Lors
de partages entre amis, il nous est souvent arrivé, et nous ne
sommes bien-sûr pas les seuls, de comparer les propos humoristiques
tenus par d'anciens comiques, comme Desproges, Fernand Raynaud,
Coluche, etc. avec les propos tenus sur la place publique par tout
un chacun. Nous constations en effet, que ces auteurs ne
pourraient plus dire aujourd'hui ce qu'ils disaient hier. Comme le
rappelle le philosophe Michel Onfray, depuis une trentaine d'année,
le discours politiquement correct est devenu une dictature.
Ou
les orateurs actuels sont dans le sens de ce politiquement correct et nous
pouvons rire de leur humour ainsi reconnu, ou il n'en est pas et le propos
fait scandale. Augmenté dans le vortex des réseaux sociaux, le
scandale devient buzz, l'anathème est lâché et même augmenté de
toutes les infamies dont ce politiquement correct a fait le
catalogue... Il devient dès lors dangereux de se montrer
quelque peu proche, voire seulement "du côté" de ce
quidam infâme.
Oui,
il y a des auteurs, des chroniqueurs, des commentateurs dont le
discours m'exaspère. Mais comme l'écrivait le linguiste et
sociologue Noam Chomsky "Si l'on ne croit pas à la liberté
d'expression pour les gens que l'on méprise, on n'y croit pas
du tout". Oui, le débat est le fondement de la démocratie et
la liberté de conscience est constitutionnelle, et selon le conseil
d'état, la liberté d'expression aussi, tant qu'elle ne trouble pas
l'ordre public. Aujourd'hui, l'ordre public est serré dans le cadre d'une
pensée unique, voire d'intérêts certains. La polémique est un désordre, l'unanimisme une
posture sociale réputée saine et indispensable. On ne "doute" pas de l'ordre établi... mais établi pour qui ? Mais, en l'espèce, j'ai comme un doute...
Il
me revient cette phrase forte de Saint-Exupéry : "Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m'enrichis". Cela veut bien dire que c'est du débat que naît la lumière. Et c'est bien dans ces conditions que l'intelligence dispose de cette capacité
à faire de surprenantes confrontations. Nous retrouvons bien ici la source de notre
évolution, de l'évolution et de l'enrichissement de notre regard
sur le monde. A la conditions que les intérêts privés se taisent un peu...
Or,
nous avons un souci aujourd'hui, et pas des moindres : il n'y a plus de débat possible (bien que l'on nous en annonce un grand à grand renfort de publicité).
Il est vite coupé par l'anathème et la condamnation au seul usage
d'un mot reconnu dans un cerveau lambda comme délétère,
inacceptable, injurieux ou infamant. Qu'un seul mot laisse supposer
que vous pourriez faire une différence intellectuelle ou de
compétence entre un homme et une femme, et voilà qu'une kyrielle de
blâmes et de condamnation vous tombe dessus, reconstruisant,
caricaturant au passage votre portrait. Ça sert toujours, peu ou prou, un quelconque intérêt...
On
vous rajoutera des caractères vous qualifiant à
souhait d'antisémite,
de xénophobe ou d'homophobe, prouvant que vous n’êtes vraiment pas
dans le moule, vraiment pas quelqu'un de bien... Il arrive la même
chose à ceux qui, spécialistes et bien informés, ont la remarque
"juste"... justement celle à laquelle les "autres
référents" n'ont pas de réponse ni d'éléments à débattre,
voire à opposer... (Je pense actuellement à cet ancien candidat à
la présidentielle, François Asselineau, érudit en matière de
constitutions et de traités, et que les médias répugnent à
inviter, par exemple). Peut être encore que cela gène un certain intérêt...
Ainsi,
cette qualité essentielle, mise en exergue au moment des lumières,
le libre arbitre, ne peut dès lors plus s'exprimer, voire même
exister. Il peut être même violemment combattu. Ce qui m’effraie est l'auto-censure dans la
quelle les gens de la cité, les citoyens, acteurs sociétaux, vous ou moi, se moulent d'eux-même, comme pour continuer à "exister" tranquillement. Il m'arrive, justement de ne pas partager des
discours et des postures de ce philosophe, Michel Onfray, que je
citais plus haut. Cela va même chez moi jusqu'à de l'irritation. Mais, j'aurais plutôt
envie de l'entendre encore et de l'entendre débattre, voire de débattre
avec lui, car justement il m’apparaît comme un homme libre
qui, quoi qu'il arrive, continue de donner l'expression de son
regard, de ses conceptions et de ses analyses. Il en va de même pour cet autre "incorrect" François Asselineau.
J'en
aurais de même pour messieurs Luc Ferry et André Comte-Sponville.
Je suis sûr que si l'occasion m'était donnée de débattre avec
l'un des quatre, j'aurais le plaisir d'un échange riche, argumenté,
si tant est que l'écoute réciproque nous habite. La vie m'a accordé
ce type de rencontre avec d'autres gens de qualité, comme Michel
Maffesoli, Bruno Etienne, Serge Moscovici, Max Pages, Eugène
Enriquez, Claude Genot, Alain Bertrand et bien d'autres, mais j'étais trop admiratif de
leur culture et de leur mode de pensée pour trouver quelques raisons à les contrer vivement à la hauteur de mon désaccord (bien
que cela me soit bien souvent et poliment arrivé). Loin de la défense d'intérêts matériels (les pires), tout "enrichissement" (intellectuel et moral) est possible.
J'ai
appris avec eux que ce n'est pas ce que les gens disent qui est
important, mais ce que l'on en fait. Sans mon libre arbitre, et le
leur, sans nos libertés de conscience et d'expression, aucun ne
serait arrivé là où il est, aucun n'aurait progressé dans sa
réflexion, son point de vue ou sa posture, ni n'aurait fait progresser quiconque, dans sa vision du monde, dans ses analyses et ses idées (ce qui est bien souvent à la source de la notoriété).
Je
rêve donc d'un monde prochain où ne pas être d'accord sera
une occasion d'apprendre, de revisiter ses propres postures et
réflexions, de grandir, de s'affiner, laissant de côté les intérêts privés dans la bassesse d'un bas côté. Car ce qui compte n'est pas la rencontre des egos ou des fortunes, mais
la production, en toute bienveillance, de nos pensées, de nos points de vue, de nos intelligences, pour leur enrichissement.
Jean-Marc SAURET
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