Les gens sont dans la rue tous les week-ends depuis des mois. Sur cela, mon propos sera ici de "faire ressentir" plus que de démontrer une réalité et quelques éléments majeurs. Je m'adresse donc davantage à nos intelligences émotionnelles et symboliques. Alors, aujourd'hui, le ton va être direct, voire cru, de manière à mieux donner à ressentir ce que les gens, victimes de ce système, vivent. C'est peut être vous même. Ce propos n'est pas seulement le mien. Il est aussi celui du sociologue américain Noam Chomski dans son "Requiem for the American Dream" (et de bien d'autres auteurs encore). Je partage cette analyse sur l'évolution des gouvernements libéraux et de leurs politiques qui se trouvent parfois porter contre leurs propres peuples. J'ai donc posé mon regard de cette manière sur nous-même. Encore pardon pour le ton. Mais vous me direz...
Alors
revenons à cet Etat français actuel et à son gouvernement. Par sa police, il
éborgne, il arrache des mains, il tue. Les "gens de main"
de ce gouvernement tabassent, trichent, brassent des millions sales,
sans jamais être inquiétés. Et les dirigeants se plaignent. "Je
ne veux pas entendre les mots de violences policières. Ça n'existe
pas !" déclarait le président lors d'une de ses longues
conférences qu'il nommait "grand débat".
Pourquoi
une telle attitude si noire, obscure et quasi cléricale ? Parce que
la religion libérale de la croissance, profitable à son seul
clergé, nous embarque dans une nouvelle catholicité avec ses
anathèmes, ses excommunications et son inquisition*. Ses
bannissements cadenassent les médias où se déroulent les
liturgies à la gloire du Saint Profit, du "dieu Fric", selon l'expression d'Alex Zanotelli.
"Hors du libéralisme, point
de salut !" nous dit le dogme. Voilà pourquoi les réactions sont totalitaires. C'est
l'obscurantisme de la foi dans les dogmes libéraux qui excommunie et
condamne non seulement ceux qui critiquent et s'opposent, mais
aussi ceux qui doutent. Ainsi, les tenants du Frexit sont forcément
d'extrême droite, et le prochain combat européen doit forcément voir
l'affrontement du bien libéral contre le mal de l'extrême. Tout le reste n'existe pas...
Les médias "mainstream" ne diffusent d'information qu'en
faveur, ou "en publicitaires", du pouvoir en place, de ses forces, de ses saints prêtres et
représentants. Les réseaux sociaux, véhicules de l'axe du mal, et quelques médias indépendants "protestants" sur la toile, diffusent des vidéos prises lors des manifestations
et autres événements relayés par des journalistes indépendants. Ces médias
là parlent, et parlent fort même. Les faits sont têtus et ils
sont affichés.
Pendant
ce temps, le gouvernement les nie parce qu’apocryphes, les déforme
même et leur fait des procès en sorcellerie**.
Les supporters font la génuflexion et se signent. Les
médias relaient
le discours canonique et officiel, parce qu'ils sont ces
"sanctuaires", propriétés des plus riches qui ont mis à
la présidence ce
prélat (qui a fait les saintes études, quoi qu'avec grande
difficultés) à coup de millions d'euros aux origines
incertaines. Mais voilà, "les
premiers de cordée, ce ne sont pas ceux qui traînent les autres,
mais ce sont ceux qui les écrasent pour s’élever", nous dit
Serge Latouche ***.
Les
personnes qui dénoncent ces pratiques, des énarques "apostats", des syndicalistes
policiers, des journalistes indépendants, sont victimes de l'inquisition : Ils sont fouillés dans leur passé, accusés de détails mineurs transformés en "symptômes" d’incompétence, de mauvaise personne, extrême droitière, xénophobe, pédophile, antisémite, homophobe, etc. Ces "péchés" sont transformés en "affaires". Certains de ces "hérétiques" sont ainsi traînés dans la boue, salis, moqués, mis au pilori. Pendant ce temps, dans la rue, des manifestants sont fouillés jusqu'à l'intime, arrêtés et condamnés en
comparution immédiates sans qu'eux-même ne sachent de quoi on les accuse. Je repense à "la colonie pénitentiaire" de Franz Kafka (1914) où les accusés, couchés sur la machine à torturer, se voyaient gravé dans leur chair le motif de leur délit et ne le comprenaient qu'au moment où la machine les embrochait définitivement.
Ici, ils sont enfermé sans boire ni manger, dans des conditions d'hygiène déplorables, sans contact avec personne ou un quelconque avocat, lequel, s'il est commis d'office, ne peut avoir accès à eux. On dirait qu'ils ont perdu leur statut d'humains. Pendant ce temps, aucun des saints-responsables des mains
arrachées, des yeux crevés, de crânes fracturés, de la mort d'une vieille dame à sa
fenêtre, n'est jugé... car ils sont là pour servir le bien. Aucune affaire confiéee à l'IGPN n'aboutit, voire n'est même pas ouverte. Il est impossible pour les victimes de porter plainte. La plainte est miraculeusement irrecevable, ou bien il est trop tard, ou ce n'est pas le bon endroit, etc.
Jusqu'à
quand accepterons nous ce comportement "clérical", voire sectaire, que nous aurions condamné, il
y a vingt ans, comme fasciste et totalitaire ? Nous sommes comme ces
grenouilles que l'on met dans une casserole d'eau et la casserole
sur le feu. La température d'eau monte lentement, jusqu'à ce que
les grenouilles cuisent sans qu'aucune ne se soit sauvée...
Oui,
nous sommes dans un chaos et nombreux sont ceux qui se demandent si
nous allons pouvoir nous en sortir. Le chemin est si étroit, les
violences et les vents contraires si forts, que rien ne laisse présager
de jours meilleurs à venir.
Seulement
voilà, c'est souvent du chaos que naît le progrès. C'est effectivement le cas en matière de thermodynamique. En sociologie, on constate qu'aucune
guerre n'a mené vers un monde meilleur. Mais on sait les révolutions avoir laissé "la trace de possibles" que les temps qui ont suivi
on mis à profit. Je pense à l'après commune de Paris, ainsi qu'aux
temps qui ont suivi mai 68.
Ces
temps ont émergé. Ils ont été mis à profit parce que les temps de
chaos ont semé des éléments prometteurs. Ainsi, aujourd'hui, sur les ronds
points, depuis plusieurs mois, lesdits "Gilets Jaunes"
expérimentent la solidarité et l'amitié, le respect réciproque,
ce brin d'humanité auquel tant d'entre eux (et d'entre nous) aspirent et auquel ils
s'adonnent. Ils expérimentent ce monde qu'ils espèrent et dont ils
sont privés. Non seulement ce monde là laisse des traces
indélébiles, mais les chemins pour y parvenir se montrent clairement et se révèlent faciles dans l'adversité.
Près
du rond point de Saint Witz (95), des gens ont incendié la cabane
des gilets jaunes. C’était, selon eux-même, un lieu de
fraternité, de rencontres et de partages. Qui cela pouvait-il bien
gêner ? Elle était sur un terrain privé prêté par un
sympathisant du mouvement. Ils ont promis de la reconstruire car l'amitié et la
fraternité ne peut pas céder, ni mourir.
Mais
le matraquage médiatique sur des angles de vue mensongers (je pense à
l'événement de la Pitié-Salpêtrière), l'occultation
d'informations (comme la "chauffardise" du chauffeur de Macron), l'affichage d'une justice à deux vitesses (les comparutions immédiates de gilets jaunes, les gardes a vue abusives, l'absence de
traitement des cas de violences policières pourtant dénoncées par les institutions internationales, le refus de dépôt de plaintes devenus habituels dans les commissariats voire réprimés, etc.) créent un climat de colère et de désespoir, et pour certains, une accoutumance à ce totalitarisme.
L'habitude d'être les perdants du système, font se taire nombre de
personnes. Pour autant, le feu couve et ne s'éteint pas...
L'état le sait et on le voit développer une politique de terreur. Les
menaces de répressions radicales et fausses annonces de violences de
circonstances par les responsables gouvernementaux, et autres ministres, renforcent chez les victimes ce
sentiment d'être des perdants chroniques. Pour ceux-là, le risque est fort
de voir apparaître le syndrome de la grenouille dans l'eau chaude. On
s'habitue à faire le dos rond, mais on ne s’habitue pas à
l'injustice. On ne s'habitue pas à la violence. On les supporte...
un temps seulement.
Et
puis, vient le temps du surgissement, et là, le
basculement devient irrépressible. On appelle ça "la révolution". Dès lors, les combattants ont pris le
chemin de leur propre salut. Comme le disait Louise Michel à propos
de la commune de Paris : "Cinq minutes avant, cela paraissait
totalement improbable. Cinq minutes après, cela paraissait
totalement évident." Ainsi vont les choses...
* Voir
: "Comment
réenchanter le monde - La décroissance et le sacré", Serge
Latouche, Rivages, 2019. .
** Voir
: "Les
liturgies politiques", Claude
Rivière, PUF, Paris 1992.
*** Voir
: "l'Invention
de l'économie", Serge
Latouche, Albin Michel, Paris 2005
Jean-Marc SAURET
Le mardi 14 mai 2019
Lire aussi : "L'échec et le chaos comme source de progrès"
Voir aussi cette vidéo d'entretien entre les journalistes (cinéaste et auteurs) Denis Robert et Antoine Peillon qui se termine par ces mots "Nous voyons émerger une humanité nouvelle"...et Antoine Peillon d'ajouter "Maintenant, nous sommes dans la lumière et nous essayons de porter la flamme d'une chandelle". A suivre !
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