L'organisation
sociétale est très loin de ce qu'une société humaine construit de
façon ordinaire. Si l'on observe les sociétés humaines, qu'elles
soient, comme on dit, archaïques ou locales, elles se vouent à
donner du sens à l’existence du groupe et de chacun. Pour cela, elles posent des rites d'appartenance, de passage et de reconnaissance.
Nous
savons aussi que ce qui structure notre rapport au monde dans cette
société post-moderne est le commerce. Tout se paye et tout se vend.
Les temples sont les centres commerciaux, les célébrations sont les
quinzaines commerciales et les périodes de soldes, les rituels sont l'achat et le paiement.
Et
qu'est-ce qui fait marcher le commerce ? L'offre et la demande, nous
disent tous les enseignants en management des affaires. On comprend que cette
bipolarité organisationnelle devient quasi totalitaire. Ainsi toute
la préoccupation et d'orienter et contrôler ces deux pôles. Soit
on développe l'offre, soit on tend à susciter la demande pour les
objets déjà existants à la vente. Il n'y a pas de dons et, sous
prétexte d'échanges équitables, la guerre des prix fait rage.
Mais
peu de monde s'intéresse aux conséquences sociales et sociétales
de tels procédés. S'il n'y a pas plus de sens à sa vie que le
comblement de désirs uniquement par les objets et les services,
alors nous entrons dans un cercle vicieux qui laisse vacante la
question du sens, et dont la pratique ne saura même jamais combler
nos désirs... pas les attentes, ni les besoins, ceux-ci sont
dépassés par les désirs. Ils sont noyés dedans.
Nous
sommes entrés dans les cycles infernaux de l'addiction :
la perspective de jouir d'un objet ou d'un service, sans que cela ne
réponde à la question de fond : "Qu'est-ce que je fait là ?",
réclame toujours plus de consommation dudit objet ou service. Jouir
est une perspective de plaisir, pas le plaisir lui-même. Plus on en
use et plus le désir d'un objet jamais atteint grandit. C'est
bien là le principe de l'addiction.
Le
"commerce" le sait bien et tente par sa communication (la
publicité) de "titiller" le désir, de l'exciter jusqu'à
ce qu'il grossisse en nous au point de réclamer satisfaction,
c'est à dire son comblement. Il s'agit là de tenter notre gourmandise,
non pas par des éléments réels, mais par des éléments
symboliques tels que le sentiment, la sensation, l'émotion, le
souvenir. Tous ces éléments d'appui n'ont rien à voir avec la
raison, la réflexion, la philosophie de vie ou la question du sens,
pourtant indispensables à bien vivre. Non, cela s'adresse à notre
cerveau limbique, celui des sensations, bien loin de notre raison et de notre raison d'être.
Effectivement,
la société du commerce nous installe dans des gourmandises
addictives, juste pour que nous restions dans le cercle vicieux du
commerce : on travaille pour gagner la monnaie d'échanges qui
permettra d'obtenir les objets de nos addictions, de nos
gourmandises.
Nous
savons bien que nous n'en avons réellement pas "besoin",
mais nous en avons envie et la publicité n'arrête pas de nous
indiquer que nos désirs sont légitimes, que nos plaisirs sont "l'objet de nos vies". N'est-ce pas vrai ? Nous finissons par le croire
et quand on nous demande pourquoi nous faisons ceci ou cela ou que
nous dépensons pour ceci ou cela, nous nous entendons répondre :
"...et si j'ai envie ?", comme s'il s'agissait d'une
évidence.
Quand
l'un de nous nous dit que nous devrions faire plus attention, moins
fumer, moins manger sucré, gras ou salé, nous répondons de la même
manière : "...et si j'ai envie ?"
Quand
l'un de nous nous dit que trop rester sur les écrans nuit à
notre santé, que se mettre en dépendance des réseaux sociaux, de
son smartphone, dégrade notre intelligence et nos libertés, nous
avons tendance à répondre : "...et si j'ai envie ?",
comme si répondre à nos envies c'était ça la liberté...
Dramatique illusion où les fers son confondus avec le libre arbitre.
C'est comme si nous nous mettions dans la souffrance et les affres de
l'esclavage en affirmant : "...et si j'ai envie ?"
Ça nous
paraîtrait absurde... et c'est absurde... et c'est pourtant ce
que nous faisons beaucoup. Alors, pouvons nous penser que la liberté
ne serait pas dans le "...et si j'ai envie ?" mais
plutôt dans l'exercice de notre libre arbitre : comprendre ce
qui se passe, ce qui se trame, ce qui est là, en débattre avec
nous même en regard de nos valeurs, du sens de notre vie, du sens de
notre collectif, de l'humanité, et effectuer les choix en
fonction d'objectifs répondants de ce sens et de nos valeurs...
Quand
l'école de Jules Ferry nous indiquait que la connaissance est le
chemin vers la liberté, notre société actuelle nous invite à ne
pas réfléchir ni savoir, mais à "jouir" des gourmandises
addictives qu'elle nous vend.
Aurons
nous le loisir de réagir, et de commencer à reconstruire un monde
meilleur ? Oui, bien-sûr, puisque d'autres l'ont déjà fait et
continue de le faire ici et là, jetant leurs
smartphones, dé-consommant, ouvrant leurs portes, leurs
relations et leurs esprits au partage, au don, à la méditation ou réflexion, et à la création.
Alors, on y va ?
Jean-Marc SAURET
Le mardi 10 septembre 2019
Lire aussi : "Nous avons perdu le chemin, alors nous marchons"
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