Nous
avons l'habitude de regarder les enfants comme "des gens en
devenir". C'est à dire comme s'il était de notre devoir de les
accompagner, de leur montrer le chemin, d'éclairer leurs pas et
leurs marches pour les amener sereinement à leur état d'adulte.
Quand
nous regardons en arrière, notre regard dans leurs yeux, nous
comprenons que le regard d'un enfant est direct et immédiat. Ce qui
nous semble alors faire la différence d'avec le nôtre, c'est ce en
quoi nous nous sentons obligés : la hauteur de vue que ce que nous
pensons être l'intelligence de nos expériences à construire.
Nous
voyons plus loin depuis plus haut. L'image que nous en avons alors
est celle de la vigie, portée en haut du mat, les yeux sur
l'horizon. En bas, travaillant sur le pont, les matelots attendent
son annonce criée avec confiance. Il sait puisqu'il est bien
positionné pour voir loin.
Les
enfants nous regardent ainsi et nous questionnent. Quand ils arrêtent
de le faire, soit ils partagent dès lors avec nous et nous savons
qu'ils ont grandi, soit ils se coupent de nous et nous nous
inquiétons. Nous nous inquiétons parce que nous somme vigie, que
nous pensons que nous voyons loin, que nous comprenons ce qui se
passe.
Le
sage voit plus loin encore que le commun des adultes. Enfants auprès
de lui, nous l'interrogeons pour obtenir un peu des résultats de son
regard : un jugement, une appréciation, une vision plus haute, une
conception plus élaborée, une conclusion plus structurée...
Mais
pour vivre ce rapport, il nous faut reconnaître l'autre et savoir
qui nous sommes dans notre relation à lui : enfant ou un sage,
adulte ou enfant, ou quoi d'autre. Nous ne le saurons que si nous
nous regardons ensemble, que si nous avons cette conscience de nous
et de notre relation. C'est bien ce que ne fait pas l'enfant quand il
se détourne et s'isole.
Peut-être
se voit-il comme le monde de la consommation qui nous regarde et nous
invite à être : en l'espèce un "centre du monde", ou
encore, le "hub" de tout. Dès lors, celui-ci n'a pas à
s'adapter, c'est le monde qui doit s'adapter à lui. L'alternative
peut se résumer de la façon suivante : il y a ce qu'il a et ce qui
lui manque. Ce ne sont ni des connaissances ni des compétences, mais
simplement des objets. Ce sont dès lors des propriétés qui le
définissent, et non pas des caractéristiques de valeurs et de
capacités.
Il
se pense fini, et si son rapport au monde est insatisfaisant ou
difficile, il faut alors, pour lui, changer le monde. Voilà pourquoi
nous nous inquiétons,... et nous avons bien raison de le faire.
Mais
si l'enfant se pense inachevé, il peut se situer sur le chemin du
développement. Il se retrouve alors en voie de "grandissement",
et de perfectionnement. C'est dans ces conditions, qu'il se
rapproche de l'adulte, de celui qu'il pense être un référent.
C'est à ce moment qu'il tente d'en acquérir le regard, la sagesse,
et l'ensemble des éléments qui font sa connaissance.
"Tu
vois cette plante ?" me disait le vieil Adrien, un ami de mon
père. "Elle va t'enlever tes verrues... Va la cueillir !",
et j'y allais, la cueillais et la lui ramenais. Pourquoi, ne pas la
garder ? Parce qu'implicitement le vieil Adrien m'indiquait qu'il
savait quoi en faire... et que si j'allais la chercher c'était pour
m'engager à partir d' elle, avec lui... Alors que je ne savais pas
encore en faire quoi que ce soit. Lui, en revanche,i le savait. En
même temps, c'est tout cela qu'il me disait par cette seule
injonction...
La
relation est bâtie sur la reconnaissance réciproque. Le vieil
Adrien me savait affecté par toutes ces verrues sur mes mains. Il
savait sa connaissance bien supérieure à la mienne, et combien elle
pouvait s'avérer utile pour moi. Il le savait de par nos positions
humaines respectives : j'avais une dizaine d'années et lui plusieurs
multiples de dix. Si la valeur n'attend pas le nombre des années, la
connaissance, elle, en dépend...sûrement !... Tout comme la
connaissance de la "chélidoine" !
Nous
sommes vis à vis du sage dans la même posture (et le viel Adrien en
était un). Notre société consumériste ne les connaît plus mais
ceux d'entre nous qui privilégient l'usage à la possession
recommencent à les apercevoir.
Dans
une société de l'usage, le savoir-faire et le savoir être se
combinent, voire, se confondent jusqu'à l'accomplissement : le sage
est celui qui sait le mieux faire quelque chose des éléments de son
environnement. Il y vit et y est comme un poisson dans l'eau. Il y
est en relation d'intelligence.
Si
aujourd'hui nous parlons d'écologie, c'est bien parce que ce rapport
ordinaire et obligatoire à l'environnement nous a quitté. C'est
quand il y a longtemps que nous n'avons pas mangé que nous parlons
d'avoir faim. Pas avant...
Ainsi,
pour que l'enfant reconnaisse l'adulte et l'adulte reconnaisse le
sage, il faut à chacun la conscience de sa relation à son
environnement, à savoir que sa finalité est de s'adapter à son
environnement et pas l'inverse.
Regardons
un instant dans le lointain passé de l'humanité. Il y a plusieurs
milliers d'années, chaque personne humaine gérait et organisait son
processus vital. Elle savait récolter les plantes et les graines,
les chauffer pour les meuler, en cuire la farine transformée en pâte
avec un peu d'eau ou de lait. Tous et chacun savaientt le faire.
Tous
et chacun savaient construire ses outils et s'en servir, se projeter
sur l'avenir et donc récolter voire semer pour ça. Tous savaient
construire un abri et toutes choses utiles à mieux vivre. Tous
savaient l'importance d'être ensemble. Mais aujourd'hui, sans
électricité ni supermarchés, en quelques jours nous mourons de
faim et de froid. Sans nos Smartphones, nos PC, nos tablettes, nos
véhicules à moteurs, sans toutes nos prothèses, nous sommes
incapables de vivre, de survivre,... et nous hurlons de colère dès
que nous les perdons, dès que nous en somme éloignés ou privés...
Voilà
pourquoi nous ne savons plus reconnaître les sages comme ce vieil
Adrien parti dans sa tombe avec toute la bibliothèque qu'il avait
dans la tête et le cœur.
Notre
société de consommation a fait de nous des dépendants, des
frustrés, des handicapés du corps, de l'intelligence et de l'âme.
La moindre hypothèse d'un monde facile et meilleur quelque part,
nous y allons comme les papillons vers la lampe électrique qui finit
par nous brûler. Hallucinogènes chimiques, idéologique ou
"djihadistes" sont nos lampes électrique. Il en va de même
de celles de nos papillons de frères et sœurs malvoyants de
l'esprit, de l'âme et du cœur.
Pour
reconnaître le sage et reprendre sa route de liberté et
d'autonomie, il faudra recommencer à comprendre que nous sommes en
interaction avec notre environnement, que nous somme de cet
environnement, pas dépendant mais "y appartenant". Nous
sommes comme chaque goutte d'eau dans l'océan !
C'est,
me semble-t-il, le premier pas que nous avons à faire et à faire
faire à nos proches sur le chemin de la sagesse et de la survie.
Publié
le mardi 24 septembre 2019
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