Henri
Fayol, alors directeur général des mines de Commentry,
Fourchambault et Decazeville, réputé excellent gestionnaire, fit en
1921, un rapport alarmant sur le fonctionnement des PTT, connu sous
le titre : "L'incapacité industrielle de l'Etat : les PTT".
Il provoqua un tel émoi dans les allées du gouvernement que, dès
l'année suivante, le parlement envisagea de discuter de la
privatisation de cette administration. Ceci aboutit, en 1923, à la
création du budget autonome des PTT. Dès lors, cette grande et
ancienne institution ne rendit jamais un budget en déficit. Il a
été, jusqu'en 1993, date de la nouvelle démarche vers une
privatisation progressive, toujours excédentaire. Cela resta vrai
même au cours des années qui ont suivi.
Mais
que disait ce rapport ? Il concluait en précisant que le sous
secrétaire d'état qui l'avait en charge était instable et
incompétent. Le rapport pointait également l'absence d'un
programme d'action à long terme (tout en insistant sur les défauts
rédhibitoires d'un "pilotage à vue"). Le constat se
terminait par l'absence de bilan… mais il mettait aussi l'accent
sur l'intervention excessive et abusive des parlementaires. Il
déplorait enfin l'absence dramatique, auprès des opérants, de
"stimulants" pour zèle, (comme par exemple, des
récompenses pour services rendus). Il mettait enfin en avant,
l'absence de responsabilité (système, délégation, etc.). Dans de
telles conditions, il devenait évident qu'aucune entreprise ne
pouvait réussir.
Dans
le même ordre d'idée, il indiquait aussi que "ces vices
administratifs ne sont pas propres aux PTT, mais ils sont bien
communs à tous les services publics". Et
pourtant, cette noble institution perdura et remplit sur la durée,
sa fonction de communication...
Cela
se confirma tant que lesdites communications restèrent
interpersonnelles et/ou inter-entreprises. Dans
l'un et l'autre cas, talent et efficacité étaient bien au
rendez-vous. L'expression populaire, "comme une lettre à la
Poste" dit bien cela.
Ce
que ne dit pas le rapport d'Henri Fayol, et je m'en suis rendu compte
en réalisant ma thèse ("Des postiers et des centres de tri"
L'Harmattan. Paris 2003), c'est que toute la Poste a été créée,
imaginée, et construite par les postiers eux-mêmes. Que ce soient
en l'espèce les préposés, facteurs et agents du tri, depuis les
casiers de tri, jusqu'aux tournées, en passant par les modes et
circuits d'acheminement, c'étaient bien les "gens" eux
mêmes qui étaient "aux manettes". Ce qui fit la force et
l'efficience de cette organisation, c'est bien qu'elle était
organisée par les postiers eux-mêmes. C'est également ce facteur
qui déjà, la protégea de la privatisation en 1923.
Le
bilan de ce rapport montre bien que les dirigeants étaient
incapables, et les opératifs talentueux. C'est bien souvent encore
le cas dans nombre d'organisations.
Il
me souvient de cette conférence de Jean-François Zobrist, alors
encore patron de la société FAVI, en Picardie.
C'est
à cette occasion, qu'il expliqua sa démarche basée sur la
confiance, et le zéro contrôle. Il raconta, dans le même module,
comment il avait petit à petit réorganisé toute l'activité de
l'usine en étant tout simplement à l'écoute vigilante, attentive
et bienveillante des ouvriers.
Alors
qu'un directeur d'une autre entreprise lui demandait de décrire son
processus de transformation, il répondit avec le franc parler qui
était le sien : "Tu te démerdes... Tu regardes, tu écoutes et
tu laisses jouer les intelligences."
Il
avait montré ainsi que les gens savent bien, de manière
pragmatique, ce qu'il faut faire pour obtenir un bon résultat.
Il l'avait tellement expérimenté, qu'il avait aboli toute
hiérarchie, tout cloisonnement, tout contrôle,
et tout système de commandement. Les ouvriers rencontraient les
entreprises clientes et savaient donc
exactement ce que chacune attendait des produits,... et il le
faisaient !...
Mais
on peut aller encore bien plus loin !.
On
sait pertinemment, et depuis belle lurette, qu'il est plus prudent
pour les gouvernements successifs, et plus efficient pour tous, de
laisser les gens décider du "comment on allait faire évoluer
cette société". J'entends nombre d'observateurs craindre que
quelques "petits mains" en viennent à abuser du système à
leur propre profit. Ce à quoi je réponds de ces deux manières :
d'une part "Pas plus que ceux qui nous dirigent...", mais
aussi par cette phrase lumineuse d'Yvon Gattaz, en 2003. Alors
président du CNPF, et devant un parterre de dirigeants, il avait
lancé : "Si vous mettez du contrôle, vous aurez des tricheurs.
Si vous mettez de la confiance, vous aurez de l'efficience". Yvon Gattaz, qui était loin des idéologies de gauches, avait tout compris !
Nous
avons, à plusieurs reprises, remarqué l'action déterminante des
systèmes de régulation dans les groupes sociaux et les
organisations. Les déviants sont, en l'espèce, radicalement
recadrés par les autres membres du groupe,... à deux conditions :
La
première, pour les acteurs, c'est qu'ils soient bien conscients de
disposer du pouvoir de décision… Et la seconde avoir bien la
certitude que celui-ci ne leur ait pas été confisqué par une
direction totalitaire ou tout simplement abusive.
Dans
cette dernière hypothèse, avec une direction définitivement obtue,
il est compréhensible que les acteurs jouent pour eux-même et
contre le collectif, qui d’ailleurs n'a plus beaucoup de sens.
Ces
exemples ne concernent d'ailleurs pas que l’industrie. J'écoutais
un entretien enregistré de l'astrophysicien Jean-Pierre PETIT. Il
racontait comment des directions pour lesquelles il avait travaillé,
jugeaient leurs collaborateurs davantage à l'aune des écoles où
ils avaient été formés qu'aux compétences réelles, effectives
dont ils témoignaient. Il montrait combien la peur de ne pas
contrôler dirigeait leurs choix,... non seulement stupides
parfois, mais surtout au final, contre productifs. Il racontait
toutes ces turpitudes organisationnelles où les dirigeants
bloquaient des recherches parce que ce qu'ils pourraient découvrir
les affolait. Il citait ce dirigeant qui confessait : "Si l'on
ne trouve rien c'est dommageable. Mais si on trouve, c'est pire
encore !", parce que ça peut remettre en cause tout ce que l'on
sait à ce moment là.
Il
montrait alors, à partir de là qu'il vaut mieux confier à la
population le fait de voir, constater, partager et comprendre, parce
que les gens simples, n'ayant que leur curiosité et rien de puissant
à défendre (places, près-requis, etc), trouvaient les solutions
par pragmatisme. Les gens font fi des théories, et dans le pire des
cas, si les théories contredisaient ou empêchaient de faire le
constat, il valait bien mieux alors, changer la théorie...
C'est
ainsi, avec force exemples, qu'il présentait ce point de vue
tellement similaire à celui des managers
humanistes pragmatiques : mieux vaut faire confiance aux gens qu'aux
appareils. Et sa proposition en prenait davantage de force encore,
quand il affirmait :" si l'on laissait les gens partager la
science, ils trouveraient bien davantage et nos connaissances
expérimentales augmenteraient".
N'en
est-il pas de même en management des organisations ?
Jean-Marc SAURET
Le mardi 3 septembre 2019
Lire aussi : "Développer la pensée active"
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