Il
me souvient de cette histoire stupide où quatre amis échangent à la
sortie d'un spectacle de théâtre amateur,
quand une personne dit "Les dialogues étaient géniaux. C'était
du Audiard !" Un autre, peut être à l'ego un peu plus
surdimensionné, et ne connaissant pas cet auteur de dialogues (nul
n'est parfait et ça n'a aucune importance), entrait dans une
diatribe hautaine, indiquant, par exemple, que le statut d'auteur
n'existait pas en cinéma, que cet Audiard n'était rien, et qu'on se
gaussait de bêtises, etc... La diatribe durait tellement que sa
compagne lui indiqua qu'elle s'agaçait de voir qu'il n'accepte
jamais d'avoir tort. Loin de le calmer, cela sembla le relancer... Un
autre des amis quitta la pièce et le protagoniste le suivit,
continuant sa diatribe. L'ami l’arrêta d'un ton ferme en lui
demandant de se taire, tout simplement. Ce qu'il fit...
Mais
quelques jours plus tard, le protagoniste propagea l'idée que cet
ami l'avait insulté. Prenant sa compagne à témoin, il broda une
histoire où l'ami serait devenu tout rouge et l'aurait maltraité.
L'ami, sur l'invitation de son épouse fortement liée à la compagne, ne releva pas et laissa tomber.
Quelques
mois plus tard, tombant sur la compagne du protagoniste, l'ami lui
demanda si son interlocuteur en était toujours à cette histoire
d'insulte. A son grand étonnement, la compagne redonna la même
histoire que le protagoniste, en indiquant qu'elle avait vu les faits
et que c'était bien ce qui s'était passé. L'ami en fut blessé et son épouse n'en croyait pas ses oreilles. Il se sentit offensé, alors qu'il savait être considéré
habituellement comme une personne plutôt bienveillante et affable.
Il
tenta alors de raisonner son interlocutrice mais celle-ci partit sans
entendre. Il tenta plusieurs fois de la rencontrer pour éclaircir
l'événement, mais rien n'y fit, à part, peut être, de
cristalliser encore davantage les choses. Ce dernier se trouva de
plus accusé de malveillance et de ne pas vouloir discuter.
L'ami laissa donc tomber. Cause perdue...
Pourquoi
? Parce qu'ils étaient dans des démarches incompatibles. Alors
regardons de plus près et analysons quelque peu ladite situation.
L'ami
bienveillant était dans une démarche de raison, associée à une
posture bienveillante. Le protagoniste et sa compagne étaient dans
des démarches bien différentes : lui, d'honneur et l'autre d'amour
dépendant. Il n'y a ici aucun aspect de jugement qui, en l'espèce,
serait bien inutile. Il ne s'agit pas de voir si l'un ou l'autre a
raison, justement, mais si les démarches sont compatibles et peuvent
s'articuler.
Quand
l'un en appelle à la raison, il ne rencontre pas l'autre parce que
justement cet autre ne fait que défendre des intérêts, en
protégeant des enjeux. Quand l'un en appelle à l'objectivité et à
la réalité (bien conscient que chacun a la sienne), l'autre ne voit
que ses enjeux. Pour le protagoniste, il s'agit de sortir gagnant de
l'histoire, et pour sa compagne, de conserver la complicité de son
compagnon. Ici, la raison et
la "réalité vraie" n'ont plus rien à voir.
L’erreur commise
par l'ami est de ne pas comprendre, dès le début, cette logique
d'honneur et les liens de dépendances entre les partenaires en
couple. Il commit une seconde erreur : celle de ne pas comprendre que
la raison n'avait rien à faire dans cet échange. Il aurait mieux
fait, s'il avait compris cela, de ménager une porte de sortie
honorable à ses interlocuteurs. C'eût été plus judicieux.
L'affaire se serait arrêtée là. Mais elle dura
malheureusement plusieurs mois.
Le
pire est que l'ami s'en trouva fortement affecté et souffrit
suffisamment pour ne pas lâcher l'affaire. Il continuait à
vouloir la résoudre pas la raison. Pendant ce temps le protagoniste
et sa compagne continuaient leur diffamation rentable.
Il
y avait une troisième erreur stratégique et de raison que
commettait l'ami. Il était affecté par ce que ses "amis"
pensaient de lui, parce que
ceux-ci prodiguaient comme image négative à son
endroit. Il était à son tour dépendant de l'image véhiculée sur
lui, comme si c'était sa personne-même qui en était affectée (ce
qui, émotionnellement, était le cas). Mais était-ce réellement ça
qui se passait ?
Ce
que les gens pouvaient dire de lui, ne concernait en fait que ceux
qui le disaient. Il n'y a là
d'enjeux que ceux-là mêmes propres aux personnes qui
s'expriment. Si l'ami relevait le propos et faisait
sienne cette image qui lui était attribuée, alors il lui donnait lui-même une
valeur opposée à ses propres
attentes. Au lieu de se réhabiliter et de se défendre,
il accréditait, sans le faire exprès, l’hypothèse qu'il
puisse être un "sanguin insultant".
Il
se confia à moi, à propos de cette situation qui le faisait tant
souffrir, et je lui rappelai alors une sentence bouddhiste :
"Rien ne peut atteindre ce que je suis vraiment"
Suis-je
le discours des autres ? Suis-je la reconnaissance des autres ? En
effet, nous connaissons cette phrase que répond un intéressé quand
on lui demande s'il est bien ceci ou cela en matière
professionnelle, d'expertise ou de posture : "Les autres me
reconnaissent comme tel..."
Mais
au fond de soi, la personne sait qui elle est vraiment et n'a, au
fond d'elle-même, aucun besoin que cette conviction soit dépendante du
regard des autres, fussent-ils des amis ou des parents. On
appelle cela, la force de caractère.
Ainsi,
en appeler à la raison des gens est généreux et humaniste mais pas
nécessairement judicieux, ni efficace... car, à l'évidence, nombre
de personnes "jouent" et se comportent plus en fonction
d'intérêts que de raison.
Gardons
encore en mémoire que cette remarque vaut pour toutes situations, notamment conflictuelles, et
que le management repose à quatre-vingt pour cent sur du
relationnel. N'oublions pas non plus qu'il en est de même dans la dynamique de toutes organisations et groupes sociaux.
P.S. : A tous ceux qui douteraient du bien fondé de la démarche, qui auraient de la rancœur contre les auteurs des mensonges et des malveillances, voici deux citations qui ne me semblent pas du tout dénuées d'une certaine sagesse :
- "Le mensonge est comme un craché en l'air, il retombe toujours sur le menteur" (Astrid Etoundi)
- "Brandir de la colère pour punir quelqu'un, c'est comme brandir un charbon ardent pour le blesser. Vous vous blessez vous-même." (Bouddha)
Jean-Marc
SAURET
Le mardi 17 septembre 2019
Lire aussi : "D'où je parle"
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