Sans
refaire le grand débat de l'inné et de l'acquis, dans la conception
ethnographique de ce thème, il est loisible de considérer d'une
part les images du bon sauvage et d'autre part, celles liées à
la horde originelle. Cela ne revient pas à opposer les
représentations de Rousseau et de Freud, mais deux représentations
sociales. Celles que donnent justement, les conclusions
de leurs travaux. Elles incarnent deux conceptions différente. Elles
peuvent même se voir opposées, selon l'idée intrinsèque que l'on
se fait de l'être humain. Pour mieux comprendre, pour mieux
appréhender le concept, en en devenant acteur, en fonction de la
réalité des organisations, et leur dynamiques, il va nous falloir
nous approprier un certain nombre de connaissances...
Nous
comprenons bien que s'opposent ici une conception
individualiste et moraliste, celle du bon sauvage rousseauiste, qui
va venir en antagonisme à la "sociologique", c'est à dire
celle de la horde sauvage originelle. Cette dernière peut être
qualifiée aussi de fondatrice des individus vivant en société. En
d'autres termes on peut la retrouver à l'origine de notre "société
moderne", celle qui suit la disparition, voire la mort du père
totémisé.
Autant
la première représentation relève d'un "credo" moral et
idéologique, autant la seconde relève du principe des interactions
fondatrices d'un être identifié dans et par son "vivre
ensemble". En dehors du "collectif" précité, il
n'existe aucun possible.
A
ce propos, nous nous souvenons de l'expérience interdite que j'ai
déjà évoquée et qui atteste que, sans relations humaines, sans
socialisation primaire, des enfants nouveaux nés meurent. Ceci fonde
le principe d'un sujet social inscrit dans une culture et un langage
qui le structurent (nous nous souvenons de l'hypothèse de Sapir et
Worf à ce sujet).
Mais
de quelle nature et de quelle culture parlons nous ?
Il
ne s'agit pas de prendre ici modèle sur une nature que l'on a
totalement interprétée, ni même de poursuivre dans une culture
construite par et pour des élites. Il s'agit, en mode bouddhiste, de
"faire" sans retenue et collectivement.
Je
renvoie à mon approche descriptive des alternants culturels*.
Il s'agit,
bien entendu, de faire ensemble (car on ne peut pas faire grand chose
tout seul), de réaliser en apprenant et en débattant. Toute cette
"procedure" s'entend en réseaux et en mode interactif.
Ainsi
le monde avance aujourd'hui en "marchand
par dessus"
(en passant outre) les organisations officielles. Il nous
faut revenir voir ce
qui se passe chez les "indiens Navajos", ou encore dans les
chefferies du centre ouest africains, voire chez les Yakis, les
bushmens en Namibie, ou les nénetts en Sibérie, etc... Ils
constituent autant de références.
A
propos de vivre ensemble et de co-construire, il est incontournable
de revenir à l'idée de la démocratie, quand le peuple décide de
son avenir, et de son "comment s'y prendre. "La démocratie,
écrivait Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à
Québec, est un marketing politique pour les pauvres". Comme
nombre de sociologues l'indiquent, elle n'est pas née en Grèce,
comme l'école classique et la littérature nous le répètent, mais
aux quatre coins du monde dans les lieux à civilisations orales.
Je
pense à celle, exemplaire, des Navajos et à un grand nombre
d'autres ethnies chez les amérindiens, au Ladack ou en Sibérie,
comme dans un grand nombre d'ethnies en Afrique, tels les Igbos, par
exemple, etc. Il s'agit de société sans propriétés privées où
les décisions sont prises dans le débat partagé.
Quand
on
aborde ce champ de la démocratie, on pose aussi la question du temps
et celle des usages, et aussi celle du travail. Pour qui
travaille-t-on ? Pour soi ou pour quelqu'un d'autre ? Comment se
régule cet échange ?
Quand
j'étais à l'école, contrairement à ce que j'ai pu voir ailleurs,
on ne nous a pas appris à voter, ou à élire des représentants. On
nous a appris à débattre, à s'écouter, à s'enrichir, à
co-construire nos représentations, comme autant de prémices pour,
ensuite, savoir s'engager et décider ensemble. C'était, c'est vrai,
une école exceptionnelle, animée par de vrais humanistes.
Si
l'on considère, maintenant, la conception de la démocratie décrite
par Francis Dupuis-Déri, bien des caractéristiques singulières
émergent. Dans le vivre ensemble de notre société post-moderne, il
nous faut prendre en compte "l'agora-frayeur" des élites,
assoiffées de pouvoir et de confiscation des bénéfices.
Corrélativement, et réciproquement, on va retrouver l'élite-bashing
des populations qui va jusqu'au rejet des systèmes, dont ils sont
les perdants, les victimes, voire les proies. Ceux-ci ne vont plus
voter et se replient sur les petites consommation télévisuelles, ou
autres alimentations par les réseaux sociaux.
Les
protagonistes
(et cela vaut pour les tenants de cet "ordre des choses" ou
pour leurs opposants ou détracteurs) prennent leurs références
dans l'ordre de la nature pour justifier ou défaire cette dite
structuration sociale. Certains évoquent un monde "normalement
violent, fait de proies et de prédateurs", quand les autres
invoquent le modèle d'un monde de complémentarité, de coopération,
d'harmonie et de biodiversité.
Ce
qui est certain, c'est que cette
invocation de la nature, quelle qu'elle soit, fait culture dans ces
groupes sociaux, au point d'en constituer un "sacré", un
évident indiscutable (justement parce qu'il est un sacré).
Toute la vision du monde et les actions conduites à partir de là,
relèvent de ce socle d'évidence.
La
nature ne serait donc qu'une relecture, un aperçu passé au filtre
des enjeux et des intérêts. On pourrait ajouter, si cette posture
était réellement consciente, que "la fin justifie les moyens".
Pourtant, ce n'est pas tout à fait le cas : il y a des phénomènes
de croyance qui s'installent et abolissent toute discussion, tout
débat, toute conversation.
La
confrontation quotidienne au "réel", en revanche,
fait bouger les lignes. Un
certain pragmatisme remet en cause certains chemins choisis et
éclaire nos lanternes. On réalise que "le monde" n'est
pas totalement comme cela et que quelque part, "Il y a une
partie de vous qui, dans le fond, a toujours connu la vérité",
comme le dit l'adage..
C'est
un peu comme s'il y avait une conscience plus profonde, plus
"réelle", ou comme si nous avions un lien direct avec...
la vérité de notre "nature".
Cette
phase relève plus de l'intuition que de la raison, mais l'on sait la
part de l'intuition dans les découvertes et l'évolution des
développements scientifiques.
Par
ailleurs, nous avons déjà développé précédemment l'idée que la
réalité ne s'impose pas à nous comme un fait, mais qu'elle est
bien une conscience que nous avons du monde. Il s'agit d'un
"construit" individuelle et social à la foi,
comme nous l'indiquait Paul Watzlawick.
En
effet, "Ce ne sont pas les choses que l'on voit, mais le sens
qu'on leur trouve". Lorsqu'on regarde "comment nous voyons
les choses", alors nous sommes plus près du réel. Sans ce
travail d'introspection, rien ne peut défaire la culture et la
coutume qui
fondent
notre regard.
Alors,
en guise de développement, je vous propose juste une petite
collection de sentences, de
phrases méditatives, issues soit de ce qu'on nomme le bon sens
commun, soit d'autres cultures ou même de réflexions singulière à
la marge de notre culture.
«
L'esprit est un bon serviteur mais un mauvais maître » (Védantique)
«
Nous voulons le bonheur sans la tristesse. Nous voulons le bien être
sans la douleur. Mais l'ombre existe avec la lumière. C'est le
contraste qui est. Pourquoi désirer l'un au détriment de l'autre ?
Ce à quoi l'on résiste existe alors davantage. Nous créons
intellectuellement la dualité dans laquelle quelque chose ne nous va
pas. C'est notre posture qui nous invite à l'une ou l'autre vision
du monde, sans étiquettes ni références »
«
Crier pour avoir le silence n'est que faire plus de ce que nous ne
voulons pas. Nous voulons être libres et nous élisons des
personnages qui nous soumettent. Nous voulons une vie meilleure
et nous consommons des choses faites par des esclaves. Si nous
faisons des esclaves, nous posons le fait que nous en serons aussi. »
(Le troubadour Tyo BAZZ)
«
Nous peinons pour trouver du sens à un monde où nous peinons pour
un avenir qui n'arrive jamais » (Albert CAMUS)
«
Le connais-toi toi-même a été remplacé par le désir de ressentir
les formes du monde extérieur. Depuis nous sommes perdus dans nos
propres frustrations » - « Nous cherchons moins le sens de la vie
que le sentiment d'être vivants ».
Sous
forme de conclusion, toujours provisoire, nous pouvons affirmer qu'il
n'y a donc pas de réalité absolue, il n'en est que de relatives.
Elles sont notre culture, notre vision. Notre compréhension de la
nature, n'est jamais que l'image de ce que notre culture lui indique,
et qui l'amène à s'y soumettre. Le réel nous est toujours
inaccessible. Peut être n'y en a-t-il pas... Mais de fait, culture
et nature ne s'opposent que dans nos discours et représentations.
Alors,
dans nos prospectives politiques et organisationnelles, Il nous
faudra accepter que nos représentations ne soient que des
déclinaisons de nos conceptions du monde, toujours culturelles.
Cette
approche vaut même si l'expérience et l'analyse viennent en
modifier le contour. Il y a des dogmes sociaux qui apparaissent et
disparaissent avec le temps, au fur des événements ou des modes qui
nous bousculent. Elles sont et restent liées aux orientations que
nous donnons à notre "vivre ensemble".
Ultime
retour sur cet exemple que j'ai pris plusieurs fois : il ne faudrait
pas que le féminisme et les discriminations de genre effacent
les autres discriminations sous prétexte que celle là est "de
notre sacré".
Dernier
exemple, les discriminations des laids, des moins-diplômés, des
gros, des trop petits ou des trop grands, des trop mal-voyants que
l'on nomme ordinairement des "bigleux", ou encore les
"têtes à claques", ne sont pas aperçues. Ces
discriminations sont quelque peu effacées du champs social,
occultées par la présence à forte légitimité d'autres qui
focalisent l'attention sociétale.
Il
ne s'agit donc pas de faire une sélection dans les discriminations
et d'en défendre ces seules victimes, mais de s'attaquer à toutes
les discriminations, les visibles comme les inaperçues. C'est la
raison pour laquelle on pourrait préconiser de ne pas s'attaquer à
une seule discrimination, déterminée en tant que telle, parce que
l'effet induit, et involontaire, serait d’effacer, ipso facto,
toutes les autres.
Plus
generalemenr, il ne s'agit pas non plus de considérer la
discrimination comme une méchanceté volontaire faite à certains
pour des raisons apparentes, mais de comprendre qu'il s'agit là de
réactions le plus souvent mécaniques ou émotionnelles, liées à
des représentations culturelles et personnelles, qui,
comme dans le mythe de la caverne de Platon, nous fait mal voir la
réalité du monde.
Il
s'agirait donc simplement d'humaniser davantage nos perceptions, en
s'attaquant notamment, à l'irrespect de la personne, quelle qu'elle
soit, sous toutes ses formes, sans catégorisation. Voilà le chemin
tracé : il nous reste à l'emprunter en toute connaissance de cause.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 30 juillet 2019
* Voir pour cela les deux articles suivants: Poste modernité et alternation culturelle : 1 - l'homo consommateur et à la suite : Post modernité et alternation culturelle : 2 - Le temps d'après
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