Notre
république nous propose de nous rassembler autour des valeurs de
liberté, d'égalité et de fraternité. On sait à quel point ces
valeurs se sont perdues dans les brumes d'une histoire qui n'en
témoigne guère. Certains avaient rajouté à ce triptyque, la
solidarité. D'ailleurs, pour le socialiste Proudhon, solidarité et
liberté se superposaient. Il affichait une conception de la liberté
se développant au contact de l'autre. Elle était à l'inverse de
cette conception sociale ordinaire où la liberté est réputée s’arrêter
là où commence celle des autres. Il y a donc, comme nous le
voyons là, plusieurs types de libertés, plusieurs notions , conception ou idées
qui s’y rapportent. On peut légitimement affirmer, notamment,
qu’il existe bien un type individuel, que l’on peut opposer à un
autre, plus immanent, puisque universel.
Il
est vrai que la psychosociologie moderne pense la personne humaine
grégaire et, parce qu'elle est inscrite dans le langage, cette
science voit la personne inscrite dans une symbolisation du monde.
c’est elle qui va lui servir de réalité. Son identité, comme je
l'ai développé ailleurs, est autant dans son cœur que dans le
champ social. Dès lors, son identité dépend aussi du regard des
autres, selon l'adage qui l'illustre : "les autres me
reconnaissent comme tel". Ainsi, l'être social trouve dans son
immanence une construction solidaire de la liberté.
L'idée
est séduisante. Elle pourrait avoir des applications politiques et
sociales… du genre de celles que nous attendons toujours,... et qui
tardent à venir. Elle pourra être approfondie. Mais au-delà de
cette vision psychosociale, la liberté dont chacun parle, que
d'aucuns évoquent ou invoquent, réside d'abord dans la sensation de
liberté. Si je ne me sens pas libre, je ne le suis pas et c'est bien
cela qui occupe et préoccupe le quidam.
Alors
communément nous disons que nous sommes libres (ou plutôt que l'on
se sent libre), quand il n'y a pas de contraintes qui pèsent sur nos
épaules et "ficelle" nos mains, du moins quand nous ne les
ressentons pas. L'idée de liberté est donc projetée comme étant
l'absence de contrainte, offrant un "je fais ce que je veux".
D'accord, prenons cela. Mais allons plus loin.
La
question devient alors : "si, pour être libre, je veux me
débarrasser des contraintes, quelles sont-elles et où sont-elles ?"
Si l'on revient vers notre quidam et que nous lui posons la question,
il nous indique que c'est la société, l'autre, le patron, ses
partenaires, son environnement, qui le contraignent. Il nous rappelle
que les freins à la liberté sont la loi, les règles ou le manque
de moyens.. Bref, la contrainte est un ensemble de forces, quelles
qu'elles soient, toujours venues de l'extérieur.
Il
me revient à nouveau (décidément...) la phrase de Marc Aurèle :
"Ce ne sont pas les choses qui nous gênent mais le regard qu'on
leur porte", à quoi j'ajoutais cette notion constructiviste :
"On ne voit que ce que l'on croit !". J'en ai déjà donné
plusieurs exemples en situation. Les choses ne sont donc pas telles
qu'elles seraient dans leur hypothétique essence, mais la façon
dont je les considère.
Si
donc je ressens des contraintes, il y a bien des chances qu'elles se
nichent dans mon être même. Bien sûr, la loi est là et elle
existe bel et bien. Il en va de même avec les règles, les capacités
des uns et des autres. Si je considère le sport qui me passionne,
pour le pratiquer je m'appuie sur les règles et elles deviennent les
conditions pour que la partie, la séquence, le match, se déroule
"comme il se doit". C’est à ces conditions, et dans ces
conditions, que je vais y prendre le plaisir que j'en attends. J'en
réclame même l'application, les invoque, parfois même les proclame
à grand cri devant mon poste : "Penalty !"
Quand
je conduis, je me réjouis que tout le monde respecte le Code de la
route, comme ça je suis sûr de n'avoir aucun véhicule à
contresens, qui me coupe la route, qui brûle un feu ou un stop.
D'ailleurs si cela arrive, on s'entend crier : "Il est fou !"
Quand
on pratique son loisir préféré, les contraintes du contexte
deviennent des difficultés qui rendent le parcours passionnant,
voire excitant. Le dépassement de soi et la réussite, l’atteinte
du but, procurent une excitation de plaisir. C'est donc bien la façon
dont je vois les choses qui font que des lois, des règles, des
difficultés, deviennent des contraintes (ou pas). Alors seulement,
je n'ai que trop envie de les voir disparaître.
Puisque
la contrainte, ce mur à ma liberté, est une construction mentale,
c'est là, dans le mental, qu'il faut aller chercher sa résolution.
Je repense à l'histoire de Diogène. Quand Alexandre le Grand arrive
à Corinthe qu'il vient de conquérir, tous les habitants ont fui,
sauf Diogène toujours installé dans sa jarre. Admiratif de son
courage, Alexandre le Grand lui propose de lui offrir ce qu'il
désire. La réponse célèbre fut : "Ôte-toi de mon soleil !"
Était-ce
de l'arrogance, de l'inconscience ou de la provocation ? Non, rien de
cela. C'était seulement que la représentation de la situation
n'était pas la même pour Diogène et pour tous les autres
protagonistes. Diogène était connu pour son détachement de tout.
Il n'était attaché à rien et ne se préoccupait que de
l'essentiel. La puissance d'Alexandre lui importait bien peu. La
violence n'avait pas de sens et, par elle, on ne pouvait rien lui
prendre puisqu'il n'avait rien. Dont acte...
Ceux
qui ont à perdre ont peur de le perdre. C'est le sens de la fable du
financier et du savetier. Le premier était ravi d'entendre chanter
le second en travaillant et s'étonnait de cette joie. Il lui confia
une somme d'argent et dès lors, le savetier, préoccupé par la
richesse qui lui était confiée, ne dormait plus, ne chantait plus.
On
retrouve cette différence de représentations entre les nomades et
les sédentaires. Ces derniers ont un territoire dont ils dépendent
pour la culture et l'élevage. Tout ce qui y est leur appartient.
Leurs journées se succèdent dans le travail, dans l'entretien et la
défense du territoire.
Le
nomade n'a que son baluchon sur son dos. Tout ce dont il a besoin et
dont il profite, est dans l'environnement où il passe, cueille et
chasse. Alors gare au nomade s'il lui arrive de passer sur le
territoire du sédentaire. Il en va de sa vie. Mais il n'en a que
faire et passe alors un peu plus vite comme quand il court après un
lapin. C'est tout...
C'est
aussi la posture de nombre de sages et de leurs philosophies, comme
celle du bouddhisme. Le bonheur est dans le détachement, l'absence
de lien. Alors, comme le racontait Matthieu Ricard, il se sent libre,
émerveillé et riche des kilomètres de l'Himalaya déployés devant
ses yeux.
Mais,
soyons au clair avec le sujet : ce n'est pas la pauvreté qui fait la
liberté, mais notre rapport aux choses. Ce n'est pas l'opulence qui
crée le détachement non plus, mais toujours notre rapport aux
choses.
Ainsi,
le sentiment de liberté est dans le cœur de tous ceux qui ne sont
pas attachés, liés, au monde qu'ils parcourent. Ils y sont, de
fait, comme des usurpateurs de passage...
Alors
pour résumer le fond de mon propos : je suis libre parce que je ne
suis attaché à rien, pas même à la vie, ni à l'autre dont mon
"existence" dépend. L’essentiel, en cette occurrence,
est lié à la façon dont je les apprécie,... à leurs justes
apports et fonctions. Ce sont seulement les attaches qui posent des
contraintes et des exigences. Elles sont toujours lourdes. Cet
"usurpateur", n'étant pas du monde où il vit, en est
détaché, donc libre et friand sans addiction.
Alors,
heureux les vagabonds visiteurs ! Tout de notre liberté est dans nos
représentations, celles qui fondent nos réalités et nos activités.
Jean-Marc
SAURET
Le mardi 5 mai 2020
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