En
regardant le mouvement des gilets jaunes, toujours présent mais dont
les médias ne parlent plus, j'entends dans les analyses diverses
qu'une majorité de gens ne fait plus confiance à la politique ni à
ses représentants élus ou nommés. Il y a une défiance réelle du
pouvoir. Le philosophe Michel Onfray déclare à son tour qu'il ne
vote plus, qu'il "ne participe plus à cette mascarade de
démocratie", parce que ça ne sert plus à rien. Il s'agit toujours d'après lui, de la même politique libérale dogmatique. Seuls les acteurs changent, ceux là même, et les seuls, qui sont soumis à nos suffrages.
En
lisant les différentes pétitions qui circulent sur le net et
différents articles à disposition du plus grand nombre, je crois
voir que ce rejet ne concerne pas que l'organisation politique mais
bien toute la civilisation libérale, tous les lieux de pouvoirs,
toutes les zones confisquées par des intérêts privés et
transformées en marchés.
Ici, pour celui-ci, il s'agit de reprendre le droit de propriété de sa propre santé.
L'auteur se rend compte qu'il a passé son temps à déléguer ce
champ totalement personnel, à des lobbys et autres "spécialistes".
Là, pour celui-là, il s'agit de reprendre possession de son habitat, de se défendre
des contraintes et obligations qui viennent nous installer des
appareils de mesure qui nous mettent sous surveillance... ( et que de surcroît nous devons financer).
Ailleurs, c'est le champ de la croyance, des
représentations du monde et de l'univers que les auteurs se
réapproprient, réclamant une laïcité de fait sur toute la
longueur du champ des représentations. Il s'agit de sortir du dogme
religieux et sectaire du libéralisme à tout crins, du dogme de la
croissance, du dogme du progrès linéaire, du dogme des échanges
monétaires, du dogme de l'universalisme sociétal, etc.
Ici, on
réclame le droit à la diversité, prenant conscience que nous sommes sur une planète où se côtoient plus de cinq cents ethnies
différentes, avec chacune ses représentations cosmogonique, ses
fondamentaux et son sacré.
Ce
dont se rend compte cette multitude d'auteurs et contributeurs est
que cette civilisation planétaire nous installe dans un monde dont
personne ne veut, un esclavage de production et une dictature de la
consommation. Ici, chacun n'est même plus un client, mais une
marchandise dont les morceaux se revendent à profit. "Quand
c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit !" indique un
auteur à propos des services sur la toile. Ce monde structuré par
le commerce et le profit ne connaît plus qu'une seule logique : la
gestion dans une dictature du chiffre pour le profit monétaire. Ici, l’égoïsme est le principe même de la vie sociale
Eh bien, de ce monde là, plus personne ne veut. Même ceux-là même
qui en profitent tentent de s'en éloigner, voire de s'en exonérer. Les plus riches, ceux qui "justement" développent
les productions qui détruisent la planète et accélèrent son
réchauffement, achètent des propriétés au Canada, en Suède ou en
Nouvelle Zélande, pensant que, là, le réchauffement sera bien moins
insupportable... Les impôts et les taxes sont à la charge de la masse dont ils
vivent, et non pas à leur propre charge. S'il y a un marché de la santé,
eux se réservent des accès à d'autres soins et développent des
philosophies individuelles du bonheur. Méditations, théories
quantiques ou de l'intention, viennent se substituer aux principes
mutualistes, de co-construction, de résistances et de constructions
collectives.
Le social, le collectif, disparaissent sous la primeur de l'individu. Et
si, par la même occasion, même si ces théorie ont un fondement
réel, ce serait bien que ces solipsismes effacent le sens du
collectif dans la population, et donc dans l'ensemble de la masse. Le "peuple"
serait bien mieux utilisable et exploitable ainsi...
Seulement
voilà, le peuple, intelligent de son côté aussi, ne voit pas la
manœuvre du même œil, et se retire du système, petit à petit,
radicalement, inlassablement. Un monde alternatif, voire des mondes
alternatifs, sont en train de se développer à côté de ce système
holistique décadent, déjà perdu et perdant.
Ce
que veulent tous ces gens qui se réveillent, qui font sécession,
c'est de l'humanité, de la convivialité, du lien social, de la
solidarité, du vivre ensemble. Alors s'oppose actuellement le réveil
humaniste à la dictature du chiffre que l'on nomme aussi
"libéralisme", "logique de marché" ou encore,
quoi qu'abusivement, "mondialisme".
Nous
n'avons jamais vu autant d'associations de vie locale, de bars et
épiceries communautaires, de groupes d'entraide, de festivals,
d'événements co-organisés, etc. Le monde a faim et soif
d'humanité, d'un retour au réel, à l'essentiel, au fondamental : c'est à dire "Nous" !
Ce
monde libéral est caduc. S'il semble trop fort encore, il tombera
parce que plus personne n'y croira. Plus il y a de monde qui pense
"alternatif", plus il y a de monde qui se "rend compte" que
ce type de changement est possible. Comme le disait Louise Michel à propos du
déclenchement de la commune de Paris : "Cinq minutes avant, ça
paraissait totalement improbable. Cinq minutes après, cela était
totalement évident !"... Et je crois que nous approchons des
cinq minutes...
Mais,
il ne s'agit pas que de mouvements populaires. Les intellectuels s'y
mettent avec enthousiasme. Lors d'un repas entre intellectuels,
le sociologue Alain Caillé, directeur de "la revue du MAUSS",
affirmait : "Il
faut lancer un mouvement convivialiste !". Il a donc lancé un
"Manifeste convivialiste" que nombre d'économistes,
sociologues et intellectuels, dont Edgar Morin, ont
signé. En
juillet 2010, il ouvre un colloque à Tokyo, autour des idées d’Ivan
Illich et de la convivialité.
L'économiste
et participant, Serge Latouche va plus loin encore et publie
plusieurs ouvrages majeurs comme "Comment réenchanter le monde"
ou "Le pari de la décroissance" ou encore "Postcroissance
ou décroissance". Il nous indique que les structures politiques
et les organisations religieuses sont de même nature et de structures identiques. Il reprend là ce
que l'ethnologue Claude Rivière développait en 1988 dans "Les
liturgies politiques".
Il
nous indique que c'est en les considérant ainsi que l'on saura
déconstruire dogmes et valeurs de ce libéralisme totalitaire. Il n'échappe à personne que le rite suprême,
son Eucharistie, en est la consommation, le sacré en est la croissance, le dieu en est le bénéfice
que matérialise l'argent, et l'évangile, cette "économie" devenue, comme l'écrit
Serge Latouche, "la science de la valeur objectivée". Ce qui se vend existe. Le
reste n'a pas de sens.
Il
s'agit alors de remplacer ces valeurs par celles qui nous
tiennent à cœur pour que nous installions, en lieu et place du
"tout économie", ce dont nous rêvons et dont le
manque nous épuise : l'humanisme et la convivialité.
Il s'agit donc pour ce mouvement convivialiste de "décoloniser de l'économie les imaginaires", c’est à dire de sortir de l’économie telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, c'est à dire comme une évidence, et donc comme un incontournable, comme une "réalité vraie", une fonction fondamentale qui assurerait la pérennité de l'homme. Il s'agit en effet de sortir de ce mensonge et de le déconstruire plus que de le dénoncer d’ailleurs. Ainsi, nous ferons autrement et sans "lui"...
Alors, nous devrons aller plus loin encore, et penser l’illimitation caractéristique de la modernité, avec ses notions totalitaires de progrès, et de rationalité. Nous n'attendons pas éternellement des lendemains qui ne chanteront jamais. Il nous faudra apprendre à nous méfier de la démesure, sortir de l’hubris qui nous déroute, et de la recherche illimitée du pouvoir et de l’argent qui nous épuise, et enfin retrouver l'amour de l'autre.
Alors seulement nous saurons construire ce temps d'après qui nous est indispensable. Et ceci, assurément, est en marche.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 16 juillet 2019
Lire aussi : "Dignitarisme, de quoi s'agit-il ?"
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