"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Connaissances et Opinions

Dans mon précédent article intitulé : "Pourquoi les débatteurs s’invectivent et se coupent la parole ?", j'exprimais mon désir d'aller plus loin. Il est loisible, en l'espèce, d'aller loin, bien plus loin. Mais partons de faits, ce sera plus simple.
La journaliste, chroniqueuse, enseignante et agrégée de philosophie, Natacha Polony, faisait récemment plusieurs remarques à la commission parlementaire sur l’éducation. Invitée à témoigner autour de son livre diagnostic sur l'école de demain * , elle fit plusieurs constats à propos de l'autorité des enseignants. Si ladite autorité disparaissait à l'école, cela résultait, selon elle, du manque de croyance de ces enseignants dans leur mission. Ce premier point posait déjà la question du sens… Le sens, associé à cette incapacité pour lesdits enseignants, à apporter le "savoir"… Ce savoir, qui reste le seul élément susceptible de permettre aux élèves d'entrer en capacité de juger et donc d'être libre.
Le second point de son constat était lié au manque de sûreté de la connaissance des enseignants, y compris dans leur propre matière (et les matières connexes).
Elle faisait remarquer que, dans ces populations, tant d'élèves que de professeurs, la distinction entre savoir et opinion n'était plus claire du tout. Il me semble, et c'est essentiel, que c'est bien là un mal de société, sinon "le" mal de notre société. Il s'avère particulièrement lourd, en termes de conséquences. Les causes en sont suffisamment "éclairantes" pour que je les développe même succintement.
C'est à l'occasion de mes missions de conseil interne en management dans la territoriale, (en conseil départemental et en enseignement), que je suis parvenu à plusieurs constats.
A l'occasion d'une analyse, par exemple, et en diagnostiquant telle ou telle posture managériale, je revois mon interlocuteur, DRH ou Directeur général, me rétorquer "qu'il ne s'agissait là que de mon opinion" (sic)...
J'avais beau commenter, donner les faits et les références, (en les objectivant), expliquer, démontrer, qu'il s'agissait là d'une connaissance du sujet et du terrain. Rien n'y faisait. Ce n'était là, pour eux, jamais que mon opinion. On imagine les conséquences...
Il est vrai que je "savais". Je savais comme on "sait" en sociologie des organisations. Je savais que l'on ne connaît ou comprend… "que ce que l'on sait déjà". Cependant, je n'arrivais pas à dénouer le nœud de cette problématique, et donc à trouver une issue positive. Un véritable nœud gordien ! Je ne distinguais l'ouverture que bien plus tard, lors de mes enseignements en université. C'est à ce moment que je découvris que mes étudiants faisaient une analyse identique de mes propos. Ils prenaient eux aussi ce que je disais sur l'évolution sociétale, la dynamique des organisations, les interdépendances sociales, etc. comme mes opinions.
Si je commençais à vouloir leur expliquer la réalité des savoirs, les plus incisifs me répondaient en disant " que ce n'était que moi qui le pensais".
C'est à cette occasion qu'il m'a fallu faire un petit cours sur la démarche scientifique et la recherche, pour qu'ils réalisent que l'opinion n'était que ce que l'on pensait (et parfois cette opinion ne rimait à rien).
Le savoir, quant à lui, était issu de démarches rationnelles et structurées faites de recherche de la réalité. Celui-ci ne pouvait s'acquérir qu'avec le temps, la patience et l'étude.
Comme j'aimais alors à le dire : "Ce n'est pas parce que vous n'en savez rien que vous n'en parlez pas"... Ça, c'est du domaine de l'opinion. Mais quand il fallait faire une quiche lorraine, réparer son smartphone ou plancher sur un devoir, il fallait alors s'appuyer sur ses apprentissages et c'était là que se trouvait le savoir.
Je poussais donc le bouchon plus loin et leur expliquais que le savoir s'appuyait tant sur les théories apprises (savoir) que sur l'expérimentation et les différentes pratiques faites en corrélation. On entrait alors dans la connaissance. Il s'agissait donc de traiter les faits avec méthode et non de "croire". La même confusion existe entre "faits" et "croyances". Il en va de même entre "opinions" et "connaissances". Il s'agit bien du même phénomène.
La dégradation de nombre de relations sociales vient aujourd'hui de cette large confusion "idiote", à mon sens, entre opinions et connaissances. Dès lors, tout le monde est expert et l'enseignant n'est plus qu'un animateur. Et pour le dire, les plus lettrés prenaient parfois Socrate ou Platon à témoin. Le "je sais que je ne sais rien" est une connaissance consciente du vide que constitue tout ce que je ne sais pas. Alors devant sa vastitude, ce sentiment de ne rien savoir s'avère fort et prégnant. Mais faut-il encore le savoir...
Dans une société où tout n'est qu'opinion, toutes les dérives et ignorances, bêtises et absurdités sont possibles. "Il n'y a plus de limite à la connerie", comme l'écrivait Audiard.
Dans un groupe de réflexion, pour avoir plus de fluidité dans mes présentations, j'avais pris l'habitude d'utiliser quelques citations, histoire d’asseoir mon propos sur plus grand que moi. Comme l'aurait dit Bernard de Chartres, il s'agit de "monter sur les épaules des géants pour voir plus loin".
Plusieurs de mes collègues, peut-être pour d'autres raisons, pratiquaient eux aussi l'art de la citation. Tant et si bien qu'un rapporteur me lança un jour "Je n'aime pas tous ces gens qui ne pensent que par citations. Pourraient-ils penser par eux-même ?" Je lui répondis, en aparté, que les citations permettaient juste quelques raccourcis de démonstrations puisque d'autres l'avaient très intelligemment fait avant nous et avec talent. Il s'agissait juste de s'appuyer sur des travaux d'autres talentueux prédécesseurs dont on avait appris.
Mais l'individuation consumériste dans notre évolution sociétale postmoderne a fait exploser ces liens de savoirs que certains seulement arrivent alors à transformer en connaissances.
Aujourd'hui, tout le monde peut dire n'importe quoi sur n'importe quoi puisque tout ceci n'est qu'opinion. Dans ces conditions, le savoir n'a plus de raison d'être, il se dégrade et disparaît. Nous sommes si "prothétisés" de partout que les savoirs et connaissances ne sont que quelques trucs et astuces que l'on trouve sur internet... Dramatique déconstruction de l'intelligence et de la liberté.
Dans les débats, on ne voit qu'affrontements d'opinions mais aucune reconnaissance du savoir de l'autre, qui passe dans ce cas, totalement inaperçu. On n'y voit aucun respect ni perçu de l'endroit "d'où il parle". Ses références, son histoire, son parcours, ne sont fouillés que pour mieux le souiller, le contredire ou le compromettre. Le débat n'est qu'un combat d'ego. Où est la recherche de la vérité, du vrai, du beau, de la raison ?... Nous avons non seulement perdu le sens de nous-même, mais aussi le chemin vers une progression et donc le progrès.
Les affrontements d'ego et de vérités privées n'ont qu'un seul but : "Avoir raison de l'autre". Mensonge, trucages, calomnies, insinuations, découpages des propos, tout est bon pour discréditer l'opinion de l'autre. Effectivement, dans un monde où il n'y a que des opinions, tout est permis. C'est bien cela, la substitution de la connaissance par l'opinion. Elle peut se résumer dans cette expression souvent entendue : "Et si j'ai envie ?"
Il ne peut plus y avoir de débat mais uniquement des affrontements stériles. Il ne peut plus y avoir d'enseignement, mais seulement de la publicité inutile. Il ne peut plus y avoir de réflexion mais exclusivement une circulation d'informations douteuses. Il ne peut plus y avoir de confiance, mais de la suspicion dans des stratégies de concurrence, et de rivalité. Le sens, décidément nous échappe. Peut-être sommes nous en présence d'un nouveau sport national...
La seule chose qui rendra "l'autorité" à nos responsables de tous ordres (enseignants, patrons, managers, dirigeants, juges, etc.) est propre à la restitution de la place du savoir. Elle est indissociablement liée à la connaissance, en lieu et place des opinions qui nous mènent ineluctablent dans le mur…
Ce n'est pas exactement par hasard, si tous les pouvoirs totalitaires en usent et abusent . Au plus bas de l’échelle, parmi nos gilets jaunes, combien savent déjà qu'on ne peut pas tout savoir ?
Beaucoup d'entre eux ont fait montre du leur en aidant l'un ou l'autre de ses collègues, sur les ronds points, soit pour réussir un jardinage, réparer une tronçonneuse, ou un véhicule… ? Ceux-là savent que le savoir existe et comme ils disent, "On ne nous la fait pas à l'envers"...

* Natacha Polony, "Le pire est de plus en plus sûr, enquête sur l'école de demain,2011, Mille et une nuits, Col. Essai

Jean-Marc SAURET
Le mardi 10 mars 2020

Voir aussi sur les capacités d'influence sur le web : "Pyramide des influenceurs sociaux"


1 commentaire:

  1. La description de cette dérive me fait penser au puits d’Enfer, la faille dans une falaise près des Sables d’Olonne. Par tempête, la mer y produit une écume qui n’a rien à envier aux blancs d’oeuf battus en neige. L’eau, ce sont les mots et les opinions (et non les connaissances), la tempête: les émois des internautes, la faille: les réseaux sociaux. J’ajoute que, dans cette faille, on retrouva jadis un corps dans une malle!
    Thierry GROUSSIN

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