Pour
diriger nos actions et nos vies, nous avons plutôt l'habitude, je
crois, de suivre des préceptes ou des principes qui nous semblent
fondateurs d'une réelle efficacité. A partir de là, bien des voies
divergent. Soit ce sont parfois des règles de pouvoir et de
puissance (comment
les acquérir) qui
dominent, soit ce sont aussi des voies de sagesse qui nous aident à
mieux comprendre ce qu'il se passe et comment y bien évoluer. Mais
c'est en fait plus complexe que cela et la question est de
savoir comment on s'y prend. Chacun
ne serait-il pas d’ailleurs à la recherche d’un “mode
d’emploi” ?
J'oserai
dire qu'il y a la voie de l'ordre et celle de la sagesse.
Certains prétendent qu'il existe une voie de
l'autorité, qui fait face, justement, à celle de
l'intelligence. D'autres avancent qu'il y a l'ordre d'un
côté et l'improvisation de l'autre. Plus subtilement,
quelques-uns notent qu'il y a la voie de la vérité et
celle de l'indication, du “signe”, ou de la
contribution. D'autres encore séparent le mode de
l'imposition et celui de la concertation. C'est ce que je
voudrais regarder aujourd'hui et que nous pourrions situer comme
une opposition du dogme et de l'aphorisme. De quoi s'agit-il ?
Pour
diriger nos actes et faire nos choix, nous oscillons
entre des références de toutes natures. Il y a celles qui
nous viennent de notre culture, et de la socialisation
dont nous avons profité. On rencontre par ailleurs celles qui
sont issues de nos expériences, et de notre histoire
de vie. Prenons un exemple. La pratique sportive peut constituer un
champ commun, sur lequel nous serons peut être nombreux à
nous retrouver. Quand j'étais adolescent, je pratiquais avec bonheur
et succès des courses dites "de fond" et que nous
appelions aussi du "cross country". Nous courrions sur un
circuit dessiné dans la nature, souvent une campagne sauvage entre
bois et jachères. La nature m'avait doté des compétences
requises pour exceller. J'y prenais beaucoup de plaisir.
Imaginez
donc une pratique où vous profitez des mêmes conditions. Dans ces
courses, il y avait effectivement deux choses qui me dirigeaient. La
première, - et tout un chacun s'y reconnaîtra -,
consistait à user de principes et de préceptes logiques, érigés
en "règles pour bien faire". Par exemple, l'une d'elle
était de "Ne pas pas tout donner dès le début.
Doser son effort". Et j'en faisais une recommandation pratique.
Je partais toujours à mon train, comme l'on dit, sans me
mettre martel en tête, sachant que la course était longue. Nous
avions plusieurs autres principes de ce type qui consistaient,
par exemple, à se mettre dans la foulée du coureur de tête pour
qu'il nous "aspire".
Et,
dans chaque foulée, dans chaque portion de parcours, dans chaque
situation, s'invitaient toutes les situations que j'avais vécues. On
appelle cela "l'expérience"... Il me souvenait toujours,
en montant un pente, suivi ou accompagné d'autres coureurs, de
revivre instinctivement des situations anciennes où je m'étais fait
piéger par la ruse de l'un ou de l'autre. C’est ainsi que
j'en compris les ficelles, afin d’en user à mon
tour, avec un certain succès, selon les cas de figures,
en analysant les conditions plus ou moins favorables.
Rien de tout ceci ne me venait à l'esprit sous la forme d'un
raisonnement structuré, mais plutôt comme une “présence”,
mâtinée d’intuition.
Il
y avait dans cette pente que nous montions toutes les autres
situations déjà vécues qui se côtoyaient et se comparaient...
Certaines s'éliminaient d'elles mêmes, trop différentes de la
situation présente. D’autres en revanche semblaient
s’imposer, comme dans un "Rappelle-toi..."
informel. Arrivé ainsi en haut de la butte, alors
que l'effort avait été rude et que tous avaient
tendance à se relâcher naturellement, j'accélérais, soudain,
porté par "l'expérience" des situations passées. Cela me
permettait, souvent, de laisser sur place mes adversaires, et
la plupart du temps avec un écart définitif.
Ainsi,
il y a ces règles rationnelles que nous avons acquises. Elles
constituent des règles, et s'imposent comme des dogmes dans la
situation ainsi décrite. Et puis, il y a ces sensations issues
de l'expérience, ces bribes de vécus qui interviennent
comme des alternatives, des opportunités, des trucs et astuces. Ces
derniers sont-ils transmissible ? Oui, bien évidemment. Et comment
nous les "passons" nous ? Cela s’opère le plus
simplement du monde, sous la forme de conseils pratiques et
imagés, comme "En haut de la butte, tu t’envoles !".
En
d’autres termes, on pourrait dire que "La butte est un
tremplin". Voilà bien une sorte d'aphorisme qui
nous dit tout en quelques mots. Connaissant la genèse,
nous“savions” décrypter le symbole et son sens, tout
comme la réalité qu'il portait.
De
cette façon, même si nous ne l'avions pas vécue nous
même, nous étions en capacité de nous
approprier l'expérience. L’histoire devenait notre
"fable" et l'aphorisme la "morale". Mais le dogme
n'est pas le réel, ni même son reflet, à peine une interprétation
de son aperçu. Comme l'écrivait Kant : "l'entendement ne puise
pas ses lois dans la nature, mais les lui prescrit",... et
rien d'autre. Les lois, les dogmes, ne sont pas dans la nature mais
dans notre regard qui tient à le “lire”. Il faut un sujet
pour voir le monde afin que celui-ci "existe". Si le sujet
s'en va, le monde disparaît. C'était le cœur de propos de
Schopenhauer. Par ailleurs, notre nature a besoin d'un
monde prédictible, stable, permanent, comme le montrait Serge
Moscovici. Le dogme constitue et comporte une
incertitude, un aléatoire, voire un mensonge, même (et
surtout) s’il s’avère bien pratique.
En tant
que tel, personne ne nous en démontrera le contraire.
Le monde sera "vrai" selon "ça",... et
ce "ça" présente l'avantage d'offrir un
socle, un précédent pour penser sa propre expérience. En dehors de
ce “fondamental”, et en son absence, il n'y aurait pas
d'élément de comparaison. Rien, dans ces conditions ne
pourrait s'ancrer, se fixer dans notre connaissance
personnelle, et dans notre réalité.
Ainsi,
dogmes et aphorismes s’apparentent aux deux indicateurs
de la connaissance, ceux dont nous pouvons user dans la conduite
de nos actions et de nos vies. Les premiers deviennent
“règles”, quant aux seconds, ils se vivent comme
des expériences pratiques. Ils s’invitent au même titre que
nos propres vécus, en les complétant, et en les
amendant.
Il ne
s'agit donc pas de faire un choix entre dogmes et
aphorismes, mais d'accueillir les deux parce qu'utiles. C’est bien
ce que nous faisons pour provoquer chez autrui d'autres types
décisions. Nous usons d'arguments et, souvent, (hélas), nous
privilégions les arguments rationnels (à l'instar des dogmes).
Certes nous en avons besoin pour choisir une
option, mais nous risquons de négliger, ainsi, les
arguments émotionnels et symboliques (nos aphorisme qui renvoient au
vécu). Ce sont pourtant bien eux qui font les passages à
l'acte et à la décision. C’est à ce moment critique, et
déterminant, qu’ils risquent de nous manquer.
Chacun
dans la conduite de ses actions et de sa vie, comme dans l'invitation
à participer, use (et abuse) efficacement des dogmes et
des aphorismes. Ils constituent autant de règles rationnelles
conductrices, associées à autant de vécus et de compte-rendus
émotionnels. C'est ainsi que nous avançons. Alors ? Bonne vie
à chacune et à chacun, car la route est longue !
Jean-Marc SAURET
Le mardi 30 avril 2019
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