Cette
approche par le mythe et le processus tend à montrer comment nous
vivons notre rapport au monde, comment nous le "manageons".
Mais avant de traiter la question, rappelons-nous deux principes
psychosociaux fondamentaux : "la vision guide mes pas" et
"je ne vois que ce que je crois". Non seulement nous bougeons en fonction de ce que nous comprenons du monde, de soi et de l'univers, que c'est bien l'image que je
me fais de mon contexte de vie et de moi-même dedans qui détermine
ce que je vais faire et comment. Mais nous savons que cette vision
est biaisée par nos croyances et nos convictions. Je renvoie à mes
précédents articles sur le sujet.
Dans
ces conditions, si je comprends mieux comment je vis mon rapport au
monde, je pourrai en faire un meilleur usage pour une meilleure
destinée. Alors, forts de tout ce "bagage", regardons cela
de plus près.
Nous
avons déjà vu d'autres éléments complémentaires. A ce titre,
j'ai déjà plusieurs fois développé le fait que deux variables
déterminantes agissent dans notre rapport au monde , en l'espèce:
la culture et la nécessité.
Ce
sont bien ces éléments qui "font société". Il nous
reste juste à repréciser que dans le champ de la culture, nous
trouvons les représentations sociales, les valeurs, mais aussi tous
les éléments reconstruits individuellement dans le frottement de
nos expériences avec le réel.
Dans
le champ de la nécessité, nous allons trouver la collection des
envies et les besoins, lesquels sont étroitement liés et entachés
du champ culturel des représentations sociales. Par exemple, le
consumérisme néolibéral développe fortement dans la culture
l'hypothèse illusoire et doctrinale d'un bonheur par la consommation
des produits et services. "Consommez, jouissez de nos biens et
vous serez heureux !"
Tout
en gardant ces deux variables en mémoire, parce qu'elles constituent
un cadre pertinent pour l'étude, nous allons tenter de voir
maintenant quelques éléments impliqués dans ce rapport au monde.
Il va s'agir d'apprécier le comment et le pourquoi des actions que
nous conduisons au quotidien. C'est-à-dire, en d'autres termes, ce
qui fait système. Car ces actions sont toutes orientées. Elles ne
sont jamais gratuites, jamais anodines, jamais brouillonnes. Elles
répondent à un cadre social, que l'on s'y soumette ou que l'on s'y
oppose.
Et
dans ce champ social, le rôle de "l'Autre" comme le
proposait Lacan, est très prégnant. Miroir, résistance, moyen,
opposition ou motif expérientiel, cet autre (ou parfois ce Grand
Autre absolu) vient peser sur nos choix, intervient dans nos
pratiques et nos actions. Rien, en cette occurrence, ne se fait
réellement dans le secret ni totalement dans l'ombre. Tout ou partie
est résolument observable à la lumière du social.
Prenons
un exemple : A rencontre B et en tombe amoureux(se). D'accord, mais
sur quels critères ou éléments ? Sur sa beauté ? Les canons de la
beauté sont sociaux. Sur son intelligence ? Les caractéristiques de
l'intelligence sont sociales, elles aussi : intelligence pratique,
QI, intelligence de situation, intelligence de calcul, analytique ou
synthétique. Chacune suit et répond à une nécessité sociale.
Bref, les critères de l'intelligences sont culturels aussi. Alors ce
serait sur son "charme" ? Mais cette notion culturelle nous
est propre, à nous, Occidentaux. La prévalence de l'émotionnel
est, de plus, caractéristique de notre évolution postmoderne...
Ainsi
donc, pour cela, que fait A ? Il-elle invite B au cinéma ? ... au
restaurant ?... à boire un verre ?... ou à faire un tour de manège
? ... ou une promenade dans les bois ? ... ou à rencontrer ses amis,
sa famille, voir son lieu de vie ?... à une séance de recueillement
?... à une lecture partagée ? Chacune de ces possibilités répond
d'une culture ou d'une autre. Il n'y a là rien d'universel, rien de
générique.
La
variable de la nécessité, elle, répond à des impératifs sociaux,
comme l'honneur, la richesse, la célébrité, la faim, la soif, la
protection, le bien-être, le plaisir, etc... Cela indique et valide
pourquoi, pour quel motif, dans quel but, en fonction de quel
bénéfice, nous agissons. Dans cette variable, nous retrouvons
le fait qu'habituellement la majorité des personnes voit d'abord et
retient a priori ce à quoi elle croit socialement, communautairement
ou personnellement. Il s'agit là de recouvrir sa propre raison
d'être.
De
fait si le stimulus, et donc cette invitation à l'action,
apparaît déviant, irréel, iconoclaste, asocial, trompeur ou
erroné, voilà qui “commence mal”. Pour peu qu'il
sollicite la personne à engager un changement de
cap, la disqualification de l'autre peut apparaître comme
la solution. C’est, hélas, ce qui va permettre de ne rien
changer à sa posture, ou à sa propre démarche.
L'élaboration
d'une irrecevabilité du stimulus se transformera en
une disqualification de son auteur. Cela revient à la
“négation” du contradicteur. Tout élément
susceptible de le “salir” pourra être utilisé de manière
à ce que son propos devienne irrecevable. Le “procès
devient donc exclusivement univoque, et à charge : "Vous
dites cela mais vous n'en avez pas fait d'études !", ou bien
"Quelle vérité peut bien sortir d'une cerveau xénophobe,
homophobe et misogyne !", ou bien encore "Vous n'êtes pas
d'ici et avez des intérêts ailleurs !". Les exemples sont
légion : "Ne serait-ce pas vous qui avez insulté, provoqué
?". Nous voyons aussi que la part de la mauvaise foi et de la
calomnie peut être illimitée...
Ainsi,
sortir du cadre, ou même seulement le critiquer, reste compliqué.
D'autant que nous croisons dans notre société les dogmatiques et
les bien-pensants qui sont, pour les premiers, les "docteurs de
la loi" et, pour les autres, les "pharisiens"
d'aujourd'hui. Tous deux sont des "affections" de la pensée
qui nous promettent le paradis tout en développant douleurs et
afflictions, quand ce ne sont pas quelques tortures morales. La voie
de la sagesse nous est socialement vendue comme difficile et
douloureuse.
Quand
le premier jette des anathèmes, le second invective et porte
atteinte par diffamation à l'intégrité de ses opposants. Tout ceci
se passe ainsi. Actuellement, le cœur de la problématique
économique (que l'on nous vante avec autant de certitudes que de
véhémence) est un véritable vivre ensemble bâti sur un mythe
"indiscutable" et un processus obligés. C’est
justement ce propos que nous “discutons” : le progrès
linéaire, le mythe de la croissance continue et le processus
néolibéral du marché, de la compétitivité, constituent
bien, à eux seuls, une spirale infernale.
Aujourd'hui,
la mécanique économique que l'on nous vend est un dogme. Autant
l'organisation, telle qu’elle est prônée, structure et
pérennise les mythes et les modes de faire, autant seul l'individu
peut y porter la critique en l’assortissant de créativité et
d’'innovation. La seule question est : c'est à quel prix !
Corrélativement, nous voyons bien là la puissance sociale de ces
variables que constituent la culture et la nécessité.
"Ce
n'est pas vrai !" me direz-vous. Ou alors "C'est bien vrai
!". L'alternative est crédible : dont acte... Mais, si la
réalité est sociale, la vérité n'a rien à voir avec elle. La
vérité n'est en fait qu'une quête. Elle est comme l'horizon, une
référence, un repère. Mais socialement, soit la vérité est
sacralisée, soit elle est confinée, c'est à dire confisquée. Soit
la vérité est sur le fond, soit elle est sur la forme des choses.
Mais qui (ou quoi) peut en être considéré comme le gardien et le
garant ? Rien ni personne. Elle est une convention le plus souvent
sociale ou en rapport avec son "sacré". Ainsi, son sens et
sa réalité changent d'une culture à l'autre. C'est ainsi, qu'on le
veuille ou non...
Celui
qui proclame le bien et le mal, le vrai et le faux, sans que vous ne
lui demandiez rien est un pharisien. Il appartient à cette catégorie
de missionnaires ou de mercenaires dogmatiques de la bien-pensance,
des gendarmes autoproclamés de la vérité. Celui qui vous abreuve
de conseils sans que vous ne lui demandiez rien est aussi un
pharisien. Celui qui se déclare désintéressé quand il œuvre pour
le bien de tous est un autre type de pharisien soumis à sa légende.
Car la légende donne l'histoire de la réalité et le
profil de sa vérité. C'est là que réside le mythe, cette
conceptualisation de la légende. Si celle-ci raconte les fondements
des croyances, desdites réalités, le mythe les installe en vérité.
Voilà la raison des dogmatismes de tous ordres.
Il
me souviens cette réplique dans ce mythique film de John Ford,
“L’homme qui tua Liberty Valance” : “On est dans l’Ouest,
ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la
légende”...
Le
mythe est la "véritable réalité" qui organise la vie
sociale. Ainsi le mythe du héros, celui du sauveur, celui du
martyre, ou encore du "self made man", voire du "rêve
américain", etc. sont des guides à l'usage de ceux qui sont
prêt à les entendre. Tous ces projets de société, bâtis sur ces
mythes, seraient alors des fantômes, des leurres, des "irréalités",
du virtuel ? C'est bien possible... Voire même fort probable. Mais
les mythes, bien réels, sont socialement bien
"nécessaires". Ils ouvrent les champs "mythiques de
possibles", et donnent même des indications sur les "modes
de faire", des processus de succès. On les trouve, par exemple,
dans la culture néolibérale : la compétition, la croissance, la
santé du profit, la jouissance par l'objet, etc.
C'est
alors la finalité sacrée devient le fondement et la raison d'être
de nos actions et projets. Ceux-ci sont atteint par des démarches et
parcours singuliers, dans les processus du rapport au monde et de la
relation aux autres. Tout ceci fait religion au sens profond du
terme. En revanche, ce sont nos failles, les ruptures dans notre
histoire, nos fautes et faux pas qui vont nous “tirer
d’affaire”. Le paradoxe n’est qu’apparent, car ce sont
bien les accidents et hiatus dans notre parcours ou dans notre
personnalité, qui vont être la source de notre sagesse, de notre
prise de hauteur, de notre relativisme. Ces éléments de la vie,
quand ils sont digérés et assumés, nous gardent à une distance
convenable du mythe et des certitudes. Ce sont bien ces
éléments-là qui nous permettent l'accès à la sagesse pratique
et ordinaire. Ils cassent le pharisaïsme et ses fruits d'amertumes.
Quand
on est en autonomie, en résilience, en communalisme libertaire,
qu'il y ait des prêtres de la vérité ou pas, on s'en moque. Qu'il
y ait un système de gouvernance ou pas, Etat constitué
(ou non), le résultat est le même. Dès lors,à
partir du moment où l’on s’est aperçus qu’ils ne servent à
rien, alors, on s'en détache, et l’on n’en tient
plus compte.
On
ne fait pas la révolution pour prendre un pouvoir que l'on déteste
parce qu'il nous oppresse. Il y a le "pouvoir pour (faire)"
et le "pouvoir sur (les personnes)". Tout "pouvoir
sur" reste le pouvoir. Alors on l'évite, on s'en distancie, on
le contourne, on le triche pour construire ce que l'on veut à côté.
J'ai
rencontré il y a bien longtemps une communauté de voleurs. Ils
vivaient de nombreuses pratiques illégales. Ils tenaient banquet où
ils chantaient leur insoumission dans quelques comptines à la gloire
de leurs penchants rebelles. Le vieux patriarche, ou du moins celui
que j'avais identifié comme tel, me dit : "On ne combat pas les
képis. On est tranquilles. On leur en donne pour ce qu'ils veulent.
On les contourne, on attire leur regard ailleurs pendant que l'on
pratique. Il n'y a pas de fierté à les affronter. Il n'y a que des
inconvénients." J'avoue qu'il n'avait pas tord.
Quand
le perroquet de Chomsky crie : "Tout le pouvoir au peuple !",
et que Chomsky lui-même en appelle à l'autodéfense intellectuelle,
le peuple s'en moque. Il est déjà loin. Il a commencé la
construction du monde alternatif en dehors du système, sur ses
fanges, sur ses oripeaux, sur les marges de l'ancien monde et contre
sa mémoire...
Les
alternants culturels, quant à eux, quel que soit l’endroit où ils
se manifestent, ne sont partout que de passage. Le monde et les
organisations sont leur terrain de jeu et ils jouent, tout en se
jouant des objectifs et des pseudo-finalités de ces survivants de
l'ancien monde néolibéral. Ils y créent leurs propres œuvres en
réseau avec ceux qui, comme eux, bâtissent le monde alternatif. Un
"nouveau monde" bien meilleur que le précédent.
"Mais
sera-t-il durable ? Sera-t-il pérenne et suffisamment stable et
solide ?" crient les gens de droite et de gauche. Les alternants
s'en moquent. Ce n'est pas là le problème. Leur seul objectif est
de faire, de bien faire, selon son imagination et le lien social dans
lequel ils créent... C'est tout !
"Mais
quand votre monde alternatif sera-t-il là ?" Aucune importance
! La seule réponse est : "quand il sera fini !" De toute
manière, il est déjà là...
L'objectif
d'un monde "mécaniste" est exclusivement lié à la
croissance, au mieux l'autonomie. L'objectif d'un monde "organique"
est la résilience, le bien-vivre ensemble ici et maintenant. Plus
personne n'attend plus le temps des cerises. Plus personne n'espère
de ce système un monde meilleur. Il le fait...
Si
le cœur de la problématique est le "vivre ensemble",
alors ce ne sont pas les questions de structure ou les seuls aspects
techniques qui importent. Ça, c'est le secondaire. Le fondamental
est la relation humaine, l'écoute active, la co-création,
l'imagination du demain et de l'aujourd'hui, le
"bien-être-ensemble". Serait-ce quelque peu du
domaine fantasmé des "bisounours" ? Sûrement pas. Ce
n'est que réaliste car c'est bien là que se trouve la force de
création et de réalisation, bien plus que des moyens économiques.
Cette sagesse les transcende.
Oui,
il s'agit de passer d'une pensée mécaniste à une pensée
organiste. Oui, tout est vivant. Il s'agit de s'en "inonder le
regard", de s’en "mettre plein les yeux". Bien sûr,
les deux variables, à jamais récurrentes dans ce vivre ensemble,
sont toujours la culture (la question des représentations, "comment
tu le vois") et la nécessité (ce dont nous avons envie et
besoin). Le principe réside bien dans ce "penser ensemble
les pourquoi" et nous voilà revenus à cette incontournable
variable culture. Ce sont bien là nos deux jambes. Elles sont
interdépendantes, inéluctablement associées et donc
complémentaires. Alors pour bien les voir, mieux se les approprier,
mieux nous en "servir", mieux nous conduire ensemble, nous
les transformons en mythes et procédures. Mais ce n'est là qu'un
aspect pratique.
Ce
ne sont pas les règles qui régissent les groupes mais les valeurs
que portent les mythes. Justement ces valeurs qui émergent de la
culture, protègent la "nécessité". Les seules choses
dont le collectif a besoin, ce sont les intelligences partagées.
Pour ce faire, la voie, la seule voie, l’unique voie, s’illustre
par le dialogue ouvert. Son outil est la conversation et sa
fonction effective consiste à laisser les "inimportants" à
la porte du collectif.
Inutile
de se creuser la cervelle pour trouver des mythes fondateurs. Les
peuples premiers nous les apportent sur un parfait plateau culturel.
Ces mythes sont leurs propres histoire et leurs visions de l'univers
où tout et toutes les personnes d'un collectif sont
interdépendantes, où toutes personnes qui se rencontrent ouvrent un
collectif. Mais ceux-ci, puisqu'ils ne sont pas nous, qu'ils ne sont
pas notre vécu, pourraient nous paraître bien loin et si
différents, et leurs mythes trop abstraits ou surfaits, voire
peu intelligibles. Eh bien, qu’à cela ne tienne, une
référence s’impose à nos yeux abasoudis ! Nous venons nous
de vivre cette période d'occupation du Covid-19. Que s'est-il passé
?
Nous
avons assisté à des mensonges successifs de dirigeants apparemment
incapables de gérer la situation et peu soucieux de reconnaître
leurs erreurs, leurs manquements et leur allégeance aux plus riches,
aux grands laboratoires pharmaceutiques. On a pu les surprendre à ne
pas vouloir soigner les malades, posant un processus contraire à
toutes les recommandations des professionnels et organismes de la
santé. La confiance est perdue. Le mépris a changé de bord.
Que
s'est-il passé alors ? Nous nous sommes solidarisés comme jamais,
apportant des soutiens réels par des masques, des blouses
faits maison, de la nourriture pour tous ceux qui tentaient de
soigner nos concitoyens, pendant que les gouvernants agitaient des
promesses et payaient de mots les premiers de corvée.
Les
gens dans les rues se sont encouragés, ont fêté la solidarité
chaque jour, chacun apportant ce qu'il avait : de la musique, du jeu,
de l'humour, des idées, de l'aide pour tous ceux qui en avaient
besoin. Ici, personne n'a été laissé de côté. Les plus anciens
ont été accompagnés, aidés, écoutés. La toile est devenue un
grand réseau d'information, de diffusion de trucs et astuces pour
faire des masques, de la cuisine simple et bonne, du pain, des
habits, du rangement, la leçon aux enfants. Chacun s'est attaché à
passer de l'information, ouvrir des débats de connaissance et de
vérité. Et tout cela dans l'humour et la bienveillance...
Pendant
ce temps-là, la pollution a disparu, les plantes et les animaux sont
revenus en ville, montrant que la nature reprenait bien vite toute sa
place. On a eu l'impression que la planète était sauvée, et que
donc c'était possible. On a commencé à s'inquiéter d'elle et de
nous tous lors de la fin de cette période de grand calme. Nous avons
vécu là une période fondatrice faite de tout ce que l'on souhaite
: humanisme, solidarité, partage, entraide, respect, engagement, la
vraie vie ! Et ce sans la police et les gouvernants. Plus besoin de
lois, juste du bon sens. Personne ou si peu, désormais, ne souhaite
revenir à ce monde du temps d'avant où nous étions méprisés, mis
en concurrence, exploités, etc. N'est-ce pas là un mythe fondateur
fort ?
Il
va falloir s'attacher maintenant à changer les mythes du
néolibéralisme : quitter la légende du
progrès-bonheur par la propriété et le processus marchand
universel de conquête. Il
nous faut quitter le mythe de l'argent roi... Il nous faudra remettre
l'humain au centre du village, de toutes nos préoccupations.
Installer notre mythe nouveau. Mais pour se détacher de nos
anciennes bouées, il nous faut déconstruire le mythe qui nous a
amené jusqu'à se prendre le mur de l'histoire, celui qui nous a
emportés comme une vague de l'océan, celui du néolibéralisme.
Nous pouvons imaginer sa déconstruction à partir des six diktats du
néolibéralisme, ceux-là même qui l'ont fondé. Ce processus
de déconstruction doit faire place nette, et c'est peut-être ainsi
que l'on peut l'envisager :
1
- Il n’existe pas de sociétés (“There is no such
thing as society”, disait Margaret Thatcher), de collectifs ou de
cultures, il n’existe que des individus.
Eh
bien si, tout est société et l'humain est un animal social. Sans le
"vivre ensemble" il meurt. C'est bien ce que nous ont
enseigné les fatales issues de chaque édition de l'expérience
interdite.
2
- L’avidité, la soif du profit est une bonne chose.
Greed is good.
Eh
bien non, il s'agit là d'une pathologie névrotique. L'expérience
en cas de conflits, de situations dangereuses, montre que ce sont les
comportements empathiques, bienveillants, de partage, de
solidarité et d'entraide qui surgissent Et ce sont eux qui
permettent de sauver la situation et donc chacun des
protagonistes.
3
- Plus les riches s’enrichiront et mieux ce sera, car
tous en profiteront par un effet de ruissellement (trickledown
effect).
La
doxa a fait long feu... Malgré les
discours prometteurs du président français, ledit ruissellement n'a
jamais eu lieu. Il n'est que le prétexte à justifier la
confiscation des richesses. C'est seulement le partage a priori qui
permet à tous et à chacun d'avoir accès aux biens. Seule la
solidarité permet le ruissellement.
4
- Le seul mode de coordination souhaitable entre les
sujets humains est le marché libre et sans entraves, et celui-ci (y
compris le marché financier) s’autorégule tout seul pour le plus
grand bien de tous.
Eh
bien non, toujours non ! Là aussi, il s'agit d'une dérégulation
permettant aux plus riches de l'être davantage et cela toujours aux
dépends de la masse des plus pauvres. C'est l'intelligence
collective, la coopération et le solidarisme libertaire qui
facilitent les échanges. Ceux-ci peuvent alors s’effectuer même
hors de tout commerce, via le don et le contre-don, via les
potlatchs et les pots communs, etc.
5
- Il n’y a pas de limites. Toujours plus, c’est
nécessairement toujours mieux.
Nous
voyons là le basculement pathologique dans l'addiction. Toutes les
addictions créent du déséquilibre et aboutissent à la mort
personnelle ou collective. Le "toujours plus" n'a
effectivement pas de sens. Il est lié à une notion illusoire du
progrès et à l'idée farfelue de l'inéluctable croissance. La vie
dans la nature nous montre les vertus des équilibres, et les
limites des excès.
6
- Il n’y a pas d’alternative (“There is no
alternative”, comme le proclamait encore Margaret Thatcher).
Voilà
le pur alibi de mauvaise foi des néolibéraux. Bien évidemment
qu'il y a une alternative, voire même nombre d'alternatives que les
initiatives locales et souveraines ont développées. Je pense
aux AMAP, aux bars associatifs, aux épiceries solidaires, aux Fab
Labs, aux ressourceries, aux écovillages, aux monnaies locales, aux
coopératives de production, aux communautés intentionnelles,
alternatives, libertaires et autres, etc.
La
liste est encore longue. Nombre de sociétés dites "premières"
ont largement expérimenté historiquement et avec succès ces modes
organisationnels solidaristes et interdépendants, comme les Navajos,
les Lakotas, les Yakis, les Koguy, les Nenetts, les Dogons, les
Bushimen, les Aborigènes d'Australie, etc... etc...
Mais
la société occidentale, prédatrice et conquérante, ne
souhaite laisser aucune place à la contradiction, même à
tout ce qui n'est pas elle. Elle détruit, parque, assujettit,
contraint, corrompt jusqu'à l'extinction. Et
aujourd'hui, arrivée au bout de son absurdité hors-sol, égocentrée,
néolibérale, ultra-consommatrice, c'est elle qui s'effondre.
Au-delà,
la porte s'ouvre vers des alternatives joyeuses. Ne pourrait-on
penser un souverainisme local, communaliste, convivialiste,
associatif ? Un localisme, en fait, et ne pourrait-il pas prévaloir
sur toute autre autorité ? Pourrait-il être pris comme la base d'un
renouveau sociétal, libertaire, solidariste, pacifiste, humaniste et
fédéraliste ? Ne peut-on pas construire dès maintenant, à côté
de celui qui s'effondre, le monde que l'on souhaite vivre ? ...
fonder quelques villages gaulois ? Je crois savoir que nombre de
communautés de ce type existent déjà deci delà de par le monde.
C'est
bien en cela que consiste le changement de mythe et de procédure.
Tout réside sur ces simples éléments de société. Simple, non ?
Comme le disait l'activiste serbe Srdja Popovic : "Voyez grand
mais commencez petit !". Personne ne vous suivra si le projet
est trop immense, mais si vous commencez à la dimension que chacun
peut envisager, alors vous irez très loin...
Jean-Marc SAURET
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