De
nombreuses personnes, sous le costume des gilets jaunes, ont vécu
plus de six mois régulièrement sur les ronds points et autres lieux
neutres et collectifs. Ils y ont expérimenté le partage, la
solidarité, la bienveillance, la générosité, l'émulation
politique et intellectuelle, la sensation enfin d'exister, le bonheur
d'être là parmi les gens qui peu à peu sont devenus des amis.
Nombre d'entre eux découvraient cette possibilité nouvelle
d'exister ensemble, dans la tolérance mutuelle, le débat
démocratique, un lien social fait de paix, de respect de tous et de
chacun, dans l'idée de vivre autrement un monde meilleur que celui
qui nous est proposé, imposé, voire dans lequel nous nous sentons
enfermés. Ils y ont alors eu la sensation qu'un monde "autrement"
était possible. Ils ont la conviction de l'avoir vécu... et ils voudraient qu'il perdure.
Certains,
et c'est logique, se sont attaché au lieu devenu symbolique : la
cabane du rond point. C'est là qu'ils ont vécu cette réelle
démocratie. Ils y tiennent. Leurs détracteurs les y ont
bousculés, maltraités, ont parfois brûlé et saccagé la
cabane "du monde nouveau", comme si cela pouvait arrêter le
mouvement. Rien de tout cela : les "indigènes" ont
reconstruit le "temple".
Mais
ils se doutent (et ont compris peut être) que le "temple" est ailleurs, dans le
cœur et la vie de ceux qui le portent. La société du temps
d'après est en germe. Aucun d'entre eux ne souhaite revenir à ce
monde "ancien", inégalitaire, violent, destructeur,
menteur et confiscatoire (cf. Noam Chomsky).
Eh
bien continuons à faire vivre ce monde du temps d'après. Que
faut-il pour cela ? Du lien social et des outils de structuration, de
matérialisation de ce nouveau lien social. Nous savons que chaque société vit sur
des valeurs et sur l'échange. Chacune a ses mythes fondateurs et ses
mythes structurants. Alors, il nous suffit de regarder autour de nous :
presque tout est là ! Deux ou trois accordages, un outil et ce
monde là peut rouler... De quoi s'agit-il ?
Le
lien social expérimenté sur les ronds points s'est construit en
contre de ce monde néolibéral, inégalitaire, violent et confiscatoire des biens
et des valeurs des personnes. Le mépris des plus modestes en constitue comme une des règle. Ils ont manifesté contre ce monde-là au prix de leurs mains, de leurs yeux, de leurs crânes. Voilà un premier mythe fondateur.
Et
donc, qu'ont fait les gens sur les "ronds points" ? Ils se
sont reconnus, se sont respectés, ils ont partagé les biens et les
idées, quelques tartes et quiches avec quelques bières et
bouteilles d'eau pétillantes ou pas... Et puis un peu de fromage et beaucoup
de pain qu'ils ont partagé et rompu ensemble, entre copains... Ils
ont débattu, ont confronté les points de vue, les solutions, les
possibles... Ils
savaient qu'ils étaient intelligents et là, ils l'ont vécu
concrètement, ils se sont reconnus comme tels. Voilà
un second mythe fondateur.
C'est ainsi que cette société du temps d'après se fonde sur l'humanisme, la
sincérité et l'engagement. Cela me fait penser à ces sociétés
libertaires nées au cœur de révolutions. Ce fut notamment le cas au cours de la
guerre d’Espagne en trente-six. Elles ont toutes été écrasées
dans une violence extrême. Pourquoi ? Parce qu'elles se sont construites en
contre total de ce monde féodal qui les opprimait. Alors ici, la
construction se fait à petit pas, juste à côté de ce monde féodal (au demeurant complexe),
sans s'y attaquer, mais en le vidant de son sang, de ce qui le fait
vivre : son peuple.
Voilà donc les valeurs du lien social, et tout est là. En termes de stratégie et de
mythe fondateur, nous venons justement de les poser : le peuple quitte le
royaume. Ils sont tous , ensemble, rassemblés,dans la forêt de Sherwood.
Mais
où trouver des territoires vierges, des forêts de Sherwood hors de cette société, hors du
système ? Il n'est point besoin, en l'espèce, que ces lieux soient réels... En revanche, ils doivent être considérés comme tels par "l'autre", ces"Autres", c'est à dire les tenants de
"l'ancien régime". Ceux qui considèrent qu'il y a trop de
zones de "non droit". Ces lieux "privilégiés" où leur loi et leur police ne
rentrent pas... Eh bien ce sera là chez nous, et tous nos chez nous
prendront la forme de ce "non droit".
Mais
comment y vivre, penserez vous ? Par nos échanges ! Lesquels seront
régis dans notre monnaie : le "Gilet", par exemple (ça a du sens). Aucune banque
ne le produira ni ne le garantira car notre valeur constitutive est bien la
reconnaissance et la générosité. Dans ces conditions, que ces valeurs soient le
fondement de notre monnaie, et de son processus d'émission. Si aucune banque n'émettra les "Gilets", alors qui
le fera ? Eh bien ce seront les gens par leurs actes de générosité.
Quiconque reçoit quelque chose de la part d'un autre "membre"
reconnu du cercle des proches, attribuera quelques "Gilets"
à celui-ci.
Nous
venons de poser deux principes. Le premier est que sont membres
actifs du processus les membres reconnus par le cercle porteur des
valeurs (l'humanisme, la sincérité et l'engagement, et ce peut
être construit autrement). De fait, il faut être adoubé par le groupe pour
en être. Le processus nécessite de la confiance, donc
parfois un peu de temps. Le second principe est que ce sont les
gens eux même qui "fabriquent" la monnaie dans une
interaction de générosité. Le "Gilet" n'est pas créé
par une seule personne mais par l'interaction entre au moins deux
personnes dans un cercle porteur des valeurs.
L'argent
ne vient plus des banques, qui ne disposent d'ailleurs d'aucune garantie sur leur
monnaie. Elles en produisent à volonté, créant ainsi de la
dette (c'est le principe même de la création de monnaie dans l'abandon des références, de garantie comme la parité or). Dans le nouveau système l'argent née de l'interaction, directement. Ce n'est pas l'argent qui
permet les échanges mais les échanges qui permettent la
monnaie.
Mais
comment se matérialise cette nouvelle monnaie ? Hé bien, c'est une cryptomonnaie, tout simplement. Elle en prend
toutes les caractéristiques. Ici, sur ces derniers points, nous avons besoin de la réflexion
des économistes atterrés, de l'apport pratique des Philippe
Askenazy, Thomas Coutrot, André Orléan, Henri Sterdyniak et autres
Nathalie Coutinet, Thomas Porcher, Mireille Bruyère et Ali Douai
(je ne les connais pas tous...), voire Gaël Giraud. Leur bienveillance et leur
technicité seront très utiles.
Ainsi,
sans aller plus loin maintenant, voici les bases d'un monde meilleur
posées, juste pour dire que c'est possible, qu'il suffit d'y penser... Tout cela afin de ne pas reproduire ce qui a perdu les société libertaires du
passé, et créer enfin ce monde du temps d'après.
D'accord,
je l'ai rêvé, mais ils l'ont fait. Mieux encore : nous l'avons rêvé et
nous l'avons fait pour les gens et par les gens. Je crois que c'est
là la définition de l'humanisme...
Jean-Marc SAURET
Le mardi 21 mai 2019
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