un peu cela que l'on a vu émerger dans moult réseaux sociaux,
voire dans certaines communications officielles...
Mais pour
le psychosociologue Henri Tajfel, "compétition" et
"coopération" dépendent des représentations et des
enjeux sur le seul biais cognitif. Lors de ses travaux à Oxford, il
se rendit compte de la capacité d’adhésion des personnes à un
groupe fictif (ne reposant alors sur rien d'autre qu'une indication
extérieure) était prépondérante. Cette seule
composante, déterminait ensuite, tous les comportements
liés à l'appartenance. Ces éléments constituent justement
l’apanage des compétitions et des coopérations. Je
ne jetterai donc pas la pierre sur les défenseur obtus de la
"politique" de ce gouvernement. Ils n'y ont aucun
intérêt, c'est juste un peu de leur identité qui
là, est en cause.
Il
apparut à Tajfel qu'il suffisait d'indiquer à des personnes le
groupe auquel elles appartenaient pour qu'elles s'identifient audit
groupe, qu'elles le défendent et coopèrent avec ses membres C'est
ainsi que l'on pût leur voir développer des comportements
d'opposition et de concurrence avec des groupes extérieurs. Tajfel
montre ainsi qu'il peut n'y avoir aucune raison sinon celle de
l'appartenance arbitraire pour développer ces comportements
particuliers de concurrence et de coopération, voire de convergence.
Alors,
plus de tolérance à l'encontre de ces victimes adhérentes à leur
propre torture est la bienvenue. Simultanément, cela implique
davantage de vigilance de notre part. Cette situation impose en effet
une attention toute particulière aux raisons d'appartenance (ou pas)
à des groupes. On retrouve cette même notion dans leurs raisons
d'être (ou pas), et au sens que nous leur donnons (ou non). Cela
revient à observer plus de vigilance et moins de jugement.
Car
c'est aussi là que se pose la différence entre inspirer (donner du
sens) et manipuler (jouer sur des jouissances, des intérêts, voire
de simples perspectives). L'éthique et le sens pour chacun de ce qui
nous est propre et nous tient à cœur viendra éclairer cette
réalité de toute sa force. C’est alors qu’émerge la prise de
conscience, et les groupes qui s'opposent n'ont pas plus de sens que
ceux-là-même expérimentés par Tajfel. Ce sont donc d’autres
choses qui opposent les supporters d'équipes sportives. Il s'y joue
la sensation d'exister, un sentiment d’appartenance, d'être là,
d'avoir des sensations, voire celles de déguster la violence, de
déguster la haine et le conflit... Il nous faudrait alors nous poser
la question de savoir ce que l'on aime tant... Quelles sont ces
dominantes déterminantes et leur hiérarchie ?
Mais
ce que nous a dit cette aventure sanitaire, réputée difficile,
c'est que l'adversité efface les différences identitaires, que le
vécu ensemble nous rassemble, et que nous ne sommes qu'un seul et
même peuple.
Pour
l'existence d'un groupe sur le long terme, il n'y a que le sens, le
pourquoi, la raison d’être. Il se trouve aussi que dans nos
relations d'échange, personne n'achète ce que vous faites mais
pourquoi vous le faites. Ici aussi, la vision guide nos pas... C'est
bien ce que nous avons vécu, non ?
Dans
ces conditions, pourquoi s'opposer, s'affronter, se discriminer dans
un égoïsme aussi inutile que stupide. Nous savons que nous avons
bien mieux à faire, en coopérant, en co-construisant, dans une
convergence et une entente rendues cohérentes.
Nous
pouvons à cette occasion, et de surcroît, nous reconnaître, nous
apprécier et nous enrichir de l'autre, dans une intelligence
pragmatique. Aujourd'hui, il s'agit de voir loin et d'agir près,
pour nous amener plus loin que “l'instant de ma rue”. Notre
oeuvre comme notre devenir en dépend. Le choix est dans nos mains et
dans nos têtes.
Allons-nous alors assister à un éclatement de la société ? C'est bien possible... Il y aura d'une part les héritiers continuateurs de la postmodernité, artisans et clients du néolibéralisme destructeur et prédateur. Ce sont des consommateurs en quête de toujours plus. Ils sont exigeants, délateurs, légalistes et profiteurs... C'est le monde de Mad Max, ce qu'en montre ce film. D'autre part, il y aura des alternants culturels créateurs, co-constructeurs et réseauteurs engagés, "oeuvreurs" convergents solidaires responsables. Cela risque d'être encore comme ça pour un temps, mais pour le temps d'après, il y a le monde du vivant. La nature reprend toujours ses droit, avec ou sans nous...
Jean-Marc
SAURET
Le
mardi 2 juin 2020
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