J'accompagnais
une personne en voiture. C'est elle qui conduisait et qui me dit,
soudain : "Regarde cet abruti qui se faufile entre les
autres voitures !". Puis elle ajouta : "Et, en plus, il
roule trop vite !". Je lui fis remarquer qu'elle conduisait au
delà de la vitesse autorisée. La réponse ne se fit pas attendre :
“Moi je peux, parce que je sais faire, je maîtrise bien le
sujet...''
Je
m'en étonnais et la questionnais sur ce à quoi pouvait bien servir
la loi. Elle me répondit qu'elle était faite pour ceux qui ne
savaient pas faire, pour les maladroits. Pour preuve, elle
m'indiquait le comportement de ce "chauffard" qu'elle
venait de fustiger.
Il
y avait donc les "sachants" et les autres à qui la loi
s'appliquait...
Je
lui demandais donc comment elle allait faire si la gendarmerie lui
demandait des explications sur la vitesse à laquelle elle
conduisait. Elle haussa les épaules...
Apparemment,
elle ne partageait pas cette conception selon laquelle la loi restait
un "outil" pour le vivre ensemble, quelque chose qui
permettait à tous de vivre et partager l'espace et le temps commun.
"Et
si tu te fais prendre ?" lui demandais-je. "Je ne me ferai
pas prendre... J'ai ce qu'il faut pour ça !" et elle me
m'indiqua un petit boitier posé contre le pare-brise. "On
dirait de la triche !" lui dis-je. "Qu'est-ce que tu crois
? C'est le jeu ! S'ils nous cherchent, il faut juste ne pas se faire
prendre..."
je
crois comprendre que la loi apparaît ainsi comme une limitation à
sa propre liberté et non comme un élément favorisant le bien-vivre
ensemble,... qui pourtant me paraît être sa finalité.
Je
me rappelais alors cette phrase que j'avais entendue, en conférence.
C‘était celle d'un président de syndicat patronal. Il disait à
propos de management : "Si vous mettez de la contrainte, vous
aurez des tricheurs. Si vous mettez de la confiance, vous aurez de
l’efficience !"
Il
m’apparaît
donc que la loi, comme tout élément du lien social, fait partie
d’un système interactif. Son sens, sa raison d'être, sa finalité,
dépendent de la manière dont les acteurs voient les choses, et se
voient dans la situation. La vie de la loi et ses applications ne
font pas exception.
Ainsi,
le regard que portent sur la situation les responsables du respect de
la loi s’avère tout aussi déterminant. S'ils considèrent le
commun des mortels comme des tricheurs et des coquins, alors ils les
invitent à l'être. C'est bien ce qu'ont constaté les sociologues
constructivistes, comme Paul Watzlawick.
En
optant a priori, pour une attitude répressive, vouée à contenir
des débordements, les forces de la loi invitent ce commun des
mortels à se comporter comme comme “on” les imagine :
c'est-à-dire des tricheurs...
La
boucle est ainsi bouclée, et le “cercle vicieux” peut se mettre
en marche.
Si
les forces de la loi considéraient le commun des mortels comme des
gens bienveillants et bien intentionnés (ce qu'ils sont dans leur
très grande majorité), alors ils privilégieraient une forme
pédagogique adaptée. Il me souvient à ce propos une très ancienne
rencontre faite avec un duo de gendarmes à moto, alors que je
roulais moi-même en deux roues. Un comportement de ma part quelque
peu compétiteur sur la route les avait incité à me poser quelques
questions.
Je
m'étais piégé tout seul, imaginant que les deux phares qui me
suivaient étaient comme moi deux motards ordinaires. Ainsi,
j’accélérais et ils me suivaient. Jusqu'au moment où je décidais
de lâcher prise. Alors, ils me doublèrent et c'est là que je vis
qui ils étaient vraiment : deux gendarmes à moto.
Je
m’arrêtais à leur injonction et enlevais mon casque en souriant
de ma bévue. L'échange fut des plus cordiaux et je n'esquivais pas
ma responsabilité. Nous échangeâmes sur le comportement routier
bien différent de celui qu'on peut avoir sur la piste, les
conséquences, la différence d'environnement protégé sur piste et
ouvert sur route, etc... De fait, je prenais une leçon en toute
bienveillance.
Il
est
vrai que je n'ai, dès lors, plus jamais tenté de faire la course
sur la route, jeux dont j'avais jusqu'alors un petit peu pris
l'habitude...
Peut-être
que si nos comportements, ce jour-là, avaient été en opposition,
voire en affrontement, peut être leur réaction aurait été plus
répressive, et le mien plus rebelle… Quant aux conséquences sur
mes comportements futurs, nous en imaginons bien les différences.
Ainsi,
nos rapports
à la loi s'inscrivent ils dans une histoire interactive. Il importe
qu'un échange ouvert sur nos représentations soit bien présent, et
que nos a-priori contextuels, en termes d’intentions réciproques
supposées, tombent.
Bien
des violences s’alimentent sur des a-priori malvenus. Telle cette
affaire où un "grand frère", dans une "cité",
était à la recherche d'une gamine disparue. Il appelle la police
pour aider à la retrouver, laquelle arrive alors qu'il venait de
rejoindre la fillette. Il se présenta et s'excusa de les avoir
dérangés. Mais les policiers, pensant avoir affaire à un "petit
loubard" ordinaire, et le suspectant a priori de trafic,
commencèrent une fouille au corps bien en règle et, sur ses
protestations, l’embarquèrent en garde à vue... Nous pouvons
aisément en imaginer les tristes conséquences.
De
la même façon, lors des différents épisodes des "gilets
jaunes", les policiers reçurent ils des ordres ayant pour
conséquence le "nassage" et la mutilation de manifestants
pacifistes a priori. Depuis le gouvernement doit faire face à une
radicalisation des comportements sociaux. Les gestes et actions font
sens...
Nous
voyons que les pensées toutes faites, les a
priori, les stéréotypes, ont des incidences bien souvent
malheureuses sur les événements et comportements postérieurs. Nous
voyons aussi que, dans ces interactions, la part de chacun dans la
considération, l'écoute et la pédagogie, est déterminante.
Nous
comprenons, afin que ce rapport à la loi devienne un rapport au
bien-vivre ensemble, que nous avons, en l’espèce, besoin
d'échanges et de relations constructives au quotidien, entre les
parties prenantes.
Nous
avons ainsi besoin de modes et de lieux démocratiques, d'échange et
de partage comme l'ont été lesdites "polices de proximité"
et autres terrains de sport où tous se croisaient, se connaissaient
et se reconnaissaient.
L'écoute
active, l'abandon d'a-priori toujours contre-productif et la
considération respectueuse réciproque s'imposent. Ils nous sont
indispensables. Le rapport à la loi est avant tout, là aussi, un
rapport à l'autre bienveillant, humaniste et ouvert.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 18 février 2020
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