J'ai
l'habitude de continuer en privé des échanges autour de
mes publications, notamment avec l'un de mes frères, Alain, qui vit
depuis longtemps aux Etats Unis, en Pennsylvanie avec toute sa grande
famille. La richesse de nos échanges de fait me nourrit. Il y a
toujours un élargissement du propos vers de nouvelles
réalités... Alors, il y a quelques temps, à ce propos, je lui
proposais ceci : "C'est bien mieux que l’auberge
espagnole où l'on mange ce que l'on apporte, c'est la Nouvelle
Auberge, là où l'on partage tout ce que l'on apporte". A partir de là, l'idée
me vint alors que ce concept avait peut être le mérite d'être développé
et partagé. Il y a dans celui de l'auberge espagnole quelque chose
de l'usage personnel du bien d'un autre. L'aubergiste, qui, en l'espèce offre le gîte, tire un bénéfice de la vente complémentaire de vin et de
boissons chaudes. Mais, dans ces conditions, chacun ne mange que ce qu'il a et ça peut
parfois être un peu juste.
Mais,
il y a des champs où le partage est nourricier et nourrissant.
Il me semble que ces champs là sont bien nombreux et mal valorisés
comme s'ils étaient secondaire. Il est tout à fait vrai que ce
concept est totalement hors de la pratique de notre société
libérale, et pourtant... Je pense à toutes ces collaborations qui
font la nouvelle dynamique des "alternants culturels",
ceux-là même qui "fonctionnent" en réseau. Ces réseaux, justement, ou chacun
profite des talents de chacun, où la confrontation apporte plus de
richesse aux projets partagés, et co-construits.
Nous
nous souvenons de l'expression "faire commerce de ses idées".
Il ne s'agit pas là de les vendre ou de les mettre à l'étalage,
mais bien de les faire circuler et de voir comment elles
s'enrichissent des rencontres, des événements, du frottement avec
le réel et de la réalité des autres. C'est bien ce qui se passe
matériellement dans les "FabLab" et conceptuellement dans
les "think tank" (pourvu qu'ils ne soient pas à la solde
de quelques intérêts). Il y a là matière à l'augmentation
des richesses, des intelligences, et de la créativité...
Il
me revient une toute autre histoire où le principe de la Nouvelle
Auberge est totalement absent. Je félicitais, sur la toile, une
personne témoignant de prises de risque qu'elle avait faite dans un
souci de liberté et d'autonomie. Une autre personne me demandait
alors sur le même support de raconter un peu de ma vie. Je lui faisais
remarquer que le web était la rue et qu'on ne s'y racontait pas
impunément, et que d'ailleurs si on le faisait, ce n'était que pour deux raisons : soit pour défendre une cause, soit par orgueil.
La
personne insistait avec une bonne dose de provocation, à la limite de la vulgarité. Je compris alors
que cette dernière ne venait pas "partager" quelque chose
mais venait "consommer" l'autre et son histoire comme une
gourmandise. Quelque chose de l'ordre du voyeurisme semblait
l'occuper, la pousser. Je vivais alors la sensation d'être pour elle
un objet de consommation. un objet, donc, dont elle pensait pouvoir jouir à
satiété. Un peu comme si ce dont elle me pensait détenteur saurait la
rassasier. Elle me demandait de fait de me mettre en pâture.
Je
trouvais la posture gênante et indécente. Je pensais alors à ces
personnes qui se voient dans le regard et les comportements d'un
autre comme une proie, susceptible de générer, à la limite, de la concupiscence. Il y a donc là quelque chose
de l'ordre de la consommation mais assurément rien qui soit de l'ordre du partage.
Il
m'a semblé aussi voir là une "maladie" de notre civilisation :
la voracité et la consommation, quelque chose qui s'apparenterait à de la
dévoration. Ceci me renvoie à ces maladies actuelles que sont les
cancers, l'anorexie et l'obésité, toutes des pathologies de la
dévoration et que l'on peut considérer à l'aune de la distribution des rôles du triangle de
Karpman : la victime, le sauveur et le bourreau.
Alors,
si l'on pouvait faire un choix de société à ce stade là,
j'imagine bien que tout un chacun choisirait le principe de la
Nouvelle Auberge. Celle où chacun, justement, apporte ce qu'il a, mais plus que le mettre dans
le pot commun, il l'échange, le confronte ou le conforte au contact
d'apports de l'un ou l'autre. Il partage ainsi la jouissance d'un apport ainsi augmenté. Il se créera alors une véritable "valeur ajoutée".
Comme
dit le poète, "L'amitié croit dans le partage". Le
sage ne dit pas autre chose quand il affirme que "la connaissance augmente quand on la partage". Décidément, nos
biens partagés s'avèrent de véritables richesses, car ils sont
augmentés du rapport aux apports des autres.
Il me revient cette
historiette d'enfants à l'école lors de la seconde guerre mondiale.
Au moment du goûter, aucun n'avaient de quoi se satisfaire. L'un
avait un morceau de pain, un autre une tomate, un troisième une
cuillerée d'huile d'olive et le dernier une gousse d'ail et une
pincée de sel. Si chacun restait dans son coin, aucun d'eux ne pouvait se trouver satisfait. Mais ils ont partagé et mis en commun leurs
richesses et, à partir de là, firent quatre tartines de pain à l'ail et à la tomate,
comme on s'en régale dans le sud.
L'intelligence et le bon sens nous invitent donc à développer ce concept de la Nouvelle Auberge. Le futur de nos sociétés en dépend très certainement. Mais au delà de cela, sachons que la posture utilitariste nous est défavorable. Elle nous invite dans un "finalisme" qui polarise notre attention sur un gain, un résultat "à terme" et non sur le chemin du partage. C'est là, la première raison de l'échec. Il faut alors à nouveau penser à lâcher prise tout d'abord, et ensuite "pratiquer"... Le "bien" arrive de surcroît !
Jean-Marc SAURET
Le mardi 4 juin 2019
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