Le
solidarisme est cette école de pensée économique qui visait, par
le mouvement coopératif et d’autres formes d’entraide, « à
sortir les pauvres de la dépendance à l’égard de la générosité
toute relative des riches, en leur permettant de prendre eux-mêmes
en charge leur vie matérielle ».
Dans cette école pratique de pensée, dite l'école de Nîmes,
Charles Gide représentait un courant fédérateur. Ce courant
croisait celui des Pierre-Joseph Proudhon et Charles Fourier,
fondateurs de l'anarchie alors, comme lui, fédéraliste, pacifiste,
humaniste et coopérative. Le familistère de Guise, créé par
Jean-Baptiste Godin, en est l'illustration pratique et concrète. Il
démontre que "ça marche et que même ça prospère".
Créé
en 1881, cette institution s'éteindra doucement en 1968,
progressivement délaissé par ses occupants sur une valeur
post-moderne et contre-anarchiste : le goût de la propriété. Cette
école de Nîmes, avec Édouard de Boyve et Auguste Fabre, fut
la première université populaire. C’est,
à partir de ces prémisses, que l’on vit
essaimer plusieurs coopératives
de consommation. Elles possédaient déjà la forme de celles que
l'on voit fleurir tant aujourd'hui, notemment dans l'espace rural.
"Le
mot solidarité vient
du latin in
solidum,
qui signifie dans
un tout"
nous dit le professeur de philosophie, Frédéric Rognon. Il
s'agissait d'un concept juridique qui désignait, en droit
romain, la responsabilité collective d’une fratrie lorsque l’un
de ses membres commettait une infraction ou se trouvait endetté. Il
s'agit là d'un principe du "chacun pour tous et tous pour
chacun". Dans le champ socio-politique, le principe de
solidarité implique que les hommes d’une même nation vivent dans
le même rapport entre eux que les organes d’un corps vivant.
Ce
principe s'éloigne donc de toutes les autres notions, telles
l’individualisme, mais aussi l’aumône, l’assistanat
ou la charité. Ces notions à
connotations condescendantes, tendent à mettre le récipiendaire
en posture de redevance. Il n’est pas inutile de rappeler la
formule qui précise “que la main qui donne est toujours au dessus
de la main qui reçoit”.
Le
mouvement coopératif cherchera donc à sortir les pauvres de la
dépendance à l’égard de la générosité toute relative des
riches, en leur permettant de prendre eux-mêmes en charge leur vie
matérielle. C'est le pari sur lequel l'abbé Pierre fonda les
communautés d'Emmaüs. Cela relève autant d'une question
d’efficacité que d'une éthique de la dignité humaine. Nous
retrouvons aussi là les principes de Paul Ricœur dans sa
théorie du "socius" et du prochain, des relations
longues et des relations courtes.
Ce
qu'avait mis en exergue Charles Gide est l'absence de "valeur"
dans le principe de solidarité. Celle-ci peut tout autant être
positive que négative, aussi bien dans la dynamique que dans le
retrait, dans la création que dans la destruction, ou
l'autodestruction. Le partage se situe autant dans les gains que dans
les conséquences, et Charles Gide, chrétien protestant convaincu,
de citer l’apôtre Paul : "Si un membre
souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est
honoré, tous les membres se réjouissent avec lui".
La
solidarité suppose une adhésion à l’idée d'un "commun
essentiel". Quel qu’il soit, c'est ce qui est en commun qui
prime, et qui fait que nous sommes ensemble. On retrouve là,
pêle mêle, le lien de foi, de sang, d'idéologie, de vision du
monde, mais aussi le sens de ce que nous sommes. En fait,
le concept rassemble tout ce qui ressortit de nos goûts, et
de l’ensemble de nos “ressentis” : nos joies
ou nos souffrances... etc.
C'est
ce "commun essentiel" qui détermine la nature même et le
sens de la solidarité. Elle concilie la forme, les modalités
d'exercice et le devenir. Ainsi, on peut trouver des solidarités
contraintes, des solidarité xénophobes, des solidarités de sang,
des solidarités éthiques, des solidarités héréditaires, des
solidarités de contre comme l'a été celle entre les résistants
durant la seconde guerre mondiale rassemblant communistes et
royalistes. On rencontre même dans des environnements religieux,
mystiques, ethniques ou magiques, des solidarités entre les morts et
les vivants.
Charles
Gide précisait que la solidarité dans le champ socio-politique
consiste alors à soutenir les petits qui n’ont pas eu de chance du
fait des conditions de leur naissance ou des aléas de leur
existence, en partageant à partir des biens de ceux auxquels la vie
a davantage souri. Ainsi, l’impôt progressif et proportionné
apparaît comme un outils de sa manifestation.
Mais
il y a quelque chose du don et du contre don dans le principe de
solidarité. Ce n'est alors pas ici le principe de "redevabilité"
qui y invite mais celui d'appartenance à ce "commun essentiel".
La solidarité devient alors un lien social, un essentiel, un
fondamental.
L'absence
de ce lien social fondamental, fait donc symptôme du manque de cet
"essentiel commun". En l'espèce, c'est bien l'absence de
ce qui fait identité commune, appartenance, voire son
indéfectibilité. Chez les protestants, par exemple, l'humanisme
fondateur installe de facto le principe de solidarité, car
l'humanisme est une philosophie sociale qui vise un devenir (un monde
meilleur) "pour les humains par les humains".
Si
les économistes libéraux ne reconnaissent de solidarités que
d'intérêt, les humanistes les reconnaissent toutes, sans forcément
y adhérer de fait, a fortiori quand elles vont à l'encontre du bien
commun, du vivre ensemble, du principe de liberté, d'égalité et de
fraternité. A cette devise, les républicains de la "sociale"
(la seconde république de 1848) avaient ajouté justement le
principe de solidarité.
La
solidarité est donc bien un principe d'avenir et de progrès, et
elle n'a rien à voir avec le conservatisme. J'entend d'aucuns dire
que si certains sont riches, c'est surement qu'ils ont fait ce
qu'il fallait pour cela, qu'ils ont développé et
honoré la valeur du travail, qu'ils l'ont bien gagné. A cela,
me vient cette question pour eux : Y sont-ils parvenus seuls ?
Personne ne les a assisté, protégé, accompagné ? Qu'ont-ils fait
de ceux-ci qui ont été des contributeurs de leurs affaires ? A
quel "essentiel commun" appartiennent-ils ? Qu'ont-ils
fait de tous ceux de leur "essentiel commun" qui ont croisé
leur route ? Dans quel lien social existent-ils ? ...Qu'ils ne nous
disent pas qu'ils n'en n'ont pas, cela voudrait dire qu'ils
n'existent pas... En effet, l'essentiel commun est le propre de
l'être humain : nous n'existons que de l'Autre.
Alors,
dans les mouvements sociaux, il y a autant de connections solidaires
(comme l'ont dit tous ceux qui ont partagé des luttes et des
aventures) qu'en rupture d'autres solidarités d'un essentiel commun
plus large, mais qui est ressenti comme "trahi". Ainsi les
révolutions rassemblent des corps solidaires et divise le
corps global. Il en va toujours ainsi en matière d'évolutions,
et d'innovations... Ça nous rappelle quelque chose ?
Eh
bien, oui. Derrière de grandes frustrations, vécues en
post-modernité comme de la maltraitance, et ce en lien direct avec
l'ultra-consommation, nous assistons à un certain retour du
solidarisme.
Ce
sont les AMAP, les bars associatifs, les monnaies locales, les
"ressourceries"
et autres "Repair cafés", les "FabLabs", les
coordinations de tous ordres, les gilets jaunes, les collectifs
en tous genres, etc., qui fonctionnent en réseaux. Ce n'est là
qu'une question d'identité, de valeurs fondamentales et de
vivre ensemble...
Jean-Marc SAURET
Le mardi 12
février 2019
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