Il
m'est souvent arrivé d'être sollicité par des dirigeants
d'institutions, d'organisations et grandes entreprises, à propos de
l'innovation, de ses processus, trucs et astuces. Il est clair que, face à leur exigence de survie, ces dirigeants là souhaitaient en "faire leur miel" pour en faire "leur beurre"... Le souci est
que ce chemin là est impossible. Pourquoi ?
La
caractéristique d'une organisation est de pérenniser, de maintenir,
de rendre stable son projet et sa démarche pour y parvenir. On y
parle de stratégie, de plan d'action, de processus et de déroulés.
L'organisation tend à s'institutionnaliser, c'est à dire à se
stabiliser par le cadre (statut, conventions, règlements, etc.) et par la procédure. Rien de sa démarche n'est à même d'envisager la rupture, car l’innovation EST une rupture.
L'organisation n'est donc, par essence, pas innovante.
Mais
alors, comment innovent-elles ? En fait, elles n'innovent pas. Ce sont
ses acteurs qui le font et ils le font à titre individuel et
personnel. Quand, par exemple, un fils de patron crée un changement, voire
un chamboulement, c'est à titre personnel. Je pense à Ricardo Semler qui reprend dans les années 80 la société SEMCO
que lui lègue son père, parti autour du monde sur son bateau. Le
jeune Ricardo va tenter de mettre en oeuvre l'ensemble de ses idées organisationnelles. Elles
ne vont pas marcher du tout et il se confrontera a de très fortes résistances, aussi bien ouvertes que larvées. Il fera quatre infarctus durant cette période. Forcé par
son médecin de déléguer pour survivre, il découvrira les vertus
de cette manière de faire et il en fera alors sa règle de management. Dès lors, tout va vraiment fonctionner.
Cette
histoire illustre tous les principes du changement :
- C'est l'individu
qui innove, pas l'institution.
- On n'innove pas par décret mais par
pratique, par l'expérience.
- L'innovation ne tient à aucun
processus, idéologie, technique, mais à l'humanité et au
pragmatisme d'une personne qui s'engage.
-
L'innovation n'est pas rationnelle, elle "dépasse" et
emporte la personne qui la pose.
-
On ne résiste pas au changement mais à son management
Les
chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ont
constaté que plus de 90 pour cent des innovations viennent des
opérateurs de terrain, pas des dirigeants.
Nous
avons aussi remarqué que l'innovation provient d'un frottement entre un
mode de faire "institutionnalisé" et les insatisfactions des
praticiens. Le processus existant devient bientôt inadapté, il est jugé peu
efficace, voire obsolète. Alors, une personne transgresse la règle
et produit autrement.
La
première réaction est la condamnation du transgresseur, accompagnée de la critique de sa pratique et de la justification du processus
originel.
Puis
le nouveau mode de faire montre ses résultats. Dès lors, la
nouvelle pratique est donnée par les praticiens comme meilleure,
plus juste ou plus efficace. Alors les praticiens s'en emparent et la
mettent en oeuvre.
Ensuite,
la direction reconnaît la nouvelle pratique comme étant juste et
efficace et s'engage à la faire mettre en pratique par tous,
s'attribuant ainsi l'initiative de l'innovation. La direction reprend
ainsi le pouvoir et pérennise de cette façon l'institution...
C'est
ainsi que les choses se passent. Il m'est arrivé d'assister à un
séminaire de direction où les participants réfléchissaient à
initier quelques changement et innovations. Il ne se passait rien de nouveau,
juste quelques aménagements de l'existant. Il apparaissait alors
évident que les dirigeants ne souhaitaient pas "renverser la
table", mais développer du changement dans la continuité de
l'existant. De fait, rien ne sortait du séminaire qui s'est clos par
une pale et mièvre allocution du dirigeant principal pour dire que
l'entreprise continuait d'avancer...
A
ce stade de notre publication, il ne manque, me semble-t-il, qu'un
point saillant : il n'y a pas d'innovation sans transgression, comme
le commentait Michel
Munzenhuter, directeur général de SEW Usocome France, une
entreprise dite libérée : "L'innovation
est une désobéissance qui a réussi".
"Voilà
trois millions d'années, déclarait Pascal Picq, éthnoantropologue,
que l'être humain innove et progresse sans stratégie, sans
organisation, juste parce qu'il a envie de vivre". L'innovation
est ainsi un processus pragmatique en contact direct avec les
réalités de terrain, environnementales.
Alors,
si l'on regarde notre société actuelle, que constatons nous ?
...Qu'elle est institutionnalisée, et que le mode de gouvernance est
inscrit de manière "indérogatable". Tout cela par le fait d'une réalisation
qui a institutionnalisé son action, sa finalité, sa vie, et ceci jusqu'à ses modes de contrôle et de changement.
Elle ne peut donc pas se réformer, juste s'amender à la marge. C'est ce que nous constatons face à l'événement des Gilets
Jaunes.
Soit
nous voulons sortir de la "crise*", en souhaitant donc revenir en arrière,
dans le mode de fonctionnement précédent, huilé, structuré,
organisé, "stable"... ou alors nous souhaitons dépasser les blocages et
résoudre les dysfonctionnements. Dès lors il ne s'agit plus d'une crise mais d'une mutation, d'un changement. Pour cela, il nous faut transgresser ou
regarder avec considération la transgression de ceux, ces "quelques-uns", qui
montrent que ça peut marcher autrement.
Voilà
pourquoi nous devrons revoir la constitution et repenser un peuple
constituant, cher à Etienne Chouard. En d'autres termes, penser un RIC, et ainsi expérimenter
une nouvelle démocratie réelle, etc. Voilà pourquoi les tenants
(bénéficiaires ou profiteurs) de l'ancien monde ne peuvent même pas concevoir
l'hypothèse de ces changements. Ils sont les garants de
l'institution.
Alors,
si nous voulons un monde meilleur, il nous faudra transgresser et
montrer par l'exemple que ça marche. Et même si nombre d'exemples
historiques, comme lors de la guerre d’Espagne ou à l'occasion d'autres conflits qui nous
ont précédés,... le combat n'est donc pas fini. Il ne fait que
commencer.
* Une crise est un moment paroxystique de dysfonctionnement, du à des causes endogènes ou exogènes qu'il conviendra de traiter pour revenir au mode normal, c'est à dire initial. Le terme vient du monde médical et l'on pense à la crise d'asthme, celle d'épilepsie et autres.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 28 mai 2019
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