Voici
le résumé d'un long échange que nous avons eu mon ami Thierry
Groussin et moi-même, il y a quelques semaines. Il est un penseur profond, ouvert et assidu. Il posait que nous
sommes en partie le produit d'une société dont nous voyons les dysfonctionnements et les dégâts,
dont la culture fait paradigme. S'il nous appartient d'en changer le cap, "c'est comme si la poule devait
changer les œufs qu'elle pond", me dit-il.
Ma première réaction
fut qu'il nous fallait peut être ajuster notre paradigme. Je m'explique.
Si
l'humain n'existe que de l'autre, il est le fruit de ses propres
expériences, même s'il les relit à l'aune du paradigme socialement
partagé. Mais pas seulement car à chaque pas, il peut modifier le
paradigme. C'est comme ça qu'Einstein a revisité la physique en cours, la projetant dans le passé et dès
lors dite newtonienne...
S'il
y a des modèles à penser le monde et à se penser dans le monde, la
part d'auto-construction est fondamentale et permanente. Sa part personnelle d'auto-construction est la voie de l'évolution sociétale.
"Si tu veux changer le monde, sois le monde que tu veux
voir venir", disait Gandhi.
Ce
sont les gens, par leurs actions individuelles et associées, voire collectives, qui
nous ont amené jusqu'ici.
Voici
le résumé d'un long échange que nous avons eu mon ami Thierry
Groussin et moi-même, il y a quelques semaines. Il est un penseur
profond, ouvert et assidu. Il posait que nous sommes en partie le
produit d'une société dont nous voyons les dysfonctionnements et
les dégâts, dont la culture fait paradigme. S'il nous appartient
d'en changer le cap, "c'est comme si la poule devait changer les
œufs qu'elle pond", me dit-il.
Ma
première réaction fut qu'il nous fallait peut être ajuster notre
paradigme. Je m'explique.
Si l'humain n'existe que de l'autre (ou
par l’autre) il est le fruit de ses propres expériences, même
s'il les relie à l'aune du paradigme socialement partagé. Mais le
propos peut passer pour réducteur, car à chaque pas, il est
loisible de modifier le paradigme. C'est ainsi qu'Einstein revisita
la physique en cours, la projetant dans le passé. Dès lors, elle
fut dite newtonienne...Le nouveau s'invente sur les marges, comme le font la créativité et l'humour. Parfois, les marges sont minces et fragiles, mais les changements se font car la structure sociétale n'est de fait, pas déterminante. Il faut juste se souvenir que les institutions "institutionnalisent" quand les personnes expérimentent ce qu'elles "intuitent", rêvent ou imaginent. Il nous faut vivre le monde que nous voulons, sans peur, sans crainte de la défaite ni de la mort. Nous n'avons rien à perdre si nous n'avons plus rien... Le plus fort et le vainqueur, c’est bien celui qui n'a pas peur,qui n’a effectivement peur de rien, celui qui, en fait, ne se bat pas pour la victoire, mais pour ce monde meilleur qu'il “connaît”, et qu'il vise.
S'il
y a des modèles
à penser le monde, comme à se penser dans le monde, la part
d'auto-construction s’avère en l’espèce fondamentale, mais
aussi permanente. La part personnelle d'auto-construction est, dans
ces conditions, la voie de l'évolution sociétale. "Si tu veux
changer le monde, soit le monde que tu veux voir venir", disait
Gandhi.
Ce
sont les gens, par leurs actions individuelles et associées, voire
collectives, qui nous ont
amenés jusqu'ici.
Par
exemple, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont changé nos
rapports mais l'usage que nous en avons fait. En termes de causalité,
ce ne sont pas le départ des protestants, la famine de la fin du
dix-huitième, ou les grandes sécheresses et les grands gels qui ont
fait la révolution française. De la même façon, elle ne peut être
imputée à la seule faiblesse du roi. Cette révolution est bien
liée à ce que des gens ont fait de l’ensemble de ces éléments.
Il n'y a ici, rien de mécanique. Il n'y a que du vivant.
Alors
s'invitent les jeux d'intelligence, versés sur l'oeuvre (souvent des
visions à long terme), et les jeux d'ego, versés sur le pouvoir et
la fortune (souvent des visions à court terme). Les affrontements
font la victoire. Vices et vertus s'invitent et s'opposent. Nul
ne peut en savoir d'avance le résultat, quoi que l'on connaisse la
puissance des stratégies de pouvoir et de fortunes dont l'apanage
est la violence, celle qui tue et paralyse.
Celui
qui gagne est celui qui ne craint pas cette violence, soit
parce qu'il en dispose et la maîtrise comme un Spartacus, soit parce
qu'il s'en moque, et s’en détache tel un Diogène.
Les
suiveurs se situent, par définition, exclusivement dans le paradigme
sociétal. En revanche, les innovants s'inscrivent dans des fractures
que leur expérience leur a déjà montré. Dès lors, la société
se pérénnise et maintient les choses “en l'état”, quand les
individus innovent par rupture dans les fractures aperçues. Ainsi
les institutions tendent à pérenniser “l'état de société”
dès lors que l'individu rompt les habitudes et emprunte d'autres
voies. Il s’agit bien là d’une mise en perspective de finalités
nouvelles.
Les
changements se font donc bien sur les ruptures. Comme dit mon artiste
de fils, la normalité de demain est la "somme" des
déviances actuelles.
La
réaction de mon ami Thierry Groussin revint sur le fond de sa
préoccupation, en posant cette affirmation : "Je pense que nous
sommes engagés dans un processus d’effondrement mais à la manière
de l’empire romain, c'est-à-dire étalé, alternance de
transformations asymptotiques
et de phases chaotiques éventuellement brutales. Le déclencheur
peut surgir d’ailleurs et appuyer sur les fragilités du système.
Par exemple, trois faits a rapprocher : la France n’est plus en
état d’autosuffisance alimentaire, il n’y a pas une ville qui
ait plus de trois jours de stocks de nourriture, et sans notre blé
le Maghreb meurt de faim..."
Ma
réaction fut graduée : sa présentation me paraissait tout à fait
juste et je la partageais. En revanche, je ne sais toujours pas si la
civilisation va pour autant s'effondrer dans un cataclysme ou une
crise quelconque. Ce qui est sûr, néanmoins, c’est que nous
arrivons au bout du bout de quelque chose, et probablement, de ce
système. Déjà, on voit ici et là de nouvelles organisations
émerger. C'est, me semble-t-il, sur elles que tout se reconstruit
déjà, en parallèle. L'un meurt et l'autre émerge. On assiste à
un glissement inéluctable.
Pendant
que l'ancien monde refuse de se voir mourir, c’est pourtant bien
lui qui est condamné. Quoique perdu, il se débat et se démène
encore. Plus dure sera la chute… La nouvelle économie me semble
monter des amaps, ressourceries, coopératives, réseaux locaux de
production, et de distribution directe. Nombre d'associations locales
de type épiceries solidaires, cafés associatifs, etc. se créent
sans cesse...
La
réaction de Thierry Groussin fut plus approfondie encore : "J’avais
étudié, m'écrit-il, ce phénomène pour une conférence que
m’avait demandé un ami : Crises ou métamorphose ?. J’étais à
l’époque très influencé par Alain de Vulpian, qui
avait une vision un peu irénique de la transformation en cours. Je
l’étais moins que lui quand même parce que je pense qu’il y a
des appétits, des pouvoirs, des résistances et des aléas. Une de
mes
dernières images était celle d’un spéculateur devant un
territoire et un porte-serviette s’exclame: "Des champs de
fric!" L’appétit du capitalisme est sans fin par structure,
et par nature : le capitalisme est basé sur l’avantage donné au
capital sur le travail de manière à réinvestir sans cesse, donc à
l’infini."
Il
me précisait que "les résistances du système qui veut
conserver ses avantages - autrement dit in fine : son pouvoir -
n’hésitera pas à manipuler les esprits et à répandre de la
souffrance. Les aléas peuvent tout d’un coup exacerber des
tensions, potentiellement destructrices, ou des fragilités. Je
pourrais être néanmoins fondamentalement optimiste : la digestion
de l’empire romain par les siècles,
a
nourri la civilisation médiévale. Aux monuments romains ont succédé
les cathédrales.
Mais
jusqu'à présent, on pouvait changer de civilisation,
et la viabilité de la planète pour la vie humaine n’était pas en
cause. L’extinction des espèces
animales me navre, la raréfaction des variétés végétales
m’inquiète. En outre, la planète était en quelque sorte
cloisonnée, alors
qu’elle est devenue le palais des courants d’air, qu’il
s’agisse de coronavirus ou de crises financières."
Il
concluait ainsi : "Bref, l’humanité avancera peut-être mais
l’histoire - par moment seulement, espérons-le - sera pleine de
bruit et de fureur."
A
ce moment, mon propos
se précisait : "Je te suis, encore une fois, lui dis-je, mais
avec circonspection."
Car son analyse me renvoyait à cette opposition que j'évoquais plus
avant : il y a dans ce nouveau combat l'opposition des égo, pleins
de cupidité et de pouvoir, associé à des stratégies violentes et
à court terme. Corrélativement, et à l’opposé, on voit se
développer des stratégies à plus long terme, fondées sur les
intelligences et la connaissance. Ce sont bien elles qui visent une
certaine qualité d'œuvre.
Peut-être
que seule la violence fera basculer l'affrontement, mais la victoire
appartient à celui qui en dépend le moins, soit parce qu'il possède
la puissance comme un Spartacus, soit parce qu'il est sur un tout
autre registre, tel un Diogène. L’essentiel ne me semble donc pas
dépendre du contenu, mais plutôt de la posture des protagonistes.
Il
ne me semble pas que les cathédrales du moyen ages aient succédé
aux grands œuvres de l'empire romain,
mais
seulement à celui de
Constantin : une Rome déjà mutée en christianisme catholique
romain où les jeux d'acteurs s'avérèrent terribles. J'y vois donc
plus une affaire de personnes déterminées qu'une affaire de
société. Actuellement,
on s'en détache pour ouvrir les portes sur une nouvelle manière de
faire, c'est là une rupture sur laquelle le nouveau monde se
construit.
Ce
n'est pas grave ni déterminant que des ressources s'épuisent, que
des populations disparaissent. C'est tout a fait triste, désolant,
voire décourageant mais jamais déterminant.
Oui,
je peux en contre exemple évoquer la commune de Paris faite par les
anarchistes fédéralistes et humanistes, les fils de Proudhon mort
cinq années plus tôt. C'était le courant
socialiste, majoritaire à ce moment là de l'histoire. Ces gens-là
désiraient une commune libre sans Etat ni dirigeants. Ils sont tous
morts, sous les balles des versaillais.
Marx,
ce bourgeois qui n'a jamais rien connu du peuple et de la misère, a
raflé la mise. Il l’a raflée sur le vide consécutif, imposant à
tout le socialisme la vision suicidaire d'une dictature du
prolétariat, destinée à régler la lutte des classes. On sait à
quel totalitarisme elle abouti : aucune dictature, fût elle du
prolétariat, n'aboutira à la liberté. Toute la gauche du vingtième
siècle en a été polluée.
Mais
dès le début du vingt-et-unième siècle, les libertaires
pacifistes et humanistes reprennent
possession de la rue, des quartiers et des villages. Nous nous
situons bien au plan "local", là où la vie bat bien, dans
les coordination, dans les nuits debout ou sur les ronds points,
(mais pas que)... Ce sont aussi les amaps, les ressourceries, les
fablabs, les épiceries solidaires, les bars associatifs, les écoles
en associations locales, les monnaies locales, les communes libres et
autres républiques autonomes qui refont société. Ce sont les mêmes
qui fournissent les gilets jaunes nés de la même mouvance. Chaque
rond-point est devenu un centre de débats, d'organisation et de
création.
Oui,
on sait se libérer d'un carcan sociétal. On sait sortir des luttes
d'intérêt. On sait réagir avec le cœur et la raison épousés,
conjoints... Le cœur a ses raisons. On
sait ne pas avoir peur. On sait même être déterminés sans être
en colère. Cette froideur là est plus que puissante. Oui, comme tu
le vois, mon cher Thierry, j'ai beaucoup de raisons d'espérer.
Nous
en sommes restés là... pour l'instant !
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