Je
dois avouer que je n'arrive plus à regarder les débats à la
télévision,... ni même les informations sur bien des chaînes. La
mise en spectacle, la recherche de l'événement, celle du
scoop comme nous disons, viennent en polluer le contenu. Les débats
entre invités, animateurs et chroniqueurs, tournent fréquemment à
la foire d'empoigne. Mon épouse, face à ce brouhaha, m'invite à
changer de chaîne ou à éteindre cette "maudite télé".
Elle, comme moi, ne supportons pas ces "parler par dessus
l'autre". Ils nous cassent littéralement la tête, agacent nos
émotions et de surcroît, ne nous apprennent rien.
On
peut aussi ajouter cette référence à Serge Moscovici, qui précise
que : " nous n'entendons que ce que nous savons déjà, que ce à
quoi nous croyons". Quand nous parlons, nous ne faisons
qu'affirmer nos croyances, celles-là même qui "font" ce
que nous sommes. Quand nous parlons, dit-il, nous passons notre temps
à nous "vérifier" dans ce même champ social. C'est
justement ce qui permet de nous y "affirmer", et donc
d'exister.
De
tous ces enseignements, je suis arrivé à cette conclusion, qui nous
ramène à nos rapports sociaux. Il s'agit bien, en l'espèce, d'une
évolution sociétale postmoderne (toujours plus numérique,
individualiste et de consommation).
Tous
éléments que l'on pourrait d'ailleurs ramener à un affrontement
d’Ego. Personne ne laissera "l'autre" remettre en cause
ses convictions, ses représentations, ses croyances et la part de
représentations sociales qu'il a intégrées. Y renoncer serait se
fragiliser, or la "fainéance" de l'être humain l'invite à
se reposer sur ses propres certitudes. En l'occurrence il a une
certaine propension à limiter ses "représentations" à
des "pensées courtes" : une autre forme des "prêts à
penser" emmagasinés... C'est là un "socle sûr", et
donc, étymologiquement, un "sacré".
Il
s'agit donc là plus d'un rapport d'Ego, que d'une construction dans
l'échange, dans une quelconque recherche de vérité, ou de réalité.
Mais pourquoi cela ? Il semble bien que ce phénomène se soit très
nettement amplifié au cours de ces trente dernières années.
De
fait, les conversations et échanges étaient, quand j'étais jeune,
plus "respectueux" de l'autre, et plus à l'écoute des
propos tenus. Le débat s'articulait davantage sur le fond. Il nous
fallait faire preuve d'arguments et de raison, sinon, l'autre pouvait
déconstruire notre discours à l'aune des illogismes repérés.
Rapporté au présent, n'y a pas de fatalité à cela, mais juste un
grand changement de culture. Car, nous avons fait, depuis,
l'expérience de la postmodernité.
Nos
postures d'ultra consommateurs, de clients rois, les industriels en
raffolent. Ils les provoquent, en usent et abusent, comme le montre
Noam Chomsky. Elles sont devenues notre manière sociale d'être,
notre nouveau rapport au monde et à l'autre. Cela peut paraître
dramatique, mais le "meilleur des mondes" est déjà là,
dans nos échanges et dans nos relations sociales.
Aujourd'hui,
la rhétorique n'est plus maîtrisée que par quelques-uns. Il nous
faut un Clément Victorovitch, chaque soir sur une chaîne privée,
pour nous éclairer sur ses pièges, outils et réalités. Ce sont
ces éléments qui vont nous permettre de ne plus être des
"moutons". Cela me parait bien être la preuve que nous en
avons bien perdu le sens et la pratique...
Mais,
mes constats vont plus loin encore. Dans l'air du temps, dans nos
échanges, dans nos conversation, il apparaît communément que
rétorquer, répondre, est posé comme concluant la conversation.
On
considère ces éléments comme "fermant le débat"...
Alors qu'ils devraient être analysés comme un signe d'ouverture,
propice à un nouveau rebond… Hé bien non !
"Tout"
décidément n'a pas été dit, et il ne s'agit bien évidemment pas
d'une ultime assertion, faussement considérée comme définitive. Il
y a bien sur autre chose à ajouter ! Mais non, chaque assertion a
comme vocation à "fermer", conclure le débat. A partir de
là, l'autre rétorque à son tour, et le ton monte, en même temps
que la surenchère...
Cet
air du temps, conséquence de cette culture postmoderne, a envahi nos
salons, nos réseaux sociaux (sortes de bars postmodernes). On les
retrouve dans nos cantines professionnelles, nos salles de réunions,
l'espace autour de la photocopieuse et du distributeur de boissons,
et même sur nos plateaux télé.
De
fait, les gens prennent la parole sans intention de la donner. C'est
juste un jeu d'affirmation de soi, d'occupation d'un espace social,
juste pour avoir raison, même pour rien. Il arrive même, et ce
n'est ni rare, ni occasionnel, qu'ils ne sachent rien d'un sujet,
mais cela leur suffit pour en parler... Ce n'est pas l'objet qui
compte, mais le rapport entre les acteurs, car d'autres enjeux sont
ici plus puissants, (j'y reviendrai).
S'il
y a bien deux choses qui m'agacent dans nos relations, ce sont bien
la suffisance et les rapports d’Ego. Sous ce mot de suffisance, il
y a son sens premier : "cela me suffit". Et derrière le
mot d'Ego, il y a quelques ergots de coqs sur lesquels se dressent
des postures d'individus en manque de sagesse. C'est une grande part
de nos populations dans le monde occidental qui tend à plonger dans
cette évolution sociétale. Ceci est devenu une nouvelle culture
universelle (à laquelle répond et s'oppose l'alternance
culturelle*)
De
fait, la culture est un ensemble de comportements (sous formes de
rites et liturgies), de valeurs et de représentations partagées
(qu'incarnent les mythes). Ce sont ces éléments qui font l'identité
d'une population. Alors il nous importe d'être particulièrement
vigilants, et lucides... (mais je vais aller plus loin dans un
prochain article).
* Voir aussi l'article : "L’ère quantique"
Jean-Marc
SAURET
Je crois que cela a commencé avec l’émission de Michel Polak où le débat a été remplacé par la foire d’empoigne. Les bobos de l’époque adoraient cette émission sans voir qu’elle favorisait ce que tu appelles la « pensée courte ». Des phrases brèves, inachevées et des interjections ne peuvent qu’émasculer la pensée. Depuis lors, l’habitude étant prise, on cherche juste à placer la « petite phrase » et nous voilà avec nos cerveaux équipés de logiciels qui le brident. On peut comparer une conférence de presse du général de Gaulle - son choix de communication - et les tweets pathétiques des politiques d’aujourd’hui.
RépondreSupprimerThierry Groussin