Ce
qui m'agace, c'est d'entendre régulièrement qu'il nous faut changer notre environnement, le monde dans lequel nous vivons... Ce n'est là ni une lubie, ni une pensée
superficielle. Il s'agit en fait d'un constat profond. Quand ce qui
nous arrive ne nous convient pas, nous avons alors tendance à
chercher et à trouver des coupables ailleurs qu'en nous-même. C'est
le monde qui est mal fait. C'est la saison qui est mauvaise. Ce sont
les gens qui sont méchants, cupides ou mesquins... N'est-ce pas le
cas ?
Comme
disait mon grand père : "Face aux problèmes, soit tu cherches
des solutions, soit tu cherches des coupables"... D'accord, j'ai
souvent évoqué ce point là et je voudrais m'y arrêter encore un
instant.
Dans
ces conditions, qu'est-ce qui nous fait rejeter cette réalité qui
ne nous convient pas ? En l'espèce, c'est juste le regard que nous
portons sur elle et rien d'autre... Et pourtant, si je n'obtiens pas
la bonne place au cinéma, c'est le cinéma qui est "mal foutu"
ou les gens qui font n'importe quoi. Si je n'ai pas réussi ma
sélection professionnelle, c'est le questionnaire qui était mal
adapté ou même les membres du jury qui étaient mal intentionnés.
Si mon corps n'est pas du sexe que je souhaite ou dont je me sens,
alors c'est la nature qui s'est trompée et il va falloir corriger
tout ça ! N'en est il pas ainsi ?
Redisons,
encore une fois, avec Marc Aurèle, que ce ne sont pas les choses qui
nous plaisent ou nous gênent, mais le regard que nous leur portons.
Répétons-nous encore une fois que ce ne sont pas les choses que
nous voyons, mais le sens que nous leur trouvons. Tout ceci est détaillé dans la théorie des représentations sociales, dans "le monde comme volonté et comme représentation" de Schopenhauer, dans "l'invention de la réalité" de Paul Watzlawick et consorts, etc. Mais ça a encore du mal à rentrer dans nos consciences...
Ainsi,
nous oublions là que nous sommes du monde, comme une particule de
celui-ci, Sans lui, nous n'existons pas, tout comme sans les autres
nous ne sommes pas. Il nous faut bien bien être conscients que sans
leur considération nous ne serions même pas vivants... Que j'existe
ou que je disparaisse, le monde continue. En revanche, si
le monde change, c'est peut-être bien moi qui vais disparaître... Pire encore, à l'instar de cette constatation de Schopenhauer (plusieurs fois citée et commentée), si elle est réversible, quand l'autre s'en va, je disparais...
Oui,
j'ai l'impression de reprendre toujours la même problématique par
des bouts différents. C'est peut être le cas. Mais tant pis,
continuons à traiter ce bout là.
Pourquoi
à chacune de mes insatisfactions, voudrais-je que le monde s'adapte
à mes attentes, ou à mes désirs ? La réponse, somme toute, est
assez simple… c'est parce que je suis un consommateur du monde
commercial qui m'entoure, celui dans lequel je baigne. Oui, je suis
très bien socialisé. Je suis ce "client" bien gentil qui
dépense ses sous en comptant en être heureux. C'est très bien pour
le marché... Et comme il m'a été très souvent répété que le
client est roi, je me comporte comme tel et j'exige que le monde
s'adapte à mes désirs... Génial !
Il
en va de même dans mes représentations, largement sollicitées par
les médias mercantiles et la publicité : si mon désir n'est pas
comblé, j'ai raté quelque chose, peut être même ma vie. Alors,
comme un enfant de cinq ans, il faut que rien ne me résiste car mon
désir est tout puissant.
L'enfant
de cinq ans se pense comme étant le centre du monde, nous expliquait
Freud. Et le monde de l'ultra-consommation compte bien sur le
développement de ce sentiment pour que les caisses de quelques
bénéficiaires se remplissent. Il n'y a, dans ce monde, personne !
Il n'y a que des individus dont la latitude des comportements se
réduit à l'aune de la consommation.
A
l'évidence, des démarches de transformation de l'environnement sont
en cours, cela vaut pour son esthétique, et celle de l'ensemble du
monde,. A quoi bon tenter d'assumer ou "dépasser" un
détail, une incongruité, puisque tout ce qui ne me va pas n'est pas
moi... Grossière erreur, je crois, en cette occurrence...
Ce
n'est pas parce que nous, occidentaux, descendons culturellement des
religions du livre (judaïsme, christianisme et islam) qu'il nous
faut nous sentir les destinataires dédiés des fruits de l'univers.
Je crois que nous n'avons pas bien compris ces textes là. Nous y
reviendrons... Mais c'est à cause de ces représentations erronées, et parce que nous y sommes accompagnés, que nous nous comportons en enfants de cinq ans.
Et
si nous n'étions, de fait, que de simples éléments du grand nœud
de nature ? Alors tout ce qui est élément du monde, de notre
univers, de l'univers, ferait partie intégrante de nous même comme
nous faisons partie du "grand tout". Vouloir l’effacer
serait "ne pas comprendre qui nous sommes". Pire encore, ce
serait une mutilation.
Cela
me fait penser à la pomme de terre qui déteste la terre, à la
fleur qui déteste les abeilles, au yuka qui déteste le papillon, au
poisson qui a horreur de l'eau, à l’oiseau qui rechigne au contact
de l'air, etc.
Oui,
toutes les hérésies, les véritables hérésies, pas les
religieuses, sont des fractures dans la représentation de soi, des
choses et du monde. Je me sens femme et je refuse mon corps d'homme,
alors l'opération s'impose... Ah bon ? Et si tout ce qui me "fait"
constituait le projet de ma vie ? Si je me coupe, si je touche aux
éléments du projet, alors je passe à côté d'une transcendance,
d'un quelque chose de plus grand à vivre, d'un dépassement, d'une
aventure singulière. Désolé, je ne suis plus un enfant de cinq
ans...
Ce
n'est pas mon corps, ni mon environnement, ni les autres, ni même le
monde qui doit changer, mais mon regard, ma vision, ma conception de
moi, des choses et du monde. Dès lors, il m'est offert un plus à
vivre ! Je pense au petit prince de Saint-Exupéry devant la rose, le
renard, l'aviateur, le Roi, le vaniteux, l'ivrogne, le businessman,
etc... Ce ne sont jamais les univers qui sont à changer mais le cœur
à l'ouvrage et la manière de concevoir le réel.
Oui,
il y a parfois, dans nos postures et nos comportements, des fractures
nécessaires, que l'on se doit de considérer comme obligatoires (ou
comme un réel qui s'impose). Je pense à la nécessité de donner du
sens au vide, car si le mot circonscrit et délimite un morceau de réel, au delà
du mot se trouve quelque chose à saisir. Mais avant de traiter de la
conscience de "ça", il nous faudra d'abord regarder le
réel comme il se présente et non comme on lui impose qu'il soit.
"Les
lois de la nature sont celles que nous lui trouvons" disait
Serge Moscovici. "la réalité est un objet pour un sujet qui le
regarde. Si le sujet s'en va, l'objet disparaît" écrivait
Arthur Schopenhauer (phrase à laquelle je fais allusion plus avant). "L’entendement, écrivait Emmanuel Kant,
ne puise pas ses lois dans la nature mais les lui prescrit".
"Les faits, écrivait Bruno Jarosson, dépendent aussi de
l’observation et de ses croyances, et toute perception est liée à
une intention". Le philosophe Thomas Khun nous indiquait que
"Les paradigmes déterminent la façon d’élaborer les faits". C'est comme cela que nous élaborons nos rapports au réel : depuis nos représentations et certitudes.
Il est loisible d'ajouter encore, que "Le succès d’une
action ne dépend pas des outils, ni des moyens, ni de la stratégie
mise en œuvre, mais uniquement de l’identité que le sujet
projette dans l’action". C'est ce que disait mon grand père
gendarme, ancien compagnon du tour de France... Et pour terminer
cette courte réflexion, voici ce que disait l'humoriste Pierre Dac dans un de ses sketchs, "L'idée que l'on se fait de la situation dépend du point de
vue où l'on se place"... et tout le monde riait. Et pourtant, c'est tellement ça notre réalité... Mais qu'en ferons nous ?
Jean-Marc SAURET
Le mardi 19 novembre 2019
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