Le
psychiatre Christophe André, celui qui introduisit la méditation de
pleine conscience dans le traitement du stress, de la dépression et
de ses récidives, posa récemment cette question de fond : "Qu'en
est-il des personnes dites hypersensibles dans notre société
hyposensible ? Comment s'en débrouillent-elles ?".
Il
posait là la question de l'opposition entre ces deux stratégies de
gestion du réel, de ce monde environnant, mais il posait aussi la
question de la normalité. Est-ce la société hyposensible ou les
comportements hypersensibles qui sont normaux et /ou majoritaires. Le
nombre fait-il la normalité ? Y-a-t-il quelque chose de "génétique",
d'inné, de fondamental ou de "sacré" dans l'une ou
l'autre posture ?
Selon
lui, l'hypersensibilité ne serait que la réponse ordinaire et
salutaire à une exigence sociétale d'hyposensiblité.
Je
vais donc tenter de le suivre sur ce chemin, tout en partant de
l'analyse factuelle de l'une et de l'autre posture. Nous verrons
ensuite ce que cela donne...
Ce
qui semble vrai a priori, c’est que
hypersensiblilié et hyposensibilité restent une question de
posture. Elles s’avèrent donc directement liées à la manière
dont je conçois le monde. En d’autres termes : comment je me situe
dans ledit monde. Ainsi les hypersensibles se sentiront "normaux"
et traiteront les "hypo" de brutes cruelles infâmes, ou
sans cœur. Dans la même logique, et pour “eux”, la finalité
n'est jamais que dans le rendement et les bénéfices...
A
l'opposé les "hypo" se sentiront
dans la normalité et accuseront les "hyper" d'êtres des
“chochottes” qui se regardent “le nombril du cœur”, et qui
se “lèchent les joues”, avant de passer à l'action. Ce sont
pour eux des mous, qui font perdre du temps.
De ce point de vue, nous concevrons que tous les deux puissent avoir raison, chacun disposant de son point de vue sur la réalité du monde. Et c'est bien ce phénomène qui est en cause.
De ce point de vue, nous concevrons que tous les deux puissent avoir raison, chacun disposant de son point de vue sur la réalité du monde. Et c'est bien ce phénomène qui est en cause.
Il
n'y a pas de réalité, sinon la vision
que chacune et chacun a du monde, et de soi
dans ce monde. C'est bien là une des clés de cet affrontement. Les
critères de la normalité sont véritablement aujourd'hui
individualisés. Chacun semble posséder le critérium du “jugement
de paix”, et semble donc pouvoir, à lui seul, discriminer et
adouber de vérité “qui et quoi que ce soit”.
Voilà
où en est le nouveau monde aujourd'hui. Ce monde inventé par
l'ultra-consommation et que nous appelons "post-moderne",
individualise les parcours, les projets de vie, les solutions aux
problématiques dans le monde, comprenant les personnes aussi, leurs
vécu leur réalité, leurs visions, leurs jugements...
Pendant
ce temps là, les victimes de ce système post-moderne se réveillent,
acculées à survivre, en tentant de sauver leur peau. Elles
comprennent vite que seules, elles n'ont aucune chance. Il leur faut
donc s'associer pour faire, pour agir et réagir. C’est ce qui est
en train de se passer,... et le monde politique qui vit de la
post-modernité ultra-consommatrice, hédoniste à outrance, commence
à trembler pour ses avoirs et son pouvoir. C'est normal, c'est
juste, et c'est bien leur disparition, leur renversement qui leur
pend au nez. Ces gens ont peur de ce peuple là et pratique le
"citoyen-bashing",
traitant les gens d'imbéciles, d'analphabetes, de piètres QI,
etc...
Alors
cette oligarchie maltraite les vivants, crée des normes hors
lesquelles il n'y a pas de salut, où il n'y a que de la déviance,
de l’imbécillité. Et ils le clament haut et fort. Voilà la com'
du parti !
Oui,
cette société post-moderne est bien celle de
l'insensibilité, du mensonge et du superficiel. Elle nous indique
que seul le résultat compte et qu'il s'obtient individuellement,
comme dans une compétition sportive de même nom.
Chacun
serait donc en compétition avec tous. Seule la victoire compte.
Imaginez les solutions que d’aucuns vont trouver pour gagner. La
tricherie, l'escroquerie, l'influence seront
convoquées à tous les étages. C'est d'ailleurs ce qui perle des
activités sportives aujourd’hui. Et les médias ont bien du mal à
le masquer. C’est d’autant plus vrai qu’il se montrent
gourmands à les étaler dans leurs supports. Oui, là aussi, la
compétition, ses caractéristiques et ses "valeurs" sont
là.
Et
en face, tout un chacun a sa sensibilité, ses émotions, celles par
lesquelles chacun fait ses choix et ses jugement. Ce sont ceux que
l'on dit justement affectifs.
Oui,
les gens se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls à vivre la
misère et les difficultés, les régressions. Ils se rendent compte,
dans les échanges et les partages, que ce qu'ils font
n'est pas si idiot ni coupable que ça. Ils se rendent compte qu'à
plusieurs, en réseaux, on y arrive mieux, et qu'ensemble c'est plus
simple parce qu'on est plus fort.
Ainsi
surgissent les gilets jaunes qui font si peur aux dépositaires et
bénéficiaires du système,... je dirais même du régime. C'est
aussi, à mon grand bonheur, ce que découvraient immédiatement tous
les participants à chacun de mes cours de management. Oui, le
régime, ce système né de la surproduction, vivant de la
surconsommation, érige des dogmes qu'il serait incorrect de ne pas
mettre en ligne de mire.
Je
pense, en l’espèce, aux concepts de
croissance, de compétition, de marchés, de concurrence, de
richesse... On en tire des marqueurs agités comme des repères : les
indices boursiers, les taux de croissances, les statistiques de
l'insee, etc... Les personnes, individualisées, entrent en
compétition entre elles pour le plus grand bénéfice des plus
riches. Je me trompe ?
Alors,
mardi prochain nous développerons les quelques dix critères liés à
l'installation d'un système économique totalitaire. Ce sont lesdits
critères analysés par les économistes et sociologues, qu’ils
soutiennent ou combattent le "projet"
.
Mais,
en attendant mardi prochain, regardons pour l'instant l'écart qu'il
y a entre le fonctionnement hyposensible de ce système et celui des
gens que l'on décrit, par opposition et en creux, comme
hypersensibles.
Tout
d'abord, le nombre fait-il la normalité ? Ce ne sont pas ceux qui
édictent les normes qui peuvent en juger, car ils le font pour
servir leur propre intérêt.
Il se trouve que l'humain est ce qu'il est… Malgré son énorme capacité d'adaptation, sa chair est sa chair, ses sensations sont ses sensations, l’angoisse, l'amour et la peur l'occupent et le préoccupent. C'est bêtement ça être humain : avoir de l'émotion (et pas de l’ambition), de l'émerveillement (et pas de la cupidité), un besoin de partage et du désir de vivre ensemble ( et pas l'égocentrisme du chacun pour soi). Il s'agit aussi de la foi en l'autre et dans le monde (et pas la suspicion que seule la check-list calmerait)...
Il se trouve que l'humain est ce qu'il est… Malgré son énorme capacité d'adaptation, sa chair est sa chair, ses sensations sont ses sensations, l’angoisse, l'amour et la peur l'occupent et le préoccupent. C'est bêtement ça être humain : avoir de l'émotion (et pas de l’ambition), de l'émerveillement (et pas de la cupidité), un besoin de partage et du désir de vivre ensemble ( et pas l'égocentrisme du chacun pour soi). Il s'agit aussi de la foi en l'autre et dans le monde (et pas la suspicion que seule la check-list calmerait)...
Oui,
l'être humain est de ce fait là, conduit par
les sens, que ce soit la vue, l’ouïe, l'odorat, le toucher ou le
goût. Oui, l'être humain est doué de sensibilité, cette qualité
qui fait qu'il vit, parcourt ses chemins, prend du plaisir ou
connait le bonheur. Le manque et la frustration, sur lesquels parie
le commerce, s'il les accueille, le font grandir et progresser. Elles
le rendent plus fort, parce que plus aguerri et lucide. Oui,
l'être humain est sensible et le concept d’hypersensibilité n'est
qu'une traduction erronée vue par le prisme d'un système marchand.
Alors
dans ce monde froid, des paradoxes apparaissent, impensables pour
nombre de société dites primitives et
pourtant si humaines. Je pense aux Nenets de Sibérie, Aux Buchmens
de Namibie et aux Indiens Yaki du Mexique.
Si,
aujourd'hui, la majorité des individus est prise dans cet
environnement d'ultra consommation et de compétition, tous ceux qui
la composent ont de fortes chances de s'enfermer dans un format
hyposensible. Il s’agit d’un contexte décidément froid et
matérialiste. Cette composante, à elle seule, par voie de
conséquence, est de nature à générer un décalage excluant.
L’assertion est d’autant plus vérifiable qu’elle s’adresse à
tous ceux qui restent humains, encore pétris de la qualité de leurs
sens.
Mais
nous reviendrons une autre fois sur l'influence des minorités
actives, précisément développée par le
psycho-sociologue Serge Moscovici. Ces éléments nous indiquent
qu'un changement de paradigme est tout à fait possible dès lors que
la minorité est consistante et agissante.
Ce
qui caractérise ces populations "formatées", c’est
justement le partage d'une pensée opératoire mécanique, et donc
séquentielle et binaire. Elle s’avère -a priori- d'une apparente
logique implacable, tout en fabriquant une convergence artificielle.
C’est elle qui se caractérise par l'usage de pensées
courtes, ces prêts à penser sous forme d'idées convenues faisant
consensus.
A
l'inverse, les "résistants humains" développent par le
biais de leurs pratiques de partage et d'échanges, une intelligence
plutôt associative, non causale, analogique. Celle ci n’est pas
forcément convergente puisque le sens de la controverse en est un
fondamental. On peut dire que ce mode de pensée libre est plutôt
créatrice... c’est ce qui a amené l'humanité jusqu'à nos
jours.
Si
la pensée de la majorité formatée est mécaniste (on se souvient
de l'opposition conceptuelle que j'ai déjà
plusieurs fois posée entre pensée mécaniste et pensée
organique)... alors on retrouvera dans la culture y afférant, des
codifications mécaniques issues du lien social. C’est justement ce
que propage et développe l'imitation aveugle.
Elle
est une culture, -quoi qu'elle en dise-, totalement conformiste.
A
l'opposé, les humains ont toujours privilégié,
en le perpétuant, un mode de relation dite "de personne à
personne", c'est à dire profonde et authentique. On y
remarquera le développement de l'esprit de recherche, de pratiques
créatrices sensibles comme la poésie et la curiosité.
Dans
la société formatée, la conduite par les normes et la mécanique,
invite au développement de processus, de protocoles, de savoirs
immuables centrés sur le résultat, la productivité, la croissance.
Peut être alors pourrions nous parler d'une pathologie de la norme.
En
opposition à cela, les humains continuent à développer leur
créativité, leur goût de comprendre, leur appétence à la
connaissance, associée à la découverte de l'expérience. Voilà
une somme de “possibles” qu'ils ne s'interdisent plus.
Ils
développent alors, à cet effet, un réel esprit d'ouverture et
d'innovation propice à l'expansion associé aussi à une certaine
subjectivité.
Si
le monde formaté ne peut donc plus vivre autrement qu'en
"exposition", en mise en scène, en "théâtralisation"
avec ses jeux de rôles idoines, la vie humaine continue de
développer
son intime, son intériorité, son âme, bref, son humanité. Alors,
y en a-t-il qui ont "plus raison"
que d'autres ? D'après vous...
Jean-Marc
SAURET
Le
mardi 12 mars 2019
Lire
aussi : "Pensée
mécanique et pensée organique"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.