"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Travailler ou réaliser ?

Je donnais, début novembre, un cours de management à des cadres de la territoriale, comme je l’ai longtemps fait. Cela se passait à Dunkerque au sein d'un institut national spécialisé en étude territoriales (INSET). J'abordais la question de la souffrance et du bien être au travail. Une participante me fit remarquer que bien être et travail étaient étymologiquement antinomiques. Effectivement, le mot travail vient de l'instrument de torture, le tripalium, que les romains utilisaient pour punir les esclaves rebelles. La première utilisation du mot en langue française était pour indiquer les douleurs et les efforts de l'accouchement. Il n'y a là rien de très agréable, ce sont là des sensations bien éloignées du bien-être.
Par ailleurs, j'entendais un gourou indien montrer la différence entre un travail contraint, vécu dans la souffrance et celui dans épanouissement de soi dans la réalisation. Il utilisait les images de "travailler dur" et de "travailler heureux". Il indiquait combien le premier, habituel dans la conceptualisation ordinaire et occidentale, n'avait rien d'obligatoire. Il montrait aussi combien, avec le second, combien la réalisation dans l'épanouissement était non seulement possible mais bien plus efficace, bien plus efficiente. 
Il se trouve, mais vous l'avez remarqué, que c'est la position que je défends face au travail. L'évolution sociétale, par ailleurs, tend inéluctablement à mettre à l'ordre du jour un nouveau paradigme dans nos activités professionnelles (cf : Management humaniste, les raisons de la métamorphose).
Quelques lignes vont suffire pour évoquer cela. Si vraiment, il nous est impossible de penser le travail autrement qu'en terme de souffrance et de contrainte, alors laissons tomber ce mot. Il devient d'une part contre productif, mais aussi totalement imprécis, voire partial, je dirai même un "non-sens". Nous lui préférerons donc un autre vocable susceptible d'indiquer simplement la réalisation d’œuvres, laissant de côté toutes connotations douloureuses ou d'assujettissement. Il nous est indispensable d'avoir les mots qui correspondent à ce que nous voulons indiquer. C'est normalement là leur première fonction, je crois... 
Toute finalité professionnelle (au delà de la finalité conséquente de la culture bureaucratique qui peut se réduire à "gagner sa vie"), je dis "Toute finalité professionnelle" vise la réalisation d'objets matériels ou immatériels que nous nommons "produits" ou "services". Il devient alors tout à fait loisible de les "réaliser" dans la joie et le plaisir, voire le bonheur. C'est d'ailleurs ce que nous indique Mihály Csíkszentmihályi, psychologue d'origine hongroise, dans la présentation des résultats de sa très large étude sur le bonheur. Il montre le bonheur comme étant ce flux dans lequel nous nous trouvons justement à la conjonction de l'ouvrage complexe que nous voulons réaliser et du maximum des compétences que nous y investissons. En d'autres termes, son étude nous indique que le bonheur est dans la réalisation, dans l'action, dans le "faire" et non pas dans une consommation ou autres conditions de contexte. On pourrait cyniquement dire alors qu'il est dans le travail et non dans les "conditions de travail". Mais nous éviterons cette confusion susceptible de provoquer de belles polémiques.
Dans la mesure où le mot "réalisation", et le verbe "réaliser", sont apparus dans notre propos tout naturellement pour désigner un "travail dé-connoté", alors, pourquoi ne pas les utiliser en substitution même du mot travail ?
Imaginons alors ce que deviendraient nos conversations polies lors de rencontre sociales. Nous ne dirions plus "Dans quoi travaillez vous ? " (ou "Dans quoi êtes-vous ?" totalement ambiguë), mais "Dans quoi réalisez vous ?". Alors, cela change bien des choses dans nos regards et nos conceptions, non ? Nous avons déjà entendu en réponse à notre question ordinaire "Que faites vous ?", "Je réalise des jouets pour enfants", "...des logiciels de gestion", ou bien "...des chaussures orthopédiques", ou encore "...des radars pour la police et la gendarmerie", etc. Bref nous usons déjà de ce verbe pour indiquer des objets. Nous n'utiliserons pas, ici, le terme "produire" ou "production", car ceux-ci limitent leur indication à la construction physique des objets, pas à leur création ni à leur réglage, adaptation ou mise au point. Or, dans le mot réalisation existe aussi toute la dimension des pensées-actions en amont et en aval. 
A ce propos, il me revient cette approche qu'avait développé le sociologue et économiste Herbert Marcuse dans les années soixante au sujet du travail. Il indiquait que, pour qu'un ouvrier (je préférerais le syllogisme de "œuvreur") soit engagé et efficace, il devrait participer activement aux cinq phases du travail. La première qu'il indiquait était de "penser ce qu'il y a à réaliser", c'est à dire l'objet, le produit, le service. Il s'agit donc ainsi d'aborder le "Pourquoi" et le "Pour quoi". Aujourd'hui, ce sont les patrons qui s'en chargent dans leur chapelle.
La deuxième phase consiste à penser comment le réaliser. Aujourd'hui, ce sont les bureaux d'étude qui s'en chargent (rappelons juste qu'aux PTT ce sont les postiers eux même qui ont inventé les casiers de tri, les circuits d'acheminement et de distribution... et pas les ministres ni les dirigeants). 
La troisième phase consiste à réaliser. C'est là, et seulement là, que l'ouvrier est "invité" à intervenir. Nous comprenons déjà, en se mettant dans la situation, que les conditions ne sont pas réunies pour faire un bon travail. L'ouvrier manque alors les phases amonts de conceptions que ne compenseront jamais les procédures, aussi formalisées soient-elles.
La quatrième phase consiste à prendre le temps d'admirer son travail. Aujourd'hui ce sont les contrôleurs de production ou les démarches qualité qui s'en chargent pour partie. Il me semble que la dimension d'une critique bienveillante est, en l'espèce, totalement absente. Ce serait pourtant bien utile pour effectuer des correctifs justes, efficaces et pris en compte immédiatement dans la production, mais aussi pour développer la fierté de l'oeuvre accomplie. L’expérience dans les organisations dites libérées, dont nous informe le sociologue Frédéric Laloux, témoigne de la capacité ordinaire des ouvriers et collaborateurs à contrôler eux même leur production, dès lors qu'ils n'ont plus la pression des contrôles sur leur dos.
La cinquième phase, nous dit Herbert Marcuse, est la socialisation de l'objet. C'est à dire ce que nous en faisons. C'est cela qui va dire "qui nous sommes". En effet, si je vends l'objet, je suis un artisan. Si je l'expose dans un musée, je suis un artiste. Si je l'offre, je suis un bon copain bon bricoleur. Si je le brûle, ou le détruis, je suis un "original"... Aujourd'hui, ce sont les commerciaux, livreurs et transporteurs qui s'en chargent.
Cet éclatement du travail est aussi un éclatement des engagements et des responsabilités. Le flux caractérisant le bonheur, comme l'a remarqué Mihály Csíkszentmihályi n'est pas prêt d'y trouver place. C'est là tout à fait le cas de dire que "les conditions ne sont pas réunies". Elles sont justement dispersées, éclatées. Et pourtant, nous savons qu'un travailleur heureux est bien plus engagé, et bien plus efficient.
Ainsi, si nous conservons l'usage du mot travail, nous conservons aussi, avec la douleur et les contraintes, cet éclatement des cinq fonctions de la réalisation. Si nous lui préférons le terme de réalisation, et le verbe qui en découle, nous conserverons conceptuellement :
- dans l'action, l'unité des cinq phases, 
- dans nos têtes, la dé-connotation douloureuse et contrainte, au profit de celle de l'auteur,
- et nous nous rapprocherons des conditions du "flux", caractéristique du bonheur. 
A partir de là, l'efficience est à portée de main, et le monde meilleur aussi.
Décidément, les usages culturels ont une puissance insoupçonnée. Alors abusons sur cette voie...
Jean-Marc SAURET


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos contributions enrichissent le débat.