Il
y a un paradoxe dans cette phrase-titre. De toute évidence, on
comprend bien que ledit pardon n'a pas eu lieu. Ce processus n'est
pas unique, ni original. On le retrouve dans bien des discours et
stratégies. Les paradoxes nous entourent,
et nous habitent. Alors, n'en soyons ni victimes,
ni dupes.
Un
bon ami m'indiquait que le monde est comme un grand navire, et que
tout le monde ne peut
pas
être à sa barre. Pour cela, une seule tête est nécessaire et
suffisante, sinon le bateau dérive,...
et fait n'importe quoi. Je lui indiquais que le monde me paraissait
plutôt être un port où l’on
pouvait retrouver une
flottille de nombreux bateaux,
de toutes
tailles,
de
toutes
sortes
et de
multiples dimensions.
Il y a même pas mal de "pointus", ces petits bateaux de
pèche individuels.
Ce
qui m'est apparu,
c’est
que si un seul dirige, alors les profiteurs, les producteurs et les
lobbyistes vont se joindre à lui, voire le phagocyter pour profiter
au maximum du “pouvoir”
dont
il a la charge...
mais bien sûr au seul bénéfice de leurs
seuls intérêts privés. "Nous savons et vous obéissez"
serait leur objectif politique. La
question des “sachants” constitue un article à lui seul…
Alors,
effectivement, le libéralisme totalitaire préfère, comme monde, le
grand et unique
navire,
à la grande flottille diversifiée...
C'est
ce qui se passe dans le monde libéral actuel. Il s'agit d'un système
totalitaire où le pouvoir dicte aux gens ce qu'ils doivent faire et
penser pour être heureux. Voilà un vrai paradoxe : canaliser les
gens dans une voie unique du bonheur. N'est-ce pas ici
l’archétype de la
secte ou de
la prison ?
Mais
la société n'est pas un navire. Elle est bien plutôt un port plein
de petits et moyens bateaux, chacun étant singulièrement autonome.
C'est là,
un des principes fondamentaux de l'anarchie libertaire, telle que
Proudhon l'avait observée.
C’est bien ce phénomène qu’il a
analysé et théorisé au milieu du dix-neuvième siècle.
Dès
lors, personne n'a besoin de dirigeant, quel qu'il soit...
et
même s’il
s’avère
bienveillant. Les gens n'ont pas besoin de plus de liberté pour
faire tout ce qu'ils veulent au détriment des autres (ça, c'est le
mensonge des libéraux totalitaires).
Ce dont ils ont besoin, c’est de disposer de
plus de lien social et de chaleur humaine. Car, comme nous l'avons vu
dans nombre d'articles précédents, nous semblons n'exister que de
l'autre, que
“par” l’autre,
comme l’écrivait Lacan, et
donc, quasi exclusivement,
dans le regard de l'autre, comme le commentait Péguy : "Nous ne
sommes que de l'autre".
C’est
ce que
nous disent d’ailleurs
les
sociologues humanistes et cliniciens. C’est
dans ces conditions, et à ces conditions,
que
tout
un chacun cherche à se construire dans l'interaction. Un ami
psychanalyste me faisait remarquer que "nous vivons dans une
incertitude de soi,
cet
indéterminé que l'on vient "vérifier" dans chacun des
actes que l'on pose". Ainsi, selon d'autres intérêts, chacun
dénie, chez celui dont il a besoin, ce qu'il y a de fou,
d'irrecevable, d'inconvenant. C'est pour cela que nous voyons aussi
quelques femmes battues revenir vivre avec leur bourreau. Parce
qu'elles ont besoin de lui...
Il
ajoutait : "Il n’y a pas de réponse à ce que l’on est (ce
pourquoi le proverbe Zen a bien raison) : mais nous cherchons
toujours à avoir une réponse. C’est pourquoi, ce me semble, quand
on nous critique ou insulte, cela vise cet être indicible. Mais le
pire c’est qu’il y a toujours en nous quelque chose que nous
ignorons et qui ne demande qu’à s’y reconnaître : au
tribunal cela va jusqu'à s’accuser de crime que l’on n’a pas
commis…"
Voilà
où vient se blottir la raison profonde de nos "grégarités".
Elles n'ont aucunement besoin de dirigeants, seulement de gens qui
nous reconnaissent, et qui nous
disent quelque chose de “qui
nous sommes”.
Et si cela ne convient pas, alors il y a débat, voire
affrontement...
Il
y a blotti au fond de chacun quelque chose de la peur de ne pas être,
de ne pas exister. Plutôt obéir ou être violenté plutôt que de
ne pas exister !...
Seulement, voilà, la peur est le pire des sentiments puisque, comme
nous le savons, elle paralyse. Même le proverbe le dit...
Et les dirigeants parient là dessus, et “travaillent” sur
ces peurs là.
Lors
d'une discussion passionnée, un interlocuteur donna cet
exemple : "Quand
un policier éborgne un gilet jaune, qui est responsable
? Eh bien, c'est
le ministre qui a mis en place le système de maintien de l'ordre.
Celui qui justement, joue
sur les peurs des gens, qu'ils soient policiers ou gilets jaunes."
Je trouvais la proposition très juste et particulièrement bien vue.
Par
ailleurs, il faut bien dire qu’il
est habituel de
voir chez soi, tout
ce que nous faisons de bien et chez les autres, tout ce qu'ils font
de mal. Comme dit la formule : "C'est toujours de la faute de
l'autre !",
et donc cette sempiternelle histoire de la “paille et de la
poutre”... Dès
lors l'interaction avec cet autre est faussée, biaisée, corrompue.
Nous
voilà donc devant un nouveau paradoxe : nous n'existons que de
l'autre et nous lui affectons toutes
les responsabilités,
à propos de
nos maux,...
nous “déchargeant” ainsi de ce poids, sans doute trop lourd à
porter.
Il est bien surprenant,
à cet effet, de
ne pas aimer ceux par qui nous existons !... Et pourtant, si l'autre
est un autre moi-même, il est aussi notre “poubelle”.
Il est le bel objet de nos ressentiments, le coupable de nos
faiblesses, la cible de nos rancoeurs…
Histoire,
sans doute, de garder tous les symptômes, ou les “signes” de
toutes ces qualités que nous rêvons d’avoir, dans le droit fil de
notre “être” mythifié.
Comme
l’écrivait Sartre, "l’enfer c'est les autres"... Je
t'aime, moi non plus! On peut donc bien, dans une logique paradoxale,
pardonner à ses ennemis et en garder
la liste...
Le
drame, pour chaque entreprise, quelle qu'elle soit, immense ou
minuscule, est que ces paradoxes, qui font la dynamique de
l'organisation, sont glissés sous les tapis parce qu'ils ne relèvent
ni ne s'épuisent dans la dictature du chiffre... L'humain tel qu'il
est n'existe toujours pas dans nos organisations. Dès lors, les
gens, dirigeants et autres, ne comprennent toujours pas ce qui s'y
passe, et souvent ce qu'ils y font ou ont à y faire.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 8 octobre 2019
Lire aussi : "Un monde prédictible n'est pas réel"
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