Nous
avons l'habitude de dire ou d'entendre le doute de Saint Thomas : "Je
ne crois que ce que je vois !" Il s'avère de fait que c'est
bien l'inverse qui nous arrive au quotidien. J'ai déjà relaté
l'anecdote où, à l'attente de la naissance de notre fille,
d'un seul coup, il y avait plein de femmes enceintes et des
landaus en ville, alors que, jusque là, il n'y en avait
aucun, je vous l'assure... En effet, nous ne voyons que ce qui nous
préoccupe. C'est quand on change de voiture que le modèle convoité
apparaît partout dans les rues, que l'on voit partout les affiches
du spectacle ou du film que l'on a adoré, que l'on voit partout ce
ministre, ce politique qui nous insupporte ou nous séduit... Mais
allons plus loin.
J'ai
aussi évoqué cette recherche sur le génome humain qui a donné des
résultats très décevants. Là où l'on attendait que chaque gène
soit le déterminant d'une fonction, d'une caractéristique physique
ou comportementale, ou d'un état, on constata que plusieurs gènes
sont convoqués dans la même, ou encore plusieurs particularités de
la réalité humaine. De la même façon, on a
constaté aussi, que les statistiques s'avèrent plus
probantes et plus prédictives que lesdits gènes. C'est le flop sur
le "tout génétique".
C’est
bien dans ces conditions que les chercheurs ont inventé le
concept d'épigénétique. C’est ce constat qui leur
fait considérer que le gène est adaptatif, et qu'il n'est de
fait, qu'un potentiel. Voilà une pirouette, une jolie manière de
perpétuer la croyance dans le déterminisme du gène, tout en
intégrant le fait qu'il ne le soit pas. Malin ? Non, juste
humain...
Il
est si difficile de se débarrasser de ses croyances... Car ce
sont bien elles qui nous structurent et nous rendent le monde
recevable. Sur quoi, d'ailleurs, portent les débats les plus
fougueux, tant dans les médias que dans les repas de familles ou de
copains ? Sur les choses qui nous tiennent à cœur, en
l’occurrence, nos "sacrés", en d'autres termes, nos fondamentaux. Immanquablement la phrase fatidique arrive, à
un moment ou à un autre, dans le débat :
"Tu
ne peux pas dire ça !" Eh bien, si, il ou elle l'a dit. Donc
elle ou il peut le dire puisque c'est dit... Mais l'interlocuteur ne
l'entend pas de cette oreille. Le concept, l'idée, le point de vue,
déconstruisent la conception de l'autre. Ses croyances sont mises à
mal. Dans ces conditions, subjectivement le propos "ne peut
pas" être dit … (en fait, on considère qu'il ne
“devrait” pas être dit)… Et l’on vient de voir justement, le
contraire !
Notre
univers personnel est peuplé de ces éléments structurants qui
tiennent tout l'édifice de "notre monde". Le reste
n'existe pas... Schopenhauer appelait cet ensemble
d'éléments structurant, le "critérium". Le
psychosociologue Rodolphe Ghiglione a montré que c'est de cela dont
il s'agit essentiellement dans toutes nos conversations : revisiter
et afficher ses propres fondamentaux, affirmer d'où nous
pensons et qu'il s'agit là d'un innégociable. Il a montré combien
la conversation était cet outil utile et indispensable pour
"transacter nos références", c'est à dire, sans jamais
convertir, persuader ou convaincre quiconque, donner à voir ce point
d'où chacun pense. Ensuite les gens le savent et s'en arrangent.
"Oui, c'est vrais que tu penses comme ça... Dont acte."
La
conversation n'affirme rien d'autre, ne pose rien d'autre, que le
point de vue "d'où nous pensons". Elle donne à voir
quelles sont nos croyances et nos références. De fait, c’est
bien cela le “vrai”,... “qui nous sommes”. Tout le reste
n'est que bavardages secondaires. La conversation ne nous sert donc
qu'à l'affirmation réciproque de soi.
Et
si nous ferraillons tant c'est bien parce que notre "Ego" y
est en jeu et que c'est bien là la meilleure manière de le
préciser, de l'affirmer et de le défendre.
"Mais,
nous savons bien qui nous sommes !", pourriez vous me rétorquer.
Bien sûr, mais avec une “certaine” marge.... L'identité
n'est pas un état mais une action de vérification permanente. C'est
ce que je posais dans le concept "d'identation".
Nous
n'existons que de l'autre, comme l'expliquait Jacques Lacan ! Nous sommes dans le regard ou la réalité de cet
"Autre". Nous passons
notre temps à vérifier notre "réalité", en nous assurant du fait qu’elle est bien là dans ce miroir qu'est l'autre, bien
valide et bien présente.
Nos
conversations sont donc une activité de vérification et de
réaffirmation de soi. Mais quel lien avec l'assertion "On ne
voit que ce que l'on croit" ? Eh bien, justement, toutes ces
choses que je crois sont les composantes de mon ego.
Je passe
mon temps à vérifier mon statut et mon état dans nos
conversations. Passant du particulier au général, cela signifie
que toutes nos activités consistent à jouir de ces certitudes
d'un monde prédictible. "C'est comme çà que ça se passe
chez... !" Même les publicitaires l'ont bien compris et
ils abusent du principe. Comme je passe mon temps à vérifier que je
suis bien là, en cet état, dans le regard de l'autre, je passe mon
temps à vérifier que le monde dans lequel je suis est bien celui
qui me fonde. Ainsi, hors de ce monde structuré par mes croyances et
certitudes, il n'y a point de salut. Il n'y a même rien du tout...
Voilà
donc pourquoi une très large part de nos actions et
activités sont aveuglées par nos préoccupations premières,
fondamentales : exister dans un monde certain ! Si le monde
n'est pas ça, alors je le corrige. Et si ça ne marche pas, c'est le
monde qui a tord !
Pour
conclure, ouvrons encore un peu plus le champ de notre conscience :
ce ne sont pas nos certitudes qui font la connaissance mais les
questions qui se posent entre lesdits certitudes. Une fois
que ce point est admis, les certitudes ne sont plus alors que des
points de vue temporaires. C'est bien sur les questions que nous nous
posons, que progressent nos connaissances. Les certitudes, quant à
elles, nous figent donc dans une cosmogonie fermée, stoppée, et
irrémédiablement bloquée… le “dogme”. Cela nous
rappelle quelque chose ?.
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