Ce
titre peut paraître parfaitement surprenant, voire décalé. Et
pourtant nous allons voir à quel point il dit une chose essentielle
qui peut avoir des répercussions dans bien des choses de nos vies, de nos managements, de
nos organisations.
Lors
d'une interview, il me souvient avoir entendu le philosophe Fabrice
Midal proposer ceci : « Les emmerdes en sont quand on se voit
victime dans la situation. Elles sont des questions et des
opportunités quand on se sait lecteur-écoutant du réel et puis
acteur du présent. ». La phrase peut paraître quelque peu absconse
mais regardons ce qu'il nous dit là. Comme l'écrivait Marc Aurèle,
et comme nous l'avons déjà rapporté, ce ne sont pas les choses qui
nous gênent mais le regard qu'on leur porte. J'ajouterais, comme
j'aime à le faire, que ce ne sont pas les choses que l'on voit, mais
le sens qu'on leur trouve... La phrase est en dédicace à l'intérieur
de la pochette de mon sixième CD enregistré à la maison,
"Regards".
La
réalité, comme je l'ai bien souvent écrit et montré, n'est que la
conscience que nous avons du monde, du réel, de ce qui se passe,
etc. Je n'y reviens pas ici. J'en ai déjà beaucoup traité.
Dans ces conditions, ce que l'on considère comme des "emmerdements" n'est
autre que la projection émotionnelle et d'intérêts que nous
faisons de ce qui se passe sous nos yeux. Changez de posture et le côté
"emmerdement" disparaît. Sous d'autres postures , voire sous d'autres angles d'approche commandés par l'avantage et l'intérêt, il pourrait bien devenir même
intéressant... C'est tout ce que nous indique le philosophe. Si vous êtes un citoyen lambda, une contravention prise par un radar est une vraie "emmerde", mais si je suis un gendarme affecté à la sécurité routière, elle est un vrai outil pédagogique qui va certainement sauver des vies plus tard.
Mais
il est vrai aussi, que nous ne sommes pas que des individus et que
l'environnement, la culture, le lien social, font aussi action de
sens sur nos perceptions et postures. A ce propos, le
psychosociologue Serge Moscovici écrivait que "La volonté
de chacun est de rendre le monde prédictible". C'est à dire, que nous voulons être en capacité de savoir ce qui va se passer, ce qui va arriver après (que ce soit après un tsunami, un mariage, une claque ou un baiser, un lever de soleil, ou une douce pluie fine). Nous voulons être informé de la suite. Le monde doit être prédictible et s'il ne l'est pas, nous râlons. Ainsi, que disent les voyageurs revenus d'un retard important du train qui les amenait ? "Nous n'avons eu aucune information ! C'est lamentable..."
Cette posture
est sociale et tous s'accordent tellement dans ce sens là que l'on
finit par penser qu'il est normal d'avoir besoin de ces informations sur "l'après". Nous croyons alors pouvoir affirmer que la posture est "innée",
ou inhérente à la personne humaine, et que si la nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du vide de sens, etc. Cette posture n'est de fait que
culturelle, mais qu'importe. De là, l'idée que la gestion permettrait de mettre tout cela sous contrôle et prédiction, il n'y a qu'un souffle...
Mais que se passe-t-il quand le monde est
totalement prédictible ? Je pense à ces clubs de vacance, hôtel de
plage, où tout est organisé, contrôlé, sécurisé. Si on le
savoure quelques jours, voire une seconde semaine, on finit vite par s'ennuyer. On cherche l'aventure, l'émerveillement, la surprise,
l'étonnement.
Que
demandons nous à notre partenaire ? Qu'il nous étonne et nous
surprenne, non ? Et que tentons nous à son égard ? De le surprendre, de l'étonner... On se rend vite compte donc que dès que le monde est totalement prédictible, on est malheureux. Non seulement, on s’ennuie, mais on souffre de cet enfermement dans un "tout tracé", "tout normé", "tout sécurisé". On ne supporte pas le meilleur des mondes.
Mais, alors, pourquoi ça ? Parce qu'il est vrai que, plus nous voulons tout mettre sous contrôle et plus nous perdons le champ d'expérimentation : on quitte le bac à sable, on perd sa créativité tout en risquant d'y laisser aussi son intelligence.
C'est comme en économie, plus on norme les choses et moins bien cela se passe. Alors on rate davantage les opportunités et les chances de réussir. Tout semble "bien géré" mais plus rien ne bouge. Les innovations sont muselées, les bonnes idées nouvelles meurent dans leur œuf, les prises de risque sont anéanties, et le changement se trouve enterré. Le monde sous contrôle est une tombe. Il n'y a plus rien de vivant, plus rien de dynamique.
Nous devons nous sortir de la normativité extrême qui est en train de nous tuer par étouffement. Nous savons que la multiplication des normes restreint considérablement nos latitudes et nos espaces de vie. Certes, il ne s'agit pas exactement d'éviter tout contrôle. Jean-François Zobrist, patron de la société FAVI, expérimentateur forcené de l'entreprise libérée, disait que la meilleure personne pour contrôler un travail est celle qui l'a réalisé. Les logiques d'honneur et de fierté font plus que toutes les pressions. La correction est alors immédiate et le gain de productivité aussi. Il s'agit plutôt, donc, de se rendre compte que le développement exponentiel du contrôle et de la dictature du chiffre ont produit une "hystérisation" des comportements sécuritaires. C'est du désherbant sur un champ de salades.
On a fini par entendre dans les couloirs des organisations des absurdités du style "La confiance n'exclut pas le contrôle !" Eh bien si, justement. Normes et contrôles absolus tuent la vie. L'obsession fanatique de l’efficacité rend justement les gens inefficaces car la dynamique du vivant et la créativité ne sont plus là. Normalisation et vivant sont antinomiques.
En effet, si nous étions toujours et tout le temps dans le contrôle, Einstein n'aurait jamais existé. C'est en rencontrant ses inconforts que l'on trouve les nouvelles manière de faire, d'aboutir, de vivre.
Nous savons par l'expérience que c'est le "réel émotionnel" qui nous révèle à nous même et à notre réalité. Ce réel émotionnel est notre moteur, c'est lui qui nous permet de trouver, de résoudre, et de développer...
Mais ne vous inquiétez pas, plus on bétonne les projets, plus on coule des "chapes de normalisation", plus la gestion du chiffre devient totalitaire, corrélativement tout ceci sautera sous la pression du vivant et des plantes qui poussent. Regardez comment résistent à la vie les maisons abandonnées : elle se font ronger, elles cèdent, s'écroulent et la plupart du temps disparaissent sous la force de la végétation.
En développant ce qu'était le "temps d'après", ce temps sociologique succédant à la post-modernité, j'indiquais l'émergence de ces nouveaux acteurs que je nommais les "alternants culturels". Pragmatiques intuitifs, engagés, "réseauteurs" connectés, ils sont délibérément tournés vers l'oeuvre et l'intemporalité. J'indiquais à leur propos qu'ils étaient totalement autonomes, "mal obéissants", et que l'entreprise était pour eux un terrain de jeux. A leur propos, j'indiquais aussi que si les managers ne faisaient pas avec eux et leur dynamique vivante, comme la nature sur les ruines, ceux-là reprendraient rapidement leur droit et leur marcheraient dessus...
A tous ces "alternants culturels", je voudrais dire : Chaque fois qu'on vous dit non, qu'on vous ferme la porte au nez de vos enthousiasmes ou qu'on vous affirme que ce n'est pas possible, attendez quelques minutes que le monde change... et dites, en attendant, pourquoi vous êtes là, ce qui vous y a amené, quelles sont vos intentions et vos valeurs profondes. Toute personne a une âme et peut entendre depuis le vivant qui sommeille en lui. Réveillez le par contamination de votre propre vivant !
Ne vous inquiétez pas de l'impossible et des barrières. C'est dans la situation que l'on trouve les ressources, les réponses, les solutions et les voies de progrès. Faites, comme Einstein, confiance à votre intuition. Il dit lui-même qu'elle lui a tout montré. Elle est l'intelligence du cœur.
On ne peut pas mettre longtemps nos vies sous cloche. A ce propos, le petit prince demande à la rose s'il n'y a pas un grand risque pour elle de lui retirer la cloche qui la préserve des chenilles. La rose lui fit remarquer que si elle ne rencontre pas quelques chenilles, elle ne verra jamais de papillon.
On ne peut pas éviter les risques car on se priverait alors de l'émerveillement, des surprises, des émotions, des bénéfices qui en résultent et des aventures dont on apprend tant. La vie et l'évolution sont à cette condition.
Alors ne regrettons rien ! La consommation a fait de nous des "larbins improductifs", jusque dans nos loisirs. Nous jouons de plus en plus rarement de la musique, que ce soit au piano, à la guitare, à la guimbarde ou avec tout autre instrument, même de notre invention... nous pourrions chanter nous-même sur ces musiques... Mais non, nous payons pour que quelqu'un d'autre le fasse à notre place.
Au lieu de prendre du plaisir à fabriquer nous même des objets dont nous avons besoin, comme un habit, du pain, une sonnette pour la porte, ou un rafraîchisseur d'air, on paie pour en avoir un tout fait. Pourquoi ? Parce qu'on pense ne pas en avoir le temps. Et le temps, à quoi le passons nous ? A gagner de l'argent pour acheter tout ce qu'on ne prend plus le plaisir de faire... Ce monde est non seulement irréel, mais pervers et vicieux à la fois...
Ce monde prédictible vers lequel notre culture nous fait tendre inexorablement comme un papillon vers la lumière, n'est pas réel. Comme l’ampoule électrique n'est pas le soleil, le monde ordonné sous les cloches des contrôles et autres normes, n'est pas la vraie vie, ni même le réel. Il est juste une réalité pour losers et pour les zombis.
Managers, vous voulez réussir vos projets, atteindre des objectifs lointains, développer votre organisation ? Alors lâchez prise à la dictature du chiffre, à la pression du contrôle, lâchez l'obéissance aux normes et la soumission aux processus tout faits. Faites confiance, à l'expérience qui s'offre à vous dans les situations particulières et vivez les pleinement. Faites le pari que l'autre est un autre soi-même. Si vous ne faites pas cela, vous raterez d'être peut être un jour Einstein.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 23 juillet 2019
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